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Discussion générale sur les systèmes Pi/SiO 2

IV.I Adsorption de Pi sur silice : recouvrement de saturation et précipitation

Les données DRX obtenues sur nos échantillons de base semblent montrer que, jusqu'à 10 % Pi/SiO2 (inclusivement), il n'y a pas de phosphates massiques précipités, donc que tous les phosphates sont adsorbés (en interaction avec la surface ; cf § C.II). Toutefois, une étude antérieure dans notre équipe suggérait que la limite d'adsorption en surface de silice se trouvait un peu plus bas (vers 8% en masse) ; d'autre part, des études de reproductibilité des échantillons nous ont parfois montré la présence de précipités dès 10% en masse. Il y a donc une incertitude quant à la valeur précise du recouvrement de saturation des espèces adsorbées en surface de silice, et des études plus précises seraient nécessaires avec un contrôle très précis des paramètres de préparation (notamment des conditions de séchage). Notons, pour terminer, que la RMN 1-pulse de 31P, pour la série d'échantillons étudiée dans cette thèse, est en accord avec la DRX : il n'y a pas de précipités de phosphates massiques jusqu'à une charge 10% en masse inclusivement.

IV.II Spéciation du Pi adsorbé

Il a été proposé précédemment2, sur base de la finesse des signaux RMN, qu'après séchage le

phosphate se trouverait en solution aqueuse supportée à la surface de la silice. Pour évaluer cette hypothèse, il est utile de comparer les quantités d'eau et de phosphate présentes dans les échantillons. A partir des études ATG /ATD (Tableau 1), nous avons évalué les quantités d'eau à environ 2,6 à 4,9 % par masse de silice, ce qui correspond à des rapports allant de 3,2 jusqu'à 12,3 moles d’eau/phosphate. De telles quantités d'eau adsorbées paraissent très faibles pour envisager une véritable "solution supportée", où les concentrations en phosphate atteindraient des valeurs invraisemblablement élevées.

A cet égard, il est intéressant de noter la présence des pyrophosphates dès la température de séchage (70°C), montrée par la RMN du phosphore. Connaissant l’enthalpie libre de formation du pyrophosphate dans l’eau, on peut estimer la constante d'équilibre de la réaction

165 extrêmement élevées qu'on déduirait du Tableau 1, le taux de dimérisation devrait être très faible. On peut en conclure que les données thermodynamiques afférentes aux espèces en solution ne peuvent pas être utilisées pour des espèces adsorbées, et donc que l'interaction avec les groupes de surface favorise les dimères (pyrophosphates) par rapport aux monomères (monophosphates).

Cette conclusion est confortée si l'on considère les pourcentages relatifs de monophosphate et de diphosphate en fonction de la charge totale. S'ils étaient dictés par une réaction de dimérisation dans une solution, supportée ou non, la fraction de dimères devrait augmenter avec la charge totale en phosphates. Or, c'est l'inverse qu'on observe : le pourcentage de monomères augmente légèrement avec la charge, passant de 78% du total pour une charge de

5% ou 7% Pi-SiO2 à 84% pour une charge de 10%Pi-SiO2.

En revanche, des espèces de phosphates adsorbés (donc interagissant avec des groupes de surface de la silice) mais présentant une mobilité significative peuvent être envisagées. Une situation très semblable a été mise en évidence dans l'adsorption de glycine sur silices mésoporeuses, où la molécule adsorbée se réoriente rapidement tout en maintenant une liaison hydrogène avec la surface de la silice3, celle-ci agissant comme une rotule autour de laquelle une rotation est possible.

La décomposition des signaux RMN semble même montrer l'existence de deux formes adsorbées légèrement différentes, et qui ne sont pas en échange rapide, tant pour les monophosphates que pour les diphosphates. Les expériences CP-MAS et RMN 2-D indiquent même d'autres formes adsorbées, nettement minoritaires mais exaltées par le transfert de polarisation.

IV.III Condensation des phosphates sous activation thermique

En RMN, nos données sont limitées puisque nous disposons de résultats sur l'activation thermique sous flux d'air à 130°C pour 10% Pi/SiO2, et sous vide pour 5% Pi/SiO2. Il est clair néanmoins que l'activation thermique cause dans les deux cas une perte de mobilité, et surtout une condensation des monophosphates en pyrophosphates et polyphosphates.

Les données de thermogravimétrie, obtenues sous flux d'air, montrent deux types d'évènements thermiques. Les évènements à haute température observés pour les faibles charges en phosphates sont, nous l'avons dit, difficilement compatibles avec des condensations de groupes phosphates. Peut-être s'agit-il d'une condensation de silanols de

166 surface influencée par les espèces adsorbées ; cette question mériterait une étude plus approfondie.

Les évènements à température moyenne par contre, généralement matérialisés par un ou deux pics fins en DTG, sont bien corrélés à la charge en Pi, comme le montre la Figure V-9.

Figure V-9 : corrélation de la masse perdue à température moyenne avec la charge en Pi.

Jusque 7% Pi / SiO2, les pertes de masse à températures moyenne sont linéairement corrélées

à la charge en phosphate et correspondent à une perte de 16 unités de masse par anion phosphate. Si nous définissons la "condensation complète" comme la formation de deux liaisons P-O-P à partir des P-O-H pour chaque unité phosphate (donc perte d'une molécule d'eau, soit 18 unités de masse, par anion phosphate), nous avons pour ces évènements à température moyenne un taux de condensation de 89%.

L'échantillon 10% Pi / SiO2 quant à lui montre en TG un taux de condensation plus faible, de

69%. Tout se passe comme si, jusque 7% en Pi, la silice était capable de catalyser une condensation quasi complète des ions phosphates (taux de condensation proches de 100%); mais entre 7% et 10%, les ions phosphates supplémentaires sont très peu condensés. Il est possible que la surface de silice contienne un nombre limité de sites catalytiques capables de déclencher la condensation des phosphates vers 190°C, et qu'ils soient saturés entre 7 et 10%. Quoi qu'il en soit, pour les échantillons à plus faible teneur en Pi, les taux de condensation élevés calculés à partir des TG s'expliquent le plus logiquement par la formation de trimétaphosphates cycliques, ce qui est intéressant car ces espèces sont connues comme agents de phosphorylation efficaces.

167 Dans le cas de 10% Pi / SiO2, on peut comparer la TG aux données RMN (Tableau V-3) :

après activation à 130°C, ce même échantillon montre par RMN 49% de Q1 (chacun

correspondant à une liaison P-O-P, soit une perte de 1/2 H2O par groupe phosphate) et 10% de

Q2 (chacun correspondant à deux liaison P-O-P, soit une perte de 1 H2O par groupe phosphate) : soit un taux de condensation de 0,49.0,5+0,10.1 = 0,35 ou 35%. La condensation évaluée de cette façon est moins avancée ; mais les conditions d'activation, à 130°C, ne permettent probablement pas de réaliser quantitativement une transformation qui n'est observée qu'à 190°C sous rampe TG. Les données obtenues pour l'échantillon activé à 160°C sous vide vont dans ce sens puisqu'elles montrent une condensation plus poussée.

On peut se demander d'autre part à quoi correspondent les deux évènements de condensation observés séparément en TG pour certains échantillons ? A la condensation de deux types différents de monophosphates adsorbés, peut-être ceux qui sont observés en RMN de 31P à 0,75-0,95 et 1,15-1,50 ppm respectivement ? L'idée est tentante, mais pas certaine. En effet, l'échantillon à 5% Pi montre déjà deux espèces adsorbées différentes par RMN, mais ne montre pas deux évènements en TG.

IV.IV Discussion générale et signification prébiotique

D'un point de vue purement pratique, l'adsorption sur silice permet de condenser les monophosphates en diphosphates et polyphosphates : avec un degré de condensation limité (environ 20%) après séchage à température modérée (70°C), et plus élevé lors d'activations thermiques un peu plus sévères tout en restant raisonnables: la TG suggère même qu'on pourrait arriver à une transformation presque quantitative en polymétaphosphates (nous favorisons des trimétaphosphates parce qu'il nous semble que la condensation d'un nombre plus élevé de monomères est peu plausible, mais cela reste à confirmer). Cela signifie que l'activation thermique de phosphates inorganiques déposés sur silice transforme ces molécules en réservoirs d'enthalpie libre, sources potentielles d'énergie libre pour les réactions prébiotiques4.

L'adsorption semble modifier la thermodynamique de condensation des phosphates puisque nous observons des diphosphates dans des conditions où le degré d'hydratation est encore relativement élevé, et où ceux-ci devraient être encore thermodynamiquement défavorisés. Un séchage plus complet, en diminuant fortement l'activité de l'eau, rend comme prévu thermodynamiquement favorable la condensation en polyphosphates. On se rend compte alors que la surface de silice a visiblement aussi un effet catalytique (cinétique) sur la réaction de

168 condensation des phosphates adsorbés, qui est rapide dès 190°C alors que, dans le KH2PO4

massique par exemple, elle n'est terminée que vers 400°C.

Cet effet doublement favorable (thermodynamiquement et cinétiquement) de la surface de silice sur la condensation des phosphates nous guidera pour l'étude d'autres réactions de condensation.