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B. Acides nucléiques et nucléotides

III. Acide ribonucléiques

III.I Formation des ARN sur la terre primitive :

Figure II-6: Schéma représentatif de la formation d’un brin d’ARN.

D'après l’hypothèse du « monde ARN », les polynucléotides seraient les premières espèces biochimiques à avoir émergé sur la terre primitive. Cependant l’ARN est « le cauchemar de la chimie prébiotique ». D’une part, il est formé à partir de longues combinaisons de molécules organiques reliées entre elles par des liaisons instables thermodynamiquement en milieu aqueux (les liaisons C-O-P). Cette instabilité intrinsèque le rend plus ou moins fragile en fonction des conditions environnementales (UV, pH, T), un problème détaillé dans la partie suivante.

D'autre part, la synthèse de monomères (les nucléotides) est difficile à rationnaliser car ces entités semblent constituées de trois parties qui ne sont pas stables dans les mêmes conditions thermodynamiques.

L’hypothèse du monde ARN permet d’expliquer les étapes ultérieures de l’évolution (stockage de l’information génétique, catalyse des réactions chimiques) sur la Terre primitive, mais elle nécessite une préalable existence de nucléotides et nucléosides. Dans ce contexte, il existe un «modèle de synthèse discontinue» qui décrit la formation des oligomères d’ARN dans l’environnement prébiotique28. Selon ce modèle, les briques de base d’ARN (ribose, phosphate, base azotée) ont été d’abord synthétisées sur la terre primitive. Le ribose et les nucléobases peuvent être formés respectivement à partir de formaldéhyde et de formamide alors que les phosphates pourraient avoir plusieurs sources, par exemple : phosphite, phosphates, polyphosphates (ces informations sont détaillées ultérieurement). Par suite, les briques de bases formées auraient été condensées en ribonucléosides et ribonucléotides. Enfin, les unités monomériques « ribonucléotides » auraient donné naissance à l’ARN par oligomérisation.

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Cependant, la condensation de ces briques de base pose trois problèmes sérieux dans un contexte prébiotique :

1. La condensation des briques de base pour former des nucléotides et/ou nucléosides, ainsi que la polymérisation de ceux-ci, est défavorable en milieu aqueux, en raison de la perte d’une molécule d’eau par réaction. Il s'agit d'une application du principe de Le Châtelier : si l'on travaille dans un milieu où l'activité d'un des produits de réaction est très élevée, l'équilibre de réaction sera déplacé vers la gauche. Par conséquent, ces réactions sont interdites thermodynamiquement à moins d'être couplées à d'autres réactions thermodynamiquement favorables. Ex :

Équation II-1 : La réaction de formation du ribose5’ phosphate.

En se référant à la bibliographie, les voies de synthèse en solution impliquent des

intermédiaires chimiques instables ou bien des bases azotées non canoniques29. Une autre

voie de synthèse est toutefois possible, elle implique la présence des surfaces minérales. Ces surfaces ont été prises en compte dans les processus prébiotique depuis les travaux de Bernal en 195113. Ces scénarios ont été testés pour plusieurs réactions prébiotiques30 comme la phosphorylation, la polymérisation des phosphates et l’oligomérisation des nucléotides. En particulier, une série de publications d’Orgel, Ferris et al a mentionné la formation des longs polymères de ribonucléotides (jusqu’à 55 monomères) en présence de minéraux notamment argileux15, 31. Malgré l’importance de ces études, elles ne résolvent pas le problème thermodynamique. Elles se basent sur des nucléotides « activés » (par des groupes imidazole) dont la polymérisation est favorable thermodynamiquement ; or la présence de tels groupes activateurs dans des conditions prébiotiques pose question. Donc la condensation des briques élémentaires de nucléotides ainsi que leur polymérisation en polynucléotides capable de s’autorépliquer, sur des surfaces minérales, est un grand défi prébiotique. DrG° >0 P O OH O -O -O OH OH O H O P O -O O -H2O O OH OH O H O H + Ribose Ribose-5’-phosphate

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2. De plus, il existe un problème de sélectivité. Si on part d’un mélange de briques de base et on suppose qu’on a une condensation quantitative, quelle est la probabilité d’avoir des molécules d’intérêt biologique ? Il existe une vaste diversité de combinaisons qui provient des différentes possibilités de liaisons phosphodiester (2’- 5’, 3’- 5’, 5’- 5’..), du nombre variable d’unités phosphoriques et de la diversité anomèrique (α, β) et stéréoisomérique (L, D) au niveau du sucre. En plus certaines modifications peuvent affecter la base azotée, le sucre et le phosphate, ce qui accroît encore la diversité des combinaisons.25

Figure II-7: La diversité de combinaisons au sein des nucléotides.25

3. Enfin, la cinétique de condensation et de polymérisation est également problématique. La réaction peut littéralement prendre des siècles à température ambiante. On pourrait bien sûr l'accélérer par des activations thermiques. Mais un problème supplémentaire s’ajouterait alors : l'instabilité thermique de ces molécules.

III.II Stabilité des ARN

L’hypothèse du « monde ARN » est fortement influencée par les conditions environnementales présentes sur la terre primitive. En particulier, les rayons X, le rayonnement ultraviolet (UV), le pH, la température et la présence de sels métalliques auraient pu constituer autant d'obstacles majeurs à la formation, l’évolution et la stabilité des biomolécules.32

Comme mentionné dans le paragraphe précédent, les réactions de condensation aboutissant à la formation de ces oligomères sont défavorables thermodynamiquement en milieu aqueux, ce qui indique que l’ARN, une fois formée, aurait vite disparu sur la terre primitive !!En outre, la réaction prébiotique de formation de l’une de ses briques de base «le ribose » aboutit à un mélange de plusieurs sucres dont le ribose est une forme minoritaire33. En plus, ce sucre n’est pas stable, il se

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Sur le plan structural, le 2’OH caractérisant l’ARN catalytique, contrairement à l’ADN, le rend plus sensible à l’hydrolyse. En solution aqueuse, la liaison phosphodiester est fortement susceptible à l’hydrolyse promue par le 2’OH du ribose : celui-ci peut en effet induire la formation d'une liaison 2’3’phosphate cyclique, ce qui rompt la chaîne d’ARN. Cette réaction est accélérée à haute température et pH, et aussi en présence des métaux divalents (ou multivalents) qui se lient aux phosphates, les polarisent et augmentent leur réactivité.32a, b

De nombreux auteurs ont supposé que des températures prébiotiques plus élevées que la température ambiante actuelle sont désirables pour une synthèse biologique (réactions de condensation). La vitesse de ces réactions augmente en effet avec la température, cependant le risque de dégradation des intermédiaires prébiologiques devient aussi plus important. De plus, l’augmentation de la

température provoque une augmentation de la vitesse de trans-estérification de l’ARN3. Donc, des

basses températures associées à un faible rayonnement solaire ont pu être nécessaire pour l’accumulation de la matière prébiologique. Par exemple, l’ATP a une durée de demi-vie de

quelques années à 25°C et seulement quelques jours à 80°C même en absence des catalyseurs,35

alors que celle de l’ARN est de 23 jours à 5°C36, 33 min à 75°C et 5 min à 100°C36. Cette observation indique que la molécule d’ARN, avec sa grande complexité, peut difficilement avoir survécu longtemps en solution et surtout à haute température. Cependant, la thermo-dégradation est

inhibée par de fortes concentrations d’ions monovalents3. L’hydrosphère primitive aurait contenu

des concentrations importantes de plusieurs cations mono et multivalents (Na+, K+, Mg2+, Fe2+,..). L'effet de ces ions métalliques est difficile à prévoir. Ils sont habituellement utilisés pour stabiliser les conformations d’acide nucléique mais ils peuvent aussi piéger les polynucléotides dans des conformations inactives (Heilmann Miller et al 2001). En plus de leurs rôles structuraux, les métaux polyvalents peuvent induire un clivage de la chaîne d’ARN (fragmentation, dépolymérisation, rupture)32d ; par exemple le magnésium (Mg2+) pourrait vraisemblablement favoriser le clivage de l’ARN en facilitant le transfert de proton ou en jouant le rôle d’un acide de Lewis32b.

Les conditions de la Terre primitive contraignent bien sûr les hypothèses qui décrivent les scénarios de l’apparition de la vie. L’une de ces hypothèses propose que la vie ait pu émerger dès l'Hadéen

(4,3-3,8 Ga) avec une atmosphère riche en CO2 produisant un océan acide de pH 3,5 à 6. Une autre

proposition suppose que la vie ait apparue au sein des évents alcalins hydrothermaux

(pH 9-11) au fond de la mer, un exemple étant «Lost City ». En effet, l’interface avec l’océan acide pourrait créer un gradient de proton suffisant pour entraîner le premier métabolisme. Cependant

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l’ARN est plus stable à un pH de 4 à 5 et il est instable à un pH alcalin, soulevant la possibilité que l’ARN puisse avoir d’abord surgi dans un océan acide (proche des évents hydrothermaux, ...). En plus de ces conditions, la Terre primitive était dépourvue de couche d’ozone. Par conséquent, les rayonnements UV il y a 4 Ga étaient plus intenses à la surface de la Terre que les rayonnements actuels35, 37.

Ces radiations UV sont considérées comme une source d’énergie plausible pour des synthèses prébiologiques35. D'un autre côté, les UV sont capables de dégrader la plupart des molécules organiques. Ils sont plutôt considérés comme un obstacle majeur à la théorie du monde ARN car ils provoquent une rupture du squelette de pentose-phosphate et aboutissent à la formation de dimères de pyrimidine38. En général, l’irradiation UV des polymères d’ARN pourrait être dommageable pour les bases azotées, le squelette phosphate-sucre et les liaisons glycosidiques. Mais les liaisons éthers dans les squelettes phosphate-ribose sont plus sensibles aux lésions dues aux rayonnements UV que les monomères de bases azotées : les rendements quantiques des endommagements causés par l’irradiation UV à 254 nm sont de l’ordre de 10-2 et 10-4 respectivement pour des sucres phosphorylés et pour des monomères de bases azotés39. Il semble donc que les bases azotées protègent le squelette phosphate-ribose des rayonnements UV39. En fait, la recherche en exobiologie s'attache à proposer certaines stratégies pour protéger les premières formes de vie, dont l'adsorption

sur des surfaces minérales40; d’autres recherches ont montré la présence d'absorbeurs d’UV dans

l’atmosphère (H2S, SO2, S8) et dans les océans (Mg2+, Cl-, Br-, Fe2+, SH-) qui auraient pu contribuer également à protéger les biomolécules de la dégradation41.