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Chapitre 4 Expérimentation 1 : Le traitement de la phobie sociale

4.8 Discussion et conclusion

L’objectif de cet essai clinique était d’évaluer l’efficacité de l’ERV chez des adultes souffrant de phobie sociale. Certains de ses aspects intéressants étaient la sélection d’un échantillon composé de jeunes adultes présentant une phobie sociale significative et de longue durée, l’utilisation d’EVs abordant les divers types de l’anxiété sociale, et l’évaluation de tout l’éventail de la phobie sociale, des symptômes clé au fonctionnement global.

Les résultats ont montré que les deux traitements, TRV et TCC de groupe, étaient efficaces pour réduire les symptômes clé de la phobie sociale (mesurés par l’échelle d’anxiété sociale de Liebowitz-LSAS) et pour améliorer le fonctionnement aussi bien social que global. Aucun effet ne fut détecté sur la mesure de la dépression, probablement en raison d’un « effet de

105 plafond » en dessous duquel le traitement ne pouvait pas beaucoup soulager les symptômes

dépressifs puisque les personnes souffrant de dépression majeure étaient exclues de l’étude. Afin de comparer la TRV à la TCC de groupe, notre étude s’est focalisée sur la documentation de la taille de l’effet de la différence d’efficacité entre les deux conditions. Les analyses montrent que pour toutes les mesures, exceptée l’affirmation, la différence entre les deux traitements était petite à très petite. Ceci suggère que, lorsqu’on la compare à un traitement de référence, la TRV est très efficace. Par exemple, en ce qui concerne les symptômes de la phobie sociale, un échantillon clinique de 200 à 300 participants serait nécessaire pour détecter statistiquement une différence entre les deux formes de traitement. En tel cas, la TRV serait plus efficace qu’une TCC de groupe. Dans d’autres cas, comme celui de l’anxiété de performance, un échantillon de 3000 participants ou plus serait nécessaire étant donnée la très faible différence entre les traitements. Étant donnée la bonne documentation sur le taux de succès de la TCC de groupe comparée à un placebo ou à une absence de traitement, ces résultats montrent clairement l’efficacité de la RV dans le traitement de la phobie sociale.

Nos résultats complètent ceux déjà rapportés concernant l’utilisation de la RV dans l’anxiété de performance (North et al., 1998b; Harris et al., 2002), qui est une forme plus légère de la phobie sociale. Grâce à un environnement virtuel développé pour la peur de parler en public, d’autres chercheurs (Hodges et al., 2001; Anderson et al., 2003) ont relaté des études de cas de phobiques sociaux ayant bénéficié de traitements fondés sur la RV. L’étude actuelle va même plus loin en montrant que l’utilisation d’environnements, créés et utilisés pour exploiter des situations sociales variées telles que parler à des étrangers ou agir sous le regard des autres, est utile pour soulager tout l’éventail des symptômes de la phobie sociale.

Malgré une amélioration du niveau de l’anxiété d’affirmation similaire dans les deux traitements, le changement dans le comportement d’affirmation est apparu moins semblable. Il semblerait que, même si ce n’est pas apparu significatif, les comportements d’affirmation se seraient améliorés légèrement plus en suivant la TCC de groupe plutôt que la TRV. L’analyse de la taille de l’effet a montré une différence modérée dans l’amélioration qui pourrait devenir significative avec un échantillon de 120 participants. Il est difficile de commenter plus étant donnée l’absence de différence significative, mais cette différence pourrait devenir cliniquement significative dans certains cas.

Afin de confirmer ultérieurement l’efficacité de la RV dans le traitement de la phobie sociale, des études additionnelles doivent être menées, en commençant certainement par la comparaison de la TRV avec une TCC individuelle. En effet, une étude récente (Stangier et al., 2003) vient de comparer la TCC individuelle à deux autres conditions, la TCC de groupe et une liste d’attente. Les résultats (n=59) montrent que la TCC individuelle est supérieure à la TCC de groupe sur les mesures relatives à la phobie sociale, que ce soit après le traitement ou lors du suivi à six mois. Plusieurs explications à ce succès ont été données par les auteurs. Le format individuel renforce le caractère sécurisant de la séance et focalise l’attention du thérapeute sur le patient, favorisant ainsi la mise en œuvre des composantes du traitement. Par ailleurs, une anxiété trop élevée, générée par l’exposition au groupe, peut interférer sur les conditions nécessaires à la réduction de l’évitement et sur les conduites sécuritaires. Enfin, les comparaisons avec les autres membres du groupe peuvent entraîner des croyances dysfonctionnelles. L’impact plus ou moins négatif du groupe de TCC et celui sécurisant et facilitant du thérapeute en session individuelle a certainement joué un rôle en faveur de la TRV dans notre étude.

106 Par conséquent les études ultérieures devront prendre en considération cette nouvelle donnée,

ainsi que l’inclusion d’une troisième condition contrôle qui serait un placebo ou une liste d’attente de traitement. La comparaison avec un traitement pharmacologique pourrait aussi fournir une information intéressante. Comparées à l’analyse des tailles de l’effet, ces approches plus traditionnelles reproduiraient nos résultats avec une méthodologie différente. La réalisation d’un suivi à six et/ou douze mois permettrait d’évaluer le maintien des apports dans la durée. De plus, l’inclusion de patients souffrant de dépression associée, d’abus de substance et d’autres troubles anxieux serait aussi utile.

Enfin diverses perspectives restent à explorer comme l’immersion du sujet. Ainsi que nous l’avons mentionné dans le paragraphe 4.5.1, notre étude s’était vu attribuer la condition non immersive du projet Vepsy. Par ailleurs, il serait intéressant d’envisager le recueil de mesures physiologiques afin de conforter les réponses aux questionnaires, ou même de gérer l’évolution de la séance ; la graduation du niveau anxiogène des diverses situations d’exposition.

Malgré ces résultats, le fait que des humains virtuels 3D créés par l’ordinateur puissent être efficaces peut paraître surprenant. C’est même plus déconcertant quand on reconnaît le fait que ces humains virtuels ne sont pas des représentations parfaites de l’être humain réalisant des comportements interpersonnels complexes et précis. Cependant, il existe un nombre grandissant de données expérimentales permettant d’interpréter ces résultats. Par exemple, James et al.(James et al., 2003) ont immergé dix personnes non phobiques dans des environnements sociaux virtuels variés et ont trouvé une augmentation de l’anxiété quand les participants devaient interagir avec des humains virtuels qui apparaissaient se désintéresser de la présence des participants. Plus tard, la même équipe de recherche (Slater et al., 2004) a comparé les réactions de 16 phobiques et de 20 non phobiques alors qu’ils devaient faire un discours dans l’une des deux conditions suivantes : une salle de séminaire vide ou devant un groupe d’humains virtuels au comportement neutre. Le niveau d’anxiété n’était pas très élevé chez les non phobiques dans les deux conditions, mais il était significativement plus élevé chez les phobiques dans la salle vide et même plus élevé encore quand les phobiques ont fait leur discours devant les humains virtuels neutres. Ces résultats étaient fondés sur des auto questionnaires mesurant l’anxiété et des mesures de la fréquence cardiaque. Allant même plus loin, ces chercheurs (Pertaub et al., 2002) ont comparé les réactions de 43 personnes souffrant de la peur de parler en public quand elles faisaient un discours devant une audience d’humains virtuels qui répondaient de façon neutre, positive ou négative au discours. Les discours faits devant l’audience négative induisaient significativement plus d’anxiété et ont été notés de façon moins satisfaisante que les discours faits devant l’audience neutre. Dans une étude d’un autre genre, Herbelin et al. ont demandé à dix personnes non phobiques de parler dans une pièce remplie seulement d’images d’yeux les regardant (Herbelin et al., 2002). Même dans cette condition non réaliste, les participants ont rapporté une augmentation significative de l’anxiété et de la fréquence cardiaque. Toutes ces données montrent que les personnes peuvent réagir émotionnellement devant des humains virtuels et devant leurs comportements, même si ce ne sont que des représentations non réalistes d’êtres humains. Une explication prometteuse peut être trouvée dans l’interaction entre la crédibilité de la réalité virtuelle et les émotions ressenties par l’utilisateur immergé dans l’environnement virtuel. L’incrédulité en suspens et l’illusion perceptuelle de non-médiation se réfèrent au concept de présence (l’illusion d’y être) (Lombard and Ditton, 1997; Sadowski and Stanney, 2002). Ce phénomène peut être facilité par l’excitation émotionnelle induite chez les participants par la simple idée d’être impliqué dans une interaction sociale potentielle. Même

107 si les humains virtuels ne sont pas des répliques parfaites des humains, un niveau minimal de

réalisme pourrait être suffisant pour exciter et susciter des émotions négatives (Klinger et al., 2004d). Ces réactions peuvent réciproquement interagir avec la présence et l’impression que les humains virtuels sont crédibles.

Ceci est suggéré par une forte corrélation entre l’anxiété, la présence et le réalisme (Robillard et al., 2003), ainsi que l’ont montré deux études expérimentales menées par Bouchard et al. Dans une première étude (Bouchard et al., 2005), 31 personnes souffrant de la phobie des serpents ont été immergées dans un environnement virtuel alors que l’anxiété était expérimentalement manipulée. Dans certaines immersions, les participants étaient faussement conduits à croire que l’environnement grouillait de dangereux serpents cachés, une situation qui induisait fortement de l’anxiété. Dans les immersions avec induction d’anxiété, le niveau de présence était significativement plus élevé que dans les immersions sans induction d’anxiété. Dans une seconde étude (Michaud et al., 2004), le sentiment de présence a été expérimentalement manipulé sur un échantillon de 33 acrophobes qui devaient prendre un ascenseur et exécuter des tâches sur un échafaudage à l’extérieur d’un immeuble de 15 étages. Quand l’immersion dans l’environnement virtuel était conduite avec un haut niveau de présence, le niveau d’anxiété était significativement plus élevé que lorsque l’immersion était conduite avec un bas niveau de présence.

Dans leur ensemble ces résultats montrent l’existence d’une relation bidirectionnelle entre la présence et l’anxiété. Ils peuvent aussi suggérer qu’avec un niveau minimal de présence ou de réalisme, un environnement virtuel peut induire l’anxiété, qui à son tour sert le sens de présence ou de réalisme, et ainsi de suite pour atteindre le point où des humains virtuels imparfaits peuvent provoquer suffisamment d’anxiété pour traiter la phobie sociale aussi efficacement que des êtres humains.

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Chapitre 5 Expérimentation 2 : L’évaluation de la