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Chapitre 3 État de l’art de l’utilisation de la réalité virtuelle en psychiatrie et

3.3 Exploitation de la réalité virtuelle en neuropsychologie

3.3.3 Les autres applications en neuropsychologie

3.3.3.1. Les activités de la vie quotidienne

Certains EVs ciblant des processus cognitifs décrits dans les chapitres précédents peuvent être également analysés dans ce contexte des activités de la vie quotidienne (AVQs). Cependant dans ce paragraphe nous présenterons des applications focalisées sur les comportements requis pour les AVQs. Ces approches fonctionnelles appuient le développement d’EVs écologiques ayant pour objectif de tester et ultérieurement d’entraîner un grand répertoire de comportements chez des personnes limitées dans leur capacité d’apprentissage dans le monde réel (handicap de naissance ou conséquence d’une altération cérébrale). Ces EVs peuvent être utilisés d’une part pour évaluer le comportement fonctionnel, et d’autre part pour délivrer un entraînement pertinent, hiérarchique et sécuritaire.

Des EVs ont ainsi été développés pour cibler les compétences fonctionnelles requises lors de situations où la sécurité est mise en jeu, du déplacement avec des chaises roulantes, de la préparation des repas, de l’utilisation de transports publics, de la conduite, et aussi pour l’analyse de l’évitement d’obstacles chez les personnes âgées risquant de tomber.

Situations sécuritaires

La traversée des rues peut présenter des dangers pour les enfants ou pour toute personne souffrant de certains handicaps (e.g. visuels, attentionnels, moteurs). Une application virtuelle a ainsi été développée pour enseigner des conduites sécuritaires à des piétons, et par la suite vérifier s’il y avait transfert des acquis de l’EV vers le monde réel (McComas et al., 2002). Une ville virtuelle a été créée ; elle comporte huit intersections caractérisées par leur type (stop, feux, pas de signalisation), leur taille (une à quatre voies) et des éléments distracteurs (e.g. bruit, piétons, parc). A chacune des intersections quatre conduites sécuritaires sont attendues du participant (s’arrêter ; regarder gauche-droite-gauche ; marcher sur le trottoir contre la rue ; rester attentif en traversant). Des avertissements s’affichent en cas de position dangereuse. L’EV est visualisé sur l’écran de trois ordinateurs placés en arc de cercle devant le participant ; la tête du participant est traquée afin de vérifier les coups d’œil sur les deux côtés avant de traverser. 95 enfants venant de deux écoles (ville et banlieue) ont participé à l’étude. Ils ont été observés pendant une semaine, avant et après l’intervention, aux environs de leur école. La moitié d’entre eux a été soumise à un EV sans rapport avec la traversée de rue (groupe témoin), et l’autre moitié au programme virtuel sécuritaire, exécuté trois fois (groupe test). Leur tâche a été de se rendre d’une maison virtuelle à une école virtuelle le long d’un chemin empruntant les huit intersections. Les résultats montrent que, chez les enfants du groupe test, il y a eu d’une part apprentissage des conduites sécuritaires et d’autre part transfert d’apprentissage pour les enfants venant de la banlieue, mais pas pour ceux venant de la ville.

Par ailleurs, une étude de faisabilité a été menée auprès d’enfants autistes dans le but de les entraîner à traverser les rues en toute sécurité (Strickland et al., 1996) (Figure 17). Les enfants

68 ont accepté le port du casque et ont été capables de suivre des voitures en mouvement et de

sélectionner des objets. Des efforts continus avec cette population (Strickland, 1997) et avec des enfants de déplaçant en chaise roulante (Inman et al., 1997; Desbonnet et al., 1998) sont en cours pour cibler les comportements fonctionnels requis dans les situations où la sécurité est en jeu (Figure 17). Dans les deux dernières applications citées, un interfaçage entre la chaise roulante et l’EV a été mis en place permettant la navigation dans l’EV au moyen d’éléments de la chaise : soit en utilisant la vitesse de rotation des roues arrière de la chaise (Inman et al., 1997), soit en agissant sur le joystick de la chaise (Desbonnet et al., 1998). L’EV a permis aux participants d’acquérir une certaine dextérité dans la manipulation de leur chaise et ainsi de pouvoir concentrer leur attention sur d’autres tâches, comme celle de traverser les rues. Dans ces mêmes perspectives, des EVs ont été créés pour entraîner des patients à se déplacer en chaise roulante de façon à améliorer leurs capacités à contrôler la chaise sans heurter les objets (manœuvrabilité) ainsi que leur capacité à retrouver leur chemin dans un environnement complexe (Harrison et al., 2002). Les premières expérimentations auprès de six participants ont montré le potentiel de l’entraînement dans un EV mais aussi souligné le besoin de développements afin de mieux modéliser la chaise et son déplacement, de faciliter la navigation des participants dans l’EV.

Conduite de voiture

La perte de la possibilité de conduire ou de l’autorisation de conduire entraîne chez les patients cérébrolésés ou chez les sujets âgés une diminution de leur autonomie. La décision incombe au thérapeute. Elle est subjective et les critères peuvent varier d’un thérapeute à l’autre. Des simulateurs de conduite ont été développés dans l’objectif de fournir un verdict plus objectif.

Ainsi le simulateur driVRTM que nous avons décrit dans le cadre de la phobie de la conduite (§

3.1.2.1) a été testé auprès de patients ayant subi un traumatisme crânien (n=17) et de sujets sains (n=17) du même âge (Liu et al., 1999), alors que différentes variables étaient mesurées (e.g. vitesse, freinage, changement de file). Les résultats montrent que le système permet de discriminer entre les deux groupes de sujets.

Puis un autre simulateur de conduite a été développé (Ku et al., 2002) et utilisé pour évaluer des patients atteints au niveau de la moelle épinière: il est composé d’une voiture réelle connectée à un ordinateur, d’un projecteur et d’un grand écran. La voiture est équipée d’outils de contrôle manuels adaptés aux sujets handicapés, les sujets sains utilisant les pédales habituelles. L’EV est composé de 18 sections (i.e., route limitée en vitesse, route droite, route courbe, virage à gauche), chaque section étant liée naturellement à la suivante. L’EV a été testé par 10 conducteurs sains et 15 patients accidentés ayant une expérience de conduite antérieure. La différence de méthode de manipulation (pieds / mains) ne semble pas avoir influencé la performance relative dans le simulateur, cependant l’entraînement pour améliorer l’usage des contrôles manuels est nécessaire pour diminuer la peur que les patients ressentent durant la conduite.

Enfin des expérimentations ont été menées dans le Iowa Driving simulator, un EV hautement immersif de simulation de conduite. Elles ont permis de comparer les performances de personnes âgées contrôle avec celles de patients en début de maladie d’Alzheimer. Comme il fallait s’y attendre, les performances des sujets du groupe Alzheimer ont significativement moins bonnes ; ils ont notamment causé plus d’accidents (Rizzo et al., 1997).

Etant donnée l’importance que beaucoup de sujets accordent au fait d’être capables de continuer à conduire, l’entraînement dans les simulateurs de conduite est motivant.

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Activités dans une ville virtuelle

L’idée d’utiliser une ville virtuelle pour explorer et entraîner les compétences fonctionnelles a également été examinée (Brown et al., 1998) (Figure 33). Ainsi un groupe d’utilisateurs potentiels présentant des difficultés d’apprentissage (retard mental) (n=15) a travaillé avec un accompagnant au développement d’une ville virtuelle. L’EV, présenté sur écran plat, permet d’aborder les compétences à vivre de façon indépendante chez des personnes présentant des difficultés d’apprentissage et de développement. Les applications créées concernent l’usage des transports publics, la sécurité routière, la sécurité à la maison, l’usage des aménagements publics dans un café, et les aptitudes à faire des achats dans un grand supermarché (Figure 34). L’évaluation de l’EV a concerné autant son aspect visuel que sa facilité d’utilisation ou encore sa capacité à gérer l’apprentissage de tâches.

Une étude initiale de faisabilité, menée avec cette ville virtuelle, a permis de tester vingt sujets atteints de différents types et niveaux de retard mental qui ont rapporté un grand plaisir à réaliser les tâches et une facilité d’utilisation du système supérieure à celle qui avait été espérée (Cobb et al., 1998). Le transfert vers le monde réel a été constaté pour certaines compétences. Le travail avec ce scénario évolutif continue et les résultats de mesures systématiques de l’apprentissage et du transfert sont attendus.

Une étude antérieure de transfert d’apprentissage avait été menée chez des étudiants avec un sévère retard mental grâce à l’entraînement dans un supermarché virtuel modélisé d’après un supermarché réel (Cromby et al., 1996). Après l’entraînement dans l’EV les sujets étaient plus aptes à naviguer et à sélectionner des items spécifiques dans le supermarché réel et ces sujets étaient meilleurs dans leurs performances que ceux qui s’étaient entraînés dans des EVs non spécifiques.

De tels résultats avec ces populations sont importants pour appuyer les observations antérieures de transfert d’apprentissage. Mais de nombreuses questions restent encore posées : Quel est le maintien à long terme des acquis en RV ? Combien de temps faut-il s’entraîner dans un EV avant que le sujet puisse pratiquer dans le monde réel et commence à apprendre dans le monde réel ?

Activités dans une cuisine virtuelle

Une autre compétence essentielle à l’autonomie de vie est la confection de repas. Citons tout d’abord cette étude menée avec une cuisine virtuelle (visiocasque) auprès de personnes ayant subi un traumatisme crânien (Christiansen et al., 1998) (Figure 31). Son but a été d’évaluer capacité de 30 patients à réussir les 30 étapes nécessaires à la préparation d’une casserole de soupe. Sous réserve du succès de chaque étape, divers signaux auditifs et visuels peuvent être présentés pour favoriser une performance et un apprentissage plus rapides. Cet EV a été utilisé dans une étude menée auprès de 54 patients ayant subi un traumatisme crânien (Zhang et al., 2003) qui durent préparer des repas à la fois dans une cuisine virtuelle et dans une cuisine réelle, deux fois sur une période de trois semaines. Les patients se sont bien adaptés au visiocasque. Les résultats montrent que le test dans la cuisine virtuelle prévoit bien ce qui se passe dans la cuisine réelle et se révèle être une méthode d’évaluation fiable et valide des compétences fonctionnelles de personnes ayant subi un traumatisme crânien.

Dans d’autres approches, les chercheurs ont développé une cuisine virtuelle à l’image d’une cuisine réelle (Davies et al., 1999) (Figure 32). Différentes tâches peuvent être exécutées (faire un café, frire un œuf, faire un toast et mettre la table) comme l’utilisateur le souhaite, dans la cuisine réelle ou dans la cuisine virtuelle. Différentes stratégies d’apprentissage peuvent être utilisées (essai et erreur, sans erreur), avec assistance ou non du

70 thérapeute. La navigation s’exécute selon trois dimensions via un clavier spécial et

l’interaction se fait au moyen d’un écran tactile. Mais la souris peut aussi être utilisée. Un aspect important de cet EV est le rôle des sons stéréo. Des sons réalistes viennent parfois compenser le manque de réalisme dans les effets visuels, encourageant le sujet dans ses actions. Les sons peuvent aussi fournir des indications au sujet quant au statut de certains objets (Davies et al., 2002). Alors qu’une étude initiale avait concerné des sujets non handicapés et la faisabilité de l’approche, les auteurs travaillent actuellement sur le test des outils de navigation et d’interaction afin de préciser le potentiel de tels environnements avec des populations cliniques.

Enfin d’autres modalités d’interaction peuvent être envisagées comme le gant de réalité virtuelle (Gourlay et al., 2000) utilisé dans cette cuisine où les patients sont supposés préparer une tasse de café pendant que le système supervise leurs fonctions exécutives.