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Chapitre 3 État de l’art de l’utilisation de la réalité virtuelle en psychiatrie et

3.2 Des techniques de distraction de la douleur

L’intensité de la douleur et les souffrances vécues par les patients pendant leurs soins ou leurs exercices est un problème critique rencontré par les brûlés mais aussi par bon nombre d’autres patients. Les calmants, qui sont appropriés en période normale, deviennent inefficaces dans ces moments de crise. La douleur, exacerbée par les réponses émotionnelles, monopolise l’attention des patients et peut les décourager dans le suivi de leurs soins ou de leurs exercices.

Partant de ces constats, des chercheurs se sont demandé si l’immersion dans un environnement virtuel pouvait jouer le rôle d’un analgésique non pharmacologique dans le cas de douleurs sévères. C’est ainsi que Hoffman et al. ont démarré des travaux se fondant sur l’hypothèse que la RV serait un médium capteur d’émotion capable de : détourner au maximum l’attention du patient de sa douleur ; permettre aux patients de tolérer leurs soins ou leurs exercices (Figure 21).

Un environnement typique, développé par cette équipe est le Snow World. Cet EV présente une vallée glacée avec une rivière et des chutes d’eau (Figure 22). Le patient suit un chemin prédéfini dans l’EV et peut regarder autour de lui grâce au visiocasque, ou grâce à la souris dans les expérimentations avec lunettes sans trackeur de tête. Les participants lancent des boules de neige sur des bonhommes de neige et des igloos soit avec leur regard soit avec le clavier. Les boules de neige explosent avec des animations et des effets 3D.

Une étude contrôlée auprès de 12 adultes brûlés a permis de comparer deux conditions de kinésithérapie : sans distraction et avec immersion dans un EV (visiocasque). Dans la condition RV, la douleur ressentie a été moindre dans son intensité et dans sa durée (Hoffman et al., 2000b).

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Figure 21 : Distraction pendant les soins (Hoffman

et al., 2000)11 Figure 22 : Distraction pendant les soins (Hoffman et al., 2000)11

Puis considérant le cas de deux adolescents brûlés, l’ERV fut comparée à l’interaction avec une console de jeu Nintendo (joystick ; courses de jet ski ou de voitures) (Hoffman et al., 2000a). Dans la condition RV, le participant portait un visiocasque ; sa main était trackée et ses mouvements transmis à une main virtuelle dans l’EV (tâche : manipulation de meubles et d’objets dans une cuisine virtuelle). Les niveaux de douleur relevés sous ERV étant inférieurs, les auteurs ont conclu au pouvoir distracteur supérieur de l’ERV. Ils se sont interrogés sur le fait que dans la condition ERV les patients ne pouvaient pas voir leurs brûlures, alors que c’était possible dans la condition de jeu.

Continuant leurs travaux sur la douleur, ils se sont intéressés au cas de personnes souffrant de douleurs dentaires (Hoffman et al., 2001a) et ont comparé, auprès de deux patients, trois situations de soins : a) sous ERV (lunettes et souris) ; b) en regardant un film ; c) sans distraction. Les résultats montrent que la réalité virtuelle a le fort potentiel de capter l’attention, de la détourner du monde réel, permettant ainsi aux sujets de mieux supporter des soins douloureux. Le rôle analgésique de la RV peut venir du fait de la réduction des stimuli associés à la douleur (dans le cas présent, le cabinet du dentiste, les outils, les bruits).

Puis cette équipe a exploré l’influence d’une utilisation répétée de l’ERV chez sept patients brûlés (Hoffman et al., 2001b). Les résultats confirment le pouvoir analgésique de la réalité virtuelle et montrent que son usage répété n’en diminue pas l’efficacité.

Une nouvelle situation d’exposition a été envisagée. Le patient, assis dans une baignoire et porteur d’un visiocasque, est immergé dans l’EV Snow World pendant que des soins sont prodigués à ses blessures. Ce traitement permet de réduire les douleurs sensorielles et affectives du patient et de lui accorder un répit dans ses pensées concentrées sur la douleur (Hoffman et al., 2004a).

Enfin l’activité du cerveau liée à la douleur a été mesurée par IRMf dans deux conditions : sous ERV et sans réalité virtuelle. Le pouvoir de la RV à réduire l’activité des cinq zones d’intérêt du cerveau a été mis en évidence. Les résultats montrent une modulation directe des réponses du cerveau par la distraction sous réalité virtuelle (Hoffman et al., 2004b).

Cette équipe poursuit ses travaux conjoints sur la RV et la douleur dans l’objectif de comprendre le pouvoir analgésique de la RV (Hoffman et al., 2004c).

Étant donné le pouvoir distracteur de la RV révélé dans les études décrites ci-dessus, des chercheurs ont pensé utiliser ce potentiel pour soutenir les personnes cancéreuses. Ces

50 dernières, lorsqu’elles subissent une chimiothérapie, peuvent ressentir des symptômes de

détresse et avoir des difficultés à adhérer au programme de soins prescrit. Une étude pilote a envisagé l’utilisation de la réalité virtuelle pour distraire des enfants cancéreux lors de leurs séances de chimiothérapie (Schneider and Workman, 2000). Ses résultats ont mis en évidence un certain rôle distracteur de la réalité virtuelle et ont été confirmés par des études ultérieures comparant différentes conditions de chimiothérapie chez des femmes souffrant de cancer du sein (Schneider et al., 2004) ou différentes conditions de traitement invasif chez un enfant cancéreux (Gershon et al., 2003). Des études sur des échantillons plus importants, comparant différents éléments distracteurs sont nécessaires pour confirmer ces résultats.

Détourner l’attention du patient de sa souffrance, de sa détresse est donc l’un des objectifs de toutes ces applications des technologies de la réalité virtuelle.

Tableau 2 : Applications de la réalité virtuelle dans la distraction de la douleur

Intervention Auteurs Objectif Conclusion

Techniques de

distraction (Hoffman et al., 2000b) Étude contrôlée, auprès de 12 adultes brûlés, du pouvoir de distraction de l’ERV (visiocasque)

La RV peut jouer le rôle d’un analgésique non pharmacologique (Hoffman et

al., 2000a)

Étude de 2 cas d’adolescents brûlés, comparaison ERV / jeu vidéo (visiocasque si ERV)

Niveaux de douleur inférieurs sous ERV, meilleur pouvoir distracteur de la RV, importance de la réalisation d’une tâche (Hoffman et

al., 2001a)

Étude de 2 cas dans le cadre de douleurs dentaires, comparaison de 3 situations de traitement

(lunettes si ERV)

La RV permet de capter

l’attention, de supporter des soins douloureux,

importance de la réduction des stimuli visuels liés à la douleur (Hoffman et

al., 2001b)

Exploration de l’influence de l’ERV répétée chez des brûlés

(visiocasque)

La RV fonctionne comme un analgésique, la répétition ne diminue pas l’effet

(Hoffman et al., 2004a)

Étude de cas, ERV d’un patient brûlé lors de soins dans une baignoire (visiocasque)

La RV permet de détourner l’attention des sujets (Hoffman et

al., 2004b)

Mesure par IRMf de l’activité du cerveau liée à la douleur avec ou sans ERV

Modulation des réponses du cerveau par la distraction sous RV (Schneider and

Workman, 2000)

Étude pilote auprès d’enfants cancéreux lors de chimiothérapie (visiocasque)

La RV semble efficace pour distraire lors de soins difficiles (Gershon et al.,

2003)

Étude de cas chez un jeune cancéreux lors de procédure médicale invasive, comparaison de conditions de traitement (visiocasque)

L’ERV permet de diminuer les niveaux d’anxiété et de douleur (Schneider et

al., 2004)

Étude croisée auprès de 20 femmes ayant un cancer de la poitrine, comparaison de 2 conditions lors chimiothérapie (visiocasque)

La distraction par ERV diminue les niveaux d’anxiété

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