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Chapitre 5 Expérimentation 2 : L’évaluation de la planification de l’action

5.8 Discussion et Conclusion

Les déficits cognitifs rencontrés dans la maladie de Parkinson comportent les troubles des fonctions exécutives, et en particulier ceux de la planification. Ils peuvent être évalués par des paradigmes neuropsychologiques élaborés et sont documentés (Dubois and Pillon, 1997; Carbon and Marie, 2003). Mais très peu d’études ont permis une mise en évidence quantitative des conséquences de ces déficits dans des activités de la vie quotidienne. La présente étude a tout d’abord été construite pour développer un environnement virtuel destiné à l’exploration de la planification, mais aussi pour évaluer la planification de l’action dans le cadre d’une étude pilote comparant les performances de patients parkinsoniens à celles de sujets contrôle, dans l’exécution d’une tâche de patients.

Nous avons donc développé un supermarché virtuel (SV) permettant l’exploration de la planification au travers de la réalisation d’une tâche de commissions. Ainsi que le révèle l’analyse de la connaissance sémantique liée à la tâche, tous les participants ont bien compris la tâche qui leur était proposée ainsi que l’utilisation du logiciel. Les difficultés potentielles, liées à la navigation avec le clavier et à la sélection d’items avec la souris, ont été minimisées grâce à l’expérimentation lors de la séance de familiarisation, tout d’abord avec le thérapeute, puis finalement libres jusqu’à ce qu’ils se familiarisent avec les interfaces. De plus, après la tâche, nous avons organisé une période de discussion pendant laquelle les patients pouvaient exprimer les difficultés qu’ils avaient pu rencontrer. Nous n’avons pas observé de problèmes

129 concernant l’usage des interfaces, simplement quelques difficultés pour apprécier la distance à

partir de laquelle il était possible de saisir les objets sur certaines étagères. Rappelons que les patients parkinsoniens recrutés ne présentaient pas de fluctuations de leur état moteur.

A la différence de Lee et al., nous avons donné la priorité à la similarité entre notre SV et un supermarché réel (Lee et al., 2003a). En fait, nous avons pris en considération les dimensions d’un supermarché de taille moyenne et nous avons créé les différentes allées habituelles, avec leur variété de produits. Nous avons laissé la possibilité d’ajouter un fond sonore, ce qui est usuel dans un supermarché réel. D’autres caractéristiques ont également été retenues pour conférer au supermarché virtuel un certain degré écologique : position du participant derrière le chariot, point de vue subjectif.

Dans notre SV, les choix et les décisions ne sont pas seulement évoqués, mais réellement exécutés. La cascade des événements, tels que actions et réactions, est partiellement préservée, ce qui représente une nette supériorité par rapport aux tests traditionnels. De plus, les participants font vraiment face à des situations et ne doivent pas seulement les décrire au moyen de mots (Damasio, 1995). Les diverses données enregistrées dans le supermarché permettent l’interprétation ultérieure de la précision et de la rapidité des réponses comportementales des participants.

L’interfaçage entre le participant et l’EV est une question cruciale en réalité virtuelle. Le choix doit être fait en fonctions des capacités des patients, du niveau d’immersion escompté. La compréhension des participants doit être aussi rapide que possible, quasiment sans entraînement. Nous avons décidé, dans cette première approche, d’utiliser la souris et le clavier, et les participants ont manipulé correctement les deux.

Une étude pilote a par ailleurs été menée dans notre SV avec pour objectif l’évaluation de la planification de l’action chez des patients parkinsoniens et chez des sujets contrôle du même âge. Leurs performances ont été comparées dans une tâche de commissions, grâce aux diverses mesures enregistrées tout au long de la séance d’évaluation. Mais avant de discuter ces performances, revenons sur les conditions expérimentales de l’étude. Les durées des séances d’évaluation des patients (28.8 ± 15.4 minutes) nous confortent dans le choix de la visualisation sur écran d’ordinateur. Une telle durée avec port de visiocasque aurait risqué d’entraîner des malaises, tels cinétose (Stanney et al., 2002).

Globalement la planification de nos patients n’apparaît pas indemne, ceci en accord avec la littérature indiquant que ce processus est de fait souvent perturbé chez les patients parkinsoniens (Saint-Cyr et al., 1988; Owen et al., 1992; Owen, 1997). Mais les difficultés de planification bien que souvent rapportées, notamment à l’épreuve des Tours : Tour de Londres (Owen et al., 1992) et Tour de Toronto (Saint-Cyr et al., 1988), n’ont pas été encore parfaitement précisées quant à leur mécanisme.

Les données que nous avons recueillies nous ont conduits à analyser trois types de mécanismes. Tout d’abord, les mesures caractérisant la vitesse de traitement de l’information confirment le ralentissement attendu chez les malades parkinsoniens (Rogers, 1986). La bradyphrénie décrite chez ces patients coïncide avec un ralentissement des processus centraux de traitement de l’information se manifestant par un allongement des temps de réponse. Toutefois, le temps initial de planification, que nous avons assimilé au temps de mise en mouvement, ne présente pas de différence significative entre les deux groupes ; on pourrait ainsi le considérer trop court pour les patients, étant donné le ralentissement évoqué précédemment. Ce résultat est en rapport avec ceux déjà publiés et mettant en rapport un court temps initial de planification et une formulation incorrecte du but. A l’épreuve de la Tour de

130 Toronto, Saint-Cyr rapporte une augmentation du nombre de déplacements nécessaires pour

parvenir à la solution (Saint-Cyr et al., 1988). Les performances suggèrent que les patients parkinsoniens n’ont pas de difficultés à construire un plan d’action, étant donnés que leurs temps de latence, dits de planification, sont équivalents à ceux des sujets contrôle. Mais en revanche, ils éprouvent des difficultés à utiliser ensuite le plan d’action construit.

Puis, l’absence de différence entre patients et contrôles dans la connaissance sémantique globale liée à la tâche nous conduit à conclure à l’intégrité des processus requis pour récupérer l’information liée à la tâche. Le taux d’erreur des patients est toutefois plus élevé sans que cela soit significatif. L’accès aux connaissances sémantiques de type script est également décrit comme préservé dans la maladie de Parkinson (Zalla et al., 2000).

Enfin, la différence de comportement entre patients et contrôles dans l’organisation spatio- temporelle est soulignée par les données enregistrées : les patients ont besoin de plus de temps pour effectuer la tâche et couvrent une distance plus longue. Cette différence n’est pas due à des difficultés motrices puisque les participants naviguent avec le clavier. Elle est plutôt la conséquence de leurs hésitations, de leurs nombreux arrêts, et de leur recherche de produits non conforme à la position des produits dans le supermarché. Les patients ont plus de difficultés à maintenir leurs objectifs et ils dévient souvent par rapport à ceux-ci. Ils ont tendance à beaucoup errer dans le supermarché, revenant sur leurs pas, sur explorant certaines zones.

Même si dans l’ensemble les patients réalisent toute la tâche, le score de classement catégoriel est révélateur de leur difficulté à en organiser le séquençage. Leur utilisation des éléments contextuels du SV est sans doute insuffisante. Plutôt que de conclure à une altération de la représentation de script à proprement parler, Zalla évoque un déficit de flexibilité, une altération du mécanisme de switching nécessaire pour traiter en parallèle plusieurs informations (Zalla et al., 1998). Elle interprète de cette manière les erreurs de séquence commises par les patients parkinsoniens. La proportion d’erreurs de séquence dans l’étude des scripts menée par Godbout est aussi significativement plus élevée chez les patients parkinsoniens que chez les contrôles. Ces résultats concordent avec certaines études qui montrent que la maladie de Parkinson peut affecter l’organisation temporelle d’événements (Taylor et al., 1986; Vriezen and Moscovitch, 1990).

Ainsi la différence de comportement entre patients et sujets contrôle semble liée aux difficultés d’organisation spatio-temporelle des patients. Ces résultats rappellent le comportement de patients frontaux décrit par Zalla dans un appartement 3D où la séquence du déplacement adoptée par les patients n’était pas aussi optimale que celle adoptée par les contrôles (Zalla et al., 2001).

En résumé et selon notre étude, les processus de planification chez nos malades parkinsoniens présentent les caractéristiques suivantes : (a) la formulation du but est correcte ainsi que le montrent les scores relatifs à la connaissance sémantique de la tâche ; (b) le ralentissement du traitement de l’information ne joue qu’un rôle relativement modeste ; (c) par contre, l’organisation spatio-temporelle des patients semble nettement perturbée. La performance dans le supermarché virtuel apparaît plus sensible aux altérations de la planification que les tests neuropsychologiques auxquels les patients ont été soumis.

Par ailleurs, il existe une concordance entre l’évaluation clinique intuitive et la quantification issue du supermarché. Lors de l’interview clinique, les plaintes des patients sont d’ordre général (« ma mémoire n’est pas bonne ») ; elles expriment un changement par rapport à « avant » mais sont rarement précises. La SV permet de préciser des difficultés des patients, d’engager le dialogue avec eux, de les réinterroger. Il est à noter que les patients ont jugé très utile de revoir leur performance, percevant dans cette approche une aide pour mieux

131 comprendre leur comportement dans la vie réelle. L’objectif est de proposer une possibilité

d’amélioration aux patients, donc un entraînement. Le SV pourrait ainsi servir de base à une perspective de réhabilitation (cf Chapitre 7 § 7.2.8 et l’Annexe 17).

Conclusion

Nous avons présenté une approche fondée sur la réalité virtuelle de l’évaluation de la planification de l’action dans la maladie de Parkinson. Malgré un nombre limité de participants, notre étude a permis de dissocier différentes composantes de la planification et a mis en évidence l’efficacité potentielle de cette nouvelle approche. Nos données suggèrent un ralentissement des processus de planification dans la maladie de Parkinson ainsi qu’une utilisation inefficace des éléments contextuels de l’environnement. Cependant ces résultats doivent être confirmés sur un plus grand échantillon, au travers de la réalisation de tâches diverses, avec une analyse plus poussée encore des paramètres enregistrés. Il sera alors possible d’investiguer les questions qui restent posées, concernant par exemple l’influence de la mémoire, du sexe, des capacités spatiales, de l’habitude de faire les courses ou encore des outils de navigation, sur la réalisation de la tâche et par conséquent sur l’évaluation de la planification de l’action.

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Chapitre 6 Apports de la réalité virtuelle à la prise