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3.2 Étude de l’état mou des cristaux

3.2.5 Discussion

3.2.5.1 Sur l’amplitude de la réduction

Nous avons démontré que la plasticité des cristaux d’4He était réversible et ani- sotrope car les dislocations glissent sans dissipation dans les plans de base. Si elles sont arrangées dans un réseau de Frank simple, les dislocations ne peuvent contri- buer qu’à une réduction maximum de 5% de c44[1] (voir Chapitre 1.1). Cela implique donc que dans notre cas, elles doivent être alignées en joints de grain faibles [55] et par conséquent elles "coopèrent" à une réduction de c44 bien plus importante comme cela avait été déjà proposé par Rojas et al. [77]. Si on considère une densité de dis- locations typique de l’ordre de Λ = 10−4 cm−2, on peut alors estimer l’amplitude de leur mouvement. Pour une déformation de ε = 3 × 10−8 à 10 kHz, on trouve que les dislocations se déplacent d’une distance d ≈ ε/Λb de l’ordre de 1 µm, soit une vitesse de 6 cm/s. Cela équivaut à près de 200 millions de vecteurs de Burgers à la

seconde (b ∼3,7 Å), un effet géant, à notre connaissance sans équivalence dans les cristaux classiques.

Un question importante est de savoir si les dislocations se déplacent par effet tunnel ou par activation thermique au-dessus de faibles barrières de Peierls. Le mouvement réversible et sans dissipation ni dépendance en contrainte des disloca- tions semble suggérer un effet tunnel. Toutefois, en particulier pour l’hélium-4, il faut aussi considérer que les vibrations de point zéro participent au mécanisme de glissement comme cela a été proposé et calculé numériquement par Proville et al. pour le glissement d’une dislocation vis dans un cristal classique [114]. L’énergie de kink Ek étant inversement proportionnelle à sa largeur, les fluctuations quantiques réduisent probablement l’énergie des kinks en augmentant leur largeur, ce qui fa- cilite l’activation thermique. L’énergie de kink est déjà très faible dans les métaux classiques. Vegge et al. [115] calcule une hauteur de barrière à franchir pour la mi- gration d’un kink de l’ordre 2 mK dans le cuivre. On peut alors supposer que dans un cristal quantique, les kinks soit très étendus et donc d’énergie encore plus faible. Si kBT > Ek, les lignes de dislocations sont envahies de kinks et ne sentent pas l’influence du réseau cristallin comme c’est le cas pour les marches à la surface de cristaux [116–118] dont la dynamique est aussi linéaire et non dissipative dans la li- mite des basses températures. Un calcul de l’énergie de kink Ek dans le cas de l’4He solide pourrait indiquer si ce mouvement est quantique ou classique. Le prouver expérimentalement nous paraît difficile.

Cette étude a permis de démontrer un autre résultat important, dans le contexte de la supersolidité de l’4He. Parmi les théories expliquant l’existence de l’état su- persolide dans le cas de l’4He, l’une d’elle est fournie par Anderson [119]. Dans son modèle, l’état fondamental du cristal quantique est supersolide. Alors, la pré- sence d’un grand nombre de tourbillons quantiques qui interagissent avec le réseau augmente la rigidité du cristal qui serait par conséquent plus rigide dans l’état su- persolide que dans l’état normal. Nous avons montré que l’état d’un cristal de pureté naturelle à basse température a la même rigidité que l’état normal à haute tempéra- ture parce que dans les deux limites, les dislocations ne contribuent pas au module de cisaillement. Ce résultat est contraire à la prédiction d’Anderson.

3.2.5.2 Sur la direction du glissement

Nous avons montré que dans les cristaux d’4He, de structure hexagonale com- pacte, les dislocations glissent parallèlement aux plans de base. Si ce résultat semble attendu, ce n’est pourtant pas le cas dans de nombreux cristaux hexagonaux. On trouve en effet des directions préférentielles selon le plan de base (0001) (Cd, Be, Mg, Zn, Co...), mais aussi selon les plans prismatiques de type (1010) (Ru, Hf, Zr, Ti, Re. . . ) ou même pyramidaux [120]. On a longtemps pensé que ce comportement pouvait s’expliquer simplement en regardant le rapport des distances interplanaires

c/a. Au-dessus de c/a = 1, 6, le plan de glissement préférentiel serait le plan de

base et en dessous, ce serait le plan prismatique. Pourtant cela n’explique pas le comportement du béryllium, par exemple, où le glissement est facile dans le plan de base bien que son rapport c/a vaille 1,568. Bernard Legrand a proposé de consi- dérer le rapport appelé désormais critère de Legrand qui fait intervenir les énergies

de défauts d’empilement prismatique γprism et basal γbasal ainsi que les constantes élastiques c44 et c66 [121] :

R = γbasal/c44 γprism/c66

(3.6) Si R < 1, le plan de glissement préférentiel est le plan de base, si R > 1, c’est le plan prismatique. Ce critère phénoménologique n’a pour le moment jamais été mis en défaut. On peut faire une rapide approximation dans le cas de l’4He solide en tant qu’ensemble de sphères dures puisque les atomes sont neutres et que le rapport des distances interplanaires (c/a =q8/3 = 1, 633) quasi-égal à celui de la structure compacte parfaite confirme cela. Par conséquent, pour un défaut d’empilement basal, seule l’interaction avec les troisièmes voisins est perturbée, or les interactions dans l’4He solide sont de type Van der Waals donc l’énergie d’un tel défaut doit être très faible. Au contraire son énergie de défaut d’empilement prismatique n’est pas négligeable car elle modifie la position des premiers voisins. Ainsi, vu que c44 et c66 sont du même ordre de grandeur dans l’4He, R sera très inférieur à l’unité. Ce critère prédit donc bien un glissement préférentiel dans le plan de base.

3.2.5.3 Sur les dislocations partielles

Si le critère de Legrand fait intervenir les énergies de défauts d’empilement c’est qu’il considère la faculté d’une dislocation parfaite à se dissocier en deux dislocations partielles comme nous l’avons introduit dans le Chapitre 1.1. Comme deux disloca- tions partielles ont des vecteurs de Burgers plus petits qu’une dislocation parfaite, cela facilite le glissement dans le plan dans lequel est apparue cette dissociation. De plus la dissociation est d’autant plus facile que l’énergie de défaut d’empilement qui lui est associée est faible et la distance entre deux dislocations partielles est inverse- ment proportionnelle à l’énergie du défaut d’empilement. Dans le cas de l’4He solide, nous savons que le plan de glissement préférentiel est le plan de base. Considérons donc l’énergie du défaut I2 dans le plan de base.

Une méthode pour estimer la valeur de cette énergie consiste à considérer qu’un défaut I2 introduit deux erreurs dans l’empilement des plans. C’est équivalent à introduire une couche d’une structure cubique face centrée (cfc) dans la structure hc d’épaisseur c. Ainsi, l’énergie du défaut peut être reliée la différence d’énergie entre les deux structures. L’4He existe dans une structure cfc à haute température et haute pression et la différence d’énergie entre la structure hc et la structure cfc de l’hélium a été mesurée par Frank et Daniels [122]. Au point triple (15 K, 1127 bars), elle vaut ∆U = 2, 3 × 104 J/m3. Ainsi l’énergie de la faute I

2 a été calculée par John Beamish (communication privée) :

γI2 = c∆U ≈ 1, 2 × 10 −2

mJ/m2 à 1 kbar

À basse pression, les modules élastiques de l’4He sont 20 fois plus faibles qu’au kilobar, on peut donc estimer que γI2 est de l’ordre de 10

−3 mJ/m2 à P = 30 bars. Nous pouvons comparer cette valeur à la mesure de Junes et al. qui ont utilisé une méthode d’interféromètrie optique pour visualiser des défauts et calculer leur énergie dans l’4He solide [123]. Ils mesurent en fait la profondeur du sillon produit

par l’émergence du défaut à l’interface liquide-solide et ils trouvent ainsi des énergies de 0, 07 ± 0, 02 mJ/m2, une valeur très supérieure à celle estimée par la méthode précédente. D’autre part, Söyler et al. trouvent une énergie inférieure à 10−2mJ/m2à partir de simulations ab initio [124]. Enfin, nous avons essayé de calculer cette énergie à partir des photos de joints de grains prises par Sasaki et al. en 2007 [125]. Parmi les défaut étudiés, beaucoup étaient clairement des joints de grains entre cristaux désorientés, mais d’autres possédaient des énergies bien plus faibles comme on peut le voir sur la Figure 3.12. Il pourrait s’agir de défauts d’empilement apparaissant à la surface du cristal puisque les deux cristaux avaient la même orientation en croissance, il est donc intéressant d’estimer les énergies liées à ces courbures. À partir de ces images, on extrait des énergies de 0,06 mJ/m2 pour la photo 3.12(a) et 2,5×10−2 mJ/m2 pour la photo 3.12(a). Toutefois, il est important de garder à l’esprit que ces valeurs restent très approximatives tant sur la méthode de calcul qui utilise une version simplifiée de l’équation complète [125] que sur la nature même des crevasses apparaissant sur ces clichés.

(a) (b)

Figure 3.12 – Photos de deux cristaux d’4He en équilibre avec le liquide. On aperçoit à la surface deux sillons qui ne sont pas causées par un joint de grain car il n’y a pas de fente liquide et qui pourraient être des défaut d’empilement dans le cristal.

La grande disparité observée dans le calcul ou la mesure de ces énergies de défauts d’empilement provient des incertitudes de la mesure d’une part mais peut aussi provenir du fait qu’il existe trois types de fautes d’empilements comme nous l’avons vu dans le Chapitre 1.1. Ces trois énergies suivent généralement les règles suivantes :

γI2 = 2γI1 et γE = 3γI1. Il se pourrait donc que chaque groupe ait mesuré un défaut différent. Dans tous les cas, l’énergie du défaut basal dans le cas de l’4He solide est très inférieure à l’énergie de surface liquide-solide γSL ≈ 0, 2 mJ/m2. La conséquence directe de cette faible énergie de défaut sera la taille du défaut d’empilement, soit la distance entre deux dislocations partielles.

la distance D entre deux dislocations partielles pouvait s’écrire :

D = µa

2 12πγI2

(3.7) Dans le cas de l’4He solide (a ∼ 3, 7 Å et µ ∼ 120 bars), si on choisit γ

I2 ≈ 10 −2 mJ/m2, on trouve une distance entre deux dislocations partielles de l’ordre de 44 nm soit près de 120a. Par comparaison cette distance vaut autour de 1 nm, soit environ 3a dans le cas de l’aluminium. Dans les cristaux d’4He, les dislocations partielles sont donc totalement dissociées ce qui n’est pas le cas dans les métaux où les deux dislocations partielles restent très proches. On comprend bien pourquoi le glissement dans le plan de base est plus facile dans l’4He solide.

L’étude de l’état mou des cristaux nous a permis d’en apprendre beaucoup sur le mouvements des dislocations dans l’hélium-4 solide. Nous allons voir maintenant que l’étude à plus haute température nous a permis de mesurer leur densité et leur longueur libre LN.

Dans le document Mouvement des dislocations dans l'hélium-4 (Page 108-112)