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Densité et longueur libre des dislocations

Dans le document Mouvement des dislocations dans l'hélium-4 (Page 116-119)

3.3 Collisions avec des phonons thermiques

3.3.5 Densité et longueur libre des dislocations

Compte tenu de l’accord trouvé entre ce modèle et nos mesures, nous pouvons l’utiliser pour calculer la densité et la longueur libre des dislocations comme nous l’avons montré précédemment. La Figure 3.14 compare les dissipations des trois types de cristaux comme nous les avons définis dans le Chapitre 2.4. Les cristaux de "type 1" formés à 20 mK ou 0,6 K coexistent avec le superfluide dans toute la gamme de températures balayée ce qui minimise la contrainte subie. Les cristaux de "type 2", formés à ∼1,3 K remplissent complètement la cellule de solide mais ils ont subi des contraintes importantes. Enfin, le dernier type est le polycristal qui a crû à volume constant et donc a subi de larges variations de pression en plus d’être polycristallin. Chacun de ces cristaux montre bien une dissipation 1/Q proportionnelle à ωT3 à basse température, mais les pentes varient ce qui indique bien différentes qualités cristallines. Nous pouvons déterminer le coefficient d’orientation R pour chaque cristal, qui n’est en fait que le coefficient permettant de passer de la contrainte à

la contrainte résolue (voir Chapitre 2.4). Ainsi, nous pouvons extraire la densité de dislocations Λ de l’équation 3.12. Le Tableau 3.3 contient l’ensemble des densités et des longueurs de dislocations ainsi que les facteurs ΛL2 pour ces différents types de cristaux et pour différentes puretés d’hélium (300 ppb ou 0,4 ppb).

0 0,01 0,02 0,03 0,04 0,05 0,06 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 X15a - 3kHz X15a - 1,5kHz X15b - 9kHz X15b - 3kHz X15c - 3kHz X15c - 1,5kHz Polycrystal - 3kHz Dissipation 1/Q T3 (K3 rad/s)

Figure 3.14 – Dissipation en fonction de ωT3 mesurée entre 1,5 kHz et 9 kHz pour une déformation de 10−7 et pour 4 cristaux différents.

Ces résultats nécessitent toutefois plusieurs hypothèses qu’il est important de discuter. La valeur utilisée pour l’énergie de ligne de la dislocation C dans l’équa- tion 3.13 suppose un milieu isotrope et ne prend pas en compte l’énergie du cœur de la dislocation. L’équation 3.14 considère aussi une interaction isotrope avec les phonons. Néanmoins des calculs plus précis de C et B ne changeraient pas les dif- férences relatives de densités et de longueurs libres en fonction des différents types de cristaux. Nous faisons aussi l’hypothèse qu’il n’existe qu’une unique longueur de dislocation alors qu’il y a vraisemblablement une distribution de longueurs au- tour d’une longueur moyenne. C’est en effet une vision simplifiée et des mesures actuellement en cours dans notre laboratoire ont pour but d’interpréter l’ensemble de l’évolution du module de cisaillement et de la dissipation sur toute la gamme de températures en utilisant une distribution de longueurs. Toutefois, une telle dis- tribution ne changerait pas de façon significative les valeurs de L ou de Λ ni leurs variations en fonction des techniques de croissance des cristaux. Notons aussi que nos mesures présentées ici (tout comme les mesures élastiques ou ultrasonores pré- cédentes) ne sont sensibles qu’aux dislocations mobiles. Les dislocations avec des plans de glissement différents du plan de base pourraient ne pas être mobiles et ne seraient pas prises en compte.

Cristal Tcroissance (K) 3He conc. (ppb) L (µm) Λ (cm−2) ΛL2 X15c 1,37 0,4 98 4, 2 × 105 40,3 X18 1,32 0,4 98 5, 9 × 105 56,6 X21 1,35 300 175 1, 2 × 105 36,8 X15a 0,60 0,4 229 7, 2 × 104 37,8 X15b 0,02 0,4 231 3, 2 × 104 17,1 Polycrystal (29 bars) 300 59 5, 4 × 105 18,8

Table 3.3 – Valeurs des densités et des longueurs libres de dislocations pour 6 cristaux extraites à partir de la dépendance en ωT3des dissipations présentées Figure 3.14 et de la réduction de leurs modules de cisaillement.

3.3.6

Discussion

Contrairement aux mesures antérieures de L faites à partir de la dépendance en fréquence près de la résonance des dislocations (∼16 MHz pour L = 5 µm) ou à partir du décrochage des impuretés d’3He, nous avons montré de manière directe que la dissipation à haute température était due à l’amortissement du mouvement des dislocations par des collisions avec des phonons thermiques. Nous avons utilisé cette dissipation pour mesurer la densité de dislocations Λ et la longueur libre L des dislocations. Les valeurs de Λ trouvées pour nos monocristaux sont similaires à celles des mesures ultrasonores [110] mais nous trouvons des longueurs libres de dislocations dans nos monocristaux jusqu’à 50 fois plus élevées que dans les mesures précédentes. On notera que nos valeurs de Λ décroissent bien en fonction du désordre présumé de chaque cristal, c’est-à-dire des contraintes subies pendant la croissance. Contrairement à ce qui a été dit, nous pensons que la géométrie de la cellule n’est pas très importante dans cette différence. C’est donc leur méthode qui nous paraît conduire à un résultat inexact.

Nous mesurons des valeurs du facteur ΛL2 qui sont beaucoup plus grandes (entre 17 et 57) que celle attendue dans le cas d’un réseau de Frank simple et sont jus- qu’à deux ordres de grandeur au-dessus de celles trouvées dans les mesures ultra- soniques [110, 130]. Ces valeurs indiquent une fois encore que les dislocations sont alignées donc leur connectivité est réduite comme cela a déjà été supposé plus tôt lorsque nous avons discuté la variation du module de cisaillement. Elles forment pro- bablement des réseaux planaires [10] comme dans les joints de grains faibles observés en tomographie à rayons-X [55].

Les très grandes longueurs trouvées indiquent aussi que les dislocations vibrent avec une très grande amplitude et une très grande vitesse. Pour une déformation ε ∼ 10−7, le déplacement maximum pour nos dislocations les plus longues (L = 230 µm) est donné par :

ξmax =

σbL2

8C

εL2

b ∼ 1, 5 µm (3.16)

La dislocation balaye alors une surface d’environ 4 × 10−10 m2 et devrait donc ren- contrer près de un millier d’atomes d’3He dans un cristal de pureté naturelle. Tou- tefois, la dissipation possède la même dépendance en ωT3 dans l’hélium naturel que

dans l’hélium ultrapur ce qui montre bien que les collisions avec les impuretés ne contribuent pas de façon significative à l’amortissement des dislocations à haute température. Pour une fréquence de 9 kHz, ce déplacement correspond à une vitesse de vmax = ξmaxω ∼ 0, 1 m/s qui est macroscopique.

Pour finir, intéressons nous au polycristal BC2 qui possède comme on s’y atten- dait une densité de dislocations plus élevée de 5, 4×105 et des longueurs plus courtes que les monocristaux. On notera que sa densité Λ est faible comparée aux études précédentes et elle n’est qu’un ordre de grandeur au-dessus des monocristaux. Nous pouvons ici revenir sur la supersolidité et le scénario proposé par Shevchenko [127]. Selon ce scénario, la supersolidité de l’4He solide aurait été due à un réseau super- fluide de cœurs de dislocations. Toutefois, pour obtenir une fraction de superfluide aussi grande que 0,1%, il faudrait une très grande densité de dislocations. Les simu- lations numériques de Boninsegni et al. [126] ont montré que la fraction superfluide d’une unique dislocation ne peut pas correspondre à plus qu’une ligne d’atomes. Par conséquent, la fraction superfluide totale du cristal est de l’ordre de Λ/(nA)2/3

nA= ρN/3 = 4 × 1022 cm−3 est la densité volumique d’atomes dans le solide. Ainsi

pour 0,1% de NCRI, il faudrait Λ = 1, 2 × 1012 cm−2, plus de 6 ordres de grandeur de plus que ce que nous avons mesuré. Une telle densité signifierait une dislocation tous les 90 Å ou encore tous les 30 atomes. Si on estime alors que la longueur de cohérence ξ le long d’une dislocation est de l’ordre de aT/T avec a la distance in-

teratomique (∼3,7 Å) et T∗ = 2 K et que cette dernière doit être supérieure à 90 Å, on trouve une possible transition supersolide vers 70 mK lorsque ξ = L. Cette tem- pérature n’est pas très éloignée de la température de transition observée mais nous avons montré que le phénomène est autre (anomalie élastique), de plus la densité Λ est très inférieure à 1012 cm−2. Nos mesures contredisent donc les deux scénarios proposés pour la supersolidité (Anderson et Shevchenko)

Maintenant que nous connaissons la longueur des dislocations, il est possible de déterminer la vitesse à laquelle elles oscillent en fonction de la fréquence et de la déformation appliquée. L’étude de la vitesse des dislocations nous à permis de mettre en évidence le résultat dont nous allons parler dans une dernière partie : l’existence d’une vitesse critique pour les dislocations habillées d’impuretés d’3He.

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