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Ne pas être discriminé en vertu d’un autre statut

Dans d’autres arrêts, le statut de citoyen de l’Union vient s’ajouter à une autre qualité. Il ne permet pas directement de se prévaloir de la non-discrimination en raison de la nationalité, mais son introduction justifie une évolution de l’interprétation que fait la Cour de l’égalité de traitement dont un citoyen peut se prévaloir à un autre titre. Ce raisonnement apparaît de la façon la plus claire dans l’arrêt Collins, décidé en 2004223. L’introduction de la citoyenneté justifie une évolution de l’interprétation de la portée du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 48 § 2 CE [45 § 2 TFUE] disposant que « [la liberté de circulation des travailleurs] implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ».

221 Ibid., para. 44.

222 Ibid., para. 42 et 43.

223 CJCE, 23 mars 2004, Collins, C-138/02, EU:C:2004:172.

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M. Collins, le requérant au principal, possède la nationalité états-unienne et irlandaise. Né aux États-Unis, il avait séjourné à deux reprises au Royaume-Uni, en 1978 dans le cadre de ses études, puis, en 1980 et 1981, pour travailler. Décidant de s’installer au Royaume-Uni en 1998, il est à la recherche d’un emploi. Les autorités compétentes refusent sa demande de bénéficier de l’allocation de recherche d’emploi, au motif qu’il n’a pas sa résidence habituelle au Royaume-Uni et qu’il n’est ni travailleur au sens du règlement 1612/68224 ni titulaire d’un droit de séjour en vertu de la directive 68/360225. À la suite du recours de M. Collins, la juridiction nationale saisit la CJCE pour savoir si le droit communautaire oblige l’État à allouer une telle prestation à une personne se trouvant dans ce type de situation.

La Cour décide tout d’abord que, en raison de l’ancienneté de la période de travail du requérant, M Collins doit être considéré comme n’importe quel ressortissant d’un État membre cherchant nouvellement un emploi dans un autre État membre et, en conséquence, qu’il n’est pas un travailleur au sens de la directive n° 1612/68226. En outre, n’occupant pas antérieurement un emploi dans un autre État membre, il ne saurait se prévaloir de la directive 68/360227. Elle doit donc se prononcer sur le fait de savoir si une personne dans la situation de M. Collins pourrait bénéficier d’une allocation de recherche d’emploi en raison d’une autre disposition, et, plus spécifiquement, du principe de l’égalité de traitement.

La Cour affirme que, disposition particulière, l’article 48 § 2 TCE doit être examiné avant l’article 6 § 1 TCE228. Ensuite, elle rappelle sa jurisprudence Antonissen selon laquelle les ressortissants d’un État membre à la recherche d’un emploi relèvent du champ d’application de l’article 48 et peuvent donc se prévaloir de l’égalité de traitement prévue au paragraphe 2 [art. 45 § 2 TFUE229]. Toutefois, elle avait décidé dans les arrêts Lebon et Commission/ Belgique que les ressortissants qui se déplaçaient

224 Règlement 1612/68/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, JOCE, L 257 du 19 octobre 1968, p. 2-12.

225 Directive 68/360/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté, JOCE, L 257 du 19 octobre 1968, p. 13–16.

226 CJCE, 23 mars 2004, Collins, op. cit., para. 26-33.

227 Ibid., para. 34-44.

228 Ibid., para. 55.

229 CJCE, 26 février 1991, The Queen / Antonissen, C-292/89, EU:C:1991:80, para. 13. Cité par CJCE, 23 mars 2004, Collins, C-138/02, EU:C:2004:172, para. 56-57.

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dans un autre État membre pour chercher un emploi ne bénéficiaient pas de l’égalité de traitement en ce qui concerne les avantages sociaux et fiscaux au sens du règlement 1612/68230.

C’est à ce niveau du raisonnement que les dispositions relatives à la citoyenneté interviennent ; la Cour propose une lecture de l’article 48 § 2 TCE combinée avec les dispositions relatives à la non-discrimination et à la citoyenneté pour revenir sur sa jurisprudence antérieure. Elle reprend la formule Martínez Sala pour dire que les citoyens résidant légalement sur le territoire d’un autre État membre peuvent se prévaloir de l’article 6 dans les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire et la formule Grzelczyk affirmant le caractère fondamental du statut231. Elle souligne ensuite que :

« Compte tenu de l’instauration de la citoyenneté de l’Union et de l’interprétation jurisprudentielle du droit à l’égalité de traitement dont jouissent les citoyens de l’Union, il n’est plus possible d’exclure du champ d’application de l’article 48, paragraphe 2, du traité [45 § 2 TFUE], qui est une énonciation du principe fondamental d’égalité de traitement garanti par l’article 6 du traité [18 TFUE], une prestation de nature financière destinée à faciliter l’accès à l’emploi sur le marché du travail d’un État membre232. »

Ainsi explique-t-elle devoir revenir sur l’interprétation du principe d’égalité de traitement adoptée dans les arrêts Lebon et Commission/ Belgique pour « refléter cette évolution233 ». Toutefois, une réglementation introduisant une discrimination indirecte, comme c’est le cas de la réglementation contestée au principal en raison d’une clause de résidence, peut être justifiée par des considérations objectives, indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif poursuivi par le droit national234. En l’espèce, la Cour décide qu’il est légitime de demander un rattachement entre la personne demandant le bénéfice d’une allocation chômage et le marché du travail de l’État, et que celui-ci peut se traduire par l’exigence d’une condition de résidence proportionnée235.

L’articulation du raisonnement est difficile à suivre. La Cour, dans un premier temps, dit que la clause spécifique (relative à la non-discrimination des travailleurs) doit être appliquée avant la clause

230 CJCE, 18 juin 1987, CPAS de Courcelles / Lebon, 316/85, EU:C:1987:302, para. 58 et CJCE, 12 septembre 1996, Commission / Belgique, C-278/94, EU:C:1996:321, para. 39-40. Cité par CJCE, 23 mars 2004, Collins, op.

cit., para. 58.

231 CJCE, 23 mars 2004, Collins, op. cit., para. 61.

232 Ibid., para 63.

233 Ibid., para 64.

234 Ibid., para 66s.

235 Ibid., para. 72.

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générale (art. 6 [18 TFUE236]). Toutefois, elle dit aussi que le principe d’égalité de traitement pour les personnes à la recherche d’un emploi doit être interprété « à la lumière » d’autres dispositions du droit communautaire et notamment du principe général de non-discrimination en raison de la nationalité237. C’est l’extension du champ d’application de l’article 6 TCE [18 TFUE] résultant des arrêts concernant le citoyen qui est mentionnée pour dire que le champ d’application du principe spécial de l’article 48

§ 2 TCE [45 § 2 TFUE] doit évoluer. Le statut de citoyen conduit à faire évoluer le concept de l’égalité de traitement pour les personnes à la recherche d’un emploi parce qu’il a étendu le champ d’application du concept de non-discrimination. Dans le dispositif, la Cour parle du « doit à l’égalité de traitement prévu à l’article 48, paragraphe 2, du traité CE [45 § 2 TFUE], lu en combinaison avec les articles 6 et 8 du traité CE [18 et 20 TFUE] ».

Si « X est un ressortissant d’un État membre à la recherche d’un emploi dans un autre État membre », alors « X peut se prévaloir du droit à l’égalité de traitement pour obtenir une allocation de recherche d’emploi prévu à l’article 48 § 2 TCE [45 § 2 TFUE] ».

Modèle Collins

La justification de la Cour se distingue donc de la proposition de la Commission qui estimait que le citoyen pouvait directement se prévaloir du droit de ne pas être discriminé par la combinaison des articles 6 et 8 TCE [18 et 20 TFUE], en suivant le même modèle de raisonnement que dans les arrêts Martínez Sala et Grzelczyk238 (V. Modèle Collins). La citoyenneté joue un rôle pour justifier une évolution de l’interprétation d’autres dispositions du traité, mais ce n’est pas directement en tant que citoyen que le requérant peut invoquer son droit de ne pas être discriminé.

II. L

ES MODELES DE RAISONNEMENT IMPLIQUANT LES DROITS DE CIRCULER ET DE SEJOURNER

236 Ibid., para. 55.

237 Ibid., para. 60.

238 Toutefois, elle poursuit en disant que le droit de séjourner dans un autre État membre pour chercher un emploi peut être limité à une durée raisonnable et que le droit de se prévaloir de la non-discrimination serait limité à cette période de résidence légale. V. CJCE, 23 mars 2004, Collins, op. cit., para. 48-49 et AG Ruiz-Jarabo Colomer, ccl sur CJCE, 23 mars 2004, Collins, op.cit., para. 16.

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La liberté de circulation et de séjour du citoyen n’est pas absente des premiers arrêts concernant la citoyenneté. La Cour utilise l’article relatif au droit de circulation et de séjour du citoyen (aujourd’hui l’art. 21 TFUE) dès les arrêts Bickel et Franz et Grzelczyk. Il permet de faire jouer la non-discrimination en raison de la nationalité, en faisant tomber la situation dans le champ d’application du droit communautaire239. Toutefois, elle va jouer un rôle plus direct dans deux grands modèles de raisonnement. Tout d’abord, à la suite de l’arrêt Baumbast, le statut de citoyen autorise ses titulaires à invoquer directement un droit de séjour sur le territoire des autres États membres (A). Ensuite, les citoyens peuvent contester les mesures qui restreignent leur liberté de circulation (B).