• Aucun résultat trouvé

Les dirigeants créent un sous-système non traditionnel d’acquisition de l’information

LA CONSTRUCTION DU CONCEPT DE BAIN D’INFORMATION

4- Le dirigeant, comme chef et comme homme

1.2 LE SOUS-SYSTEME D’ACQUISITION D’INFORMATION CRÉE PAR LE DIRIGEANT

1.2.1 Les dirigeants créent un sous-système non traditionnel d’acquisition de l’information

1.2.1.1 La recherche d’informations utiles

1.2.1.1.1 La recherche d’une information de première main

Les dirigeants multiplient les occasions d’entrer en contact direct avec le terrain, d’obtenir une source directe d’informations, qui leur permet de passer outre aux réseaux d’information structurée de l’entreprise. « Je vais aussi sur le terrain car on a souvent une vue déformée quant on est dans le grand bureau d’un siège social », affirme Guy Dollé 8 (Basso, Blondel, 2006). Parce qu’il recherche une information actuelle rapidement, le dirigeant paraît accepter un degré élevé d’incertitude, liée au contact direct avec le terrain. De ce contact direct avec le terrain, le dirigeant va revenir avec des bruits, des rumeurs, des « on-dit », qui constituent une part importante de son « menu informationnel » (Mintzberg, 1973).

Les dirigeants évoquent leur souci de passer du temps sur le terrain pour rencontrer leurs équipes en dehors des réunions obligatoires des différentes instances internes (Dubois, 2008). Bruno Lafont 9 (Dubois, 2008) indique qu’il y consacre 50 % de son temps, tout comme Henri de Castries, qui essaie d’être un jour sur deux en dehors de son bureau du siège social. Jean-Pascal Tricoire 10 (Dubois, 2008) indique aussi l’importance qu’il accorde à sa présence dans différentes formations internes à l’entreprise qui sont de bonnes occasions de rencontrer des échantillons de personnes du terrain plus contrastées. Pour Christian Streiff 11, (Dubois, 2008), la connaissance du terrain est le seul moyen pour un PDG de diriger son entreprise de manière efficace : elle permet d’affiner et d’affirmer sa compétence technique sur les métiers laquelle donne de la crédibilité à ses décisions et ses visions (…) elle leur permet de rester en contact avec les évolutions du groupe ; elle leur permet aussi, comme l’indique Bruno Lafont,

8

Alors Président de la Direction générale du groupe Arcelor. 9

PDG de Lafarge. 10

Président du Directoire de Schneider Electric. 11

de faire le seul travail de veille qui ait de l’importance, le contact direct avec des réalités de marché, qu’une présence trop longue au siège rendrait impossible ou moins efficace.

Christophe de Margerie 12 (Dubois, 2008) en fait son mode de travail quotidien : les contacts et rapports avec les autres s’identifient pratiquement à son mode de management, le besoin lui paraît de plus en plus important dans le monde des affaires tel qu’il se pratique aujourd’hui. C’est, pour lui, tellement important qu’il dit parfois « vampiriser » les personnes pour essayer d’en apprendre le maximum. Les voyages sont aussi une occasion de se frotter au terrain. « Aller à l’étranger, voir ce qui se fait de mieux », dit Gilles Pélisson 13 (Dubois, 2008).

Ces rencontres concernent aussi les clients, indiquent Gérard Bayol 14 et Baudoin Prot 15 : c’est sans doute une évolution importante pour de grands dirigeants qui mesurent aujourd’hui l’importance de leur lien permanent avec ces clients pour une meilleure compréhension des affaires (Dubois, 2008).

Ces rencontres s’élargissent également à d’autres sphères, plus élargies, qu’elles permettent au dirigeant de rencontrer d’autres dirigeants d’entreprise ou les actionnaires. « J’ai toujours passé 15 à 18 % de mon temps à l’extérieur de l’entreprise et je sais qu’à 18 %, les collaborateurs trouvaient que c’était trop et se plaignaient de ne pas me voir assez. J’ai participé à l’Institut de l’entreprise, à Davos, à la Table ronde des industriels européens, à un ou deux conseils d’administration. J’ai toujours eu de l’intérêt pour les discussions et les colloques et je suis aujourd’hui impliqué à l’AFEP. Aucune de ces responsabilités n’est sans relations avec Lafarge. C’est d’ailleurs une tradition dans ce groupe de s’engager ainsi dans des activités externes … et aussi de prendre des vacances pour ne pas toujours être le nez sur le guidon ! (…) Mais le changement le plus important, et dont nous n’avons pas encore tiré toutes les conséquences, est dans la relation avec les actionnaires, ou plutôt les marchés financiers, avec leurs exigences légitimes de performance, mais aussi leur modes et leur volatilité », remarque Bernard Collomb 16 (Basso, Blondel, 2006).

12

PDG de Total 13

Alors Administrateur-Directeur général d’Accor 14

Alors Président du comité de direction de DEXIA 15

Administrateur-Directeur général de BNPParibas

16

1.2.1.1.2 La recherche d’une information de type stimulus

Ces informations de première main, qui peuvent ressembler à des potins, à des rumeurs, occupent une part importante dans le système d’information des dirigeants. En effet, elles vont provoquer des chocs dans ce système et ainsi créer un déclencheur source de créativité.

Le dirigeant a besoin d’une information de type stimulus (Mintzberg, 1973). Les stimulus peuvent provoquer des conséquences inattendues parce qu’ils évoquent un ensemble plus grand ou différent de ce que l’on attendait. Ils peuvent comprendre des éléments que la hiérarchie de l’organisation n’avait pas l’intention d’y inclure (Simon, March, 1958). « Ce n’est pas l’information générale qui permet au Président 17 de se faire une opinion : ce ne sont ni les rapports, ni les études, ni les amalgames insipides … c’est l’accumulation des détails tangibles et disparates, puis la structuration qu’il en fait dans son esprit, qui illuminent la face cachée des questions soumises à son jugement. Pour réussir dans ce domaine, il doit ratisser aussi largement qu’il le peut tous les éléments de faits d’opinions et de rumeurs qui sont liés aux intérêts et aux relations qu’il a en tant que Président. Il doit se faire directeur de son propre système d’information » (Neustadt, 1960).

Cette analyse du système d’information d’un dirigeant politique s’applique, toutes proportions gardées, aux dirigeants d’entreprise. Le dirigeant recueille l’information en temps réel, recherche des conseils multiples, favorise l’élaboration simultanée de solutions multiples (Eisenhaardt, 1992, Laroche, 1995).

A côté, les dirigeants ne sont pas simplement à l’affût de potins ou autres rumeur comme information stimulus. Ils sont également à l’affût de connaissances, c’est-à-dire de concepts, qui leur permettent d’analyser le flux d’informations qu’ils reçoivent. C’est au cours de la conversation entre individus que se crée cette connaissance, qui est tacite. Même si la conversion entre, d’une part, les mots et les chiffres composant cette conversation et, d’autre part, les connaissances, n’est pas aisée. La création de concepts est déclenchée, via le dialogue ou la réflexion collective, par le biais de métaphore ou d’analogie (Nonaka, 1997).

17

1.2.1.2 La recherche de relations directes

1.2.1.2.1 La recherche du bilatéralisme

Les dirigeants pratiquent d’autres formes moins traditionnelles de recherche d’information (Lauvergeon, Delpeuch, 1988). Pour les dirigeants, le bilatéralisme, c’est-à-dire des rencontres tête-à-tête, est le seul canal de transmission efficace de l’information. Ces rencontres bilatérales se déroulent notamment au cours de repas, qu’il s’agisse de repas au restaurant avec des personnes extérieures à l’entreprise ou de déjeuner à la cantine des l’entreprise. Cette dernière forme de restauration serait pratiquée par la moitié des dirigeants d’entreprise. Ces rencontres au restaurant d’entreprise permettent de récolter les états d’âme les collaborateurs, de recueillir les impressions diffuses, de prendre le pouls de l’entreprise. En revanche, les dîners semblent peu pratiqués, sauf à l’occasion de visites de personnalités étrangères ou de réunion de certains cercles importants, comme le Siècle, pour les dirigeants français.

Jack Welch (2001) souligne le rôle essentiel, pour s’informer, des rencontres impromptues, des situations quotidiennes. C’est ainsi qu’il explique comment il a pris l’une de ses quatre grandes décisions de sa carrière comme PDG de General Electric : l’idée de faire passer General Electric a l’âge d’Internet. En 1997, en vacances, il découvre comment sa femme, plus jeune que lui de 10 ans, travaille sur Internet, en envoyant des mails et en gérant son portefeuille de valeurs boursières. « Je deviens accro (…) C’est parfois très loin de mon bureau que mes yeux se sont décillés. J’ai passé la majeure partie de l’année 1981 sur le terrain, avec une équipe à passer en revue nos différentes activités – exactement comme je le faisais depuis dix ans. Je sentais bien environ le tiers de l’entreprise, je voulais creuser un peu pour mieux connaître le reste ».

Carlos Ghosn (2005) souligne l’importance des relations bilatérales pour l’acquisition de l’information. Il évoque son stage ouvrier de trois mois, en 1978, chez Michelin. « J’avais un moniteur qui formait les équipes. À la fin de l’équipe, il m’accordait une heure de temps d’informations complémentaires pour étudier les modes opératoires ». Le contact direct informel du dirigeant avec la base de son entreprise lui permet d’acquérir des informations de première main, des informations « vraies ».

1.2.1.2.2 Le rôle des réseaux est essentiel dans cette acquisition d’informations de première main

Dans cette recherche de l’information de première main, les réseaux jouent un rôle essentiel. Le dirigeant semble se fier à cette source pour trouver ce type d’information. Les directeurs généraux dépendent des informations quantitatives produites par des ordinateurs. Ils n’ont pas développé de systèmes d’information qualitative. Or ils ont besoin d’informations qualitatives bien organisées leur permettant de se projeter dans le futur à partir des tendances d’aujourd’hui. Ces informations doivent venir de l’interne mais aussi de l’externe (Weaver, 1981).

Alors, faute de système organisé de recherche de l’information de première main, le dirigeant doit la trouver lui-même par ses propres moyens. Le dirigeant se construit son propre système d’information à partir de son réseau. Il constitue un court-circuit plus opérationnel que les structures hiérarchiques officielles souvent trop lourdes et peu adaptées (Lauvergeon, Delpeuch, 1988). Le réseau veille à l’efficacité et la rapidité des surplus de collecte de l’information.

Le squelette de ce réseau est constitué par les anciens d’écoles ou de corps, des amis d’enfance, des relations de sport ou de conseils d’administration (Lauvergeon, Delpeuch, 1988). Il s’étend aux relations amicales. « Je me suis renseigné auprès de mes amis qui avaient déjà séjourné au Club Med. Il y a déjà un petit réseau de Chinois qui connaissent, et le taux de satisfaction est très fort », affirme Guo Guangchang, président du conglomérat chinois Fosun, qui a acquis en juin 2010 un peu plus de 7 % du capital du Club Méditerranée 18.

Ces réseaux jouent un rôle essentiel dans la « marchandisation » de l’information. La recherche montre que, pour les dirigeants, l’information se donne ou s’échange. Ce partage de l’information s’effectue entre dirigeants, entre dirigeants et hommes politiques, entre dirigeants et journalistes rencontrés dans, ou par, ces réseaux (Lauvergeon, Delpeuch, 1988, Junghans, 2007b).

18

L’entourage, les réseaux, en effet, est source de diversité. Il permet d’élargir sa vision et sa compréhension des problèmes, d’élargir le champ des possibles, d’offrir des solutions alternatives là où toutes les « solutions d’experts » ont été épuisées. L’entourage est également source d’information en avant-première pour le dirigeant. Il lui permet de rester au fait des dernières évolutions tant technologiques que politique ou sociale. Il permet de mobiliser un réseau d’experts à tout moment pour pouvoir obtenir des réponses précises et adaptées. Il permet également de détecter les signaux faibles du changement qui lui permet de s’adapter au plus vite (Malkonian, Bournois, 2007).

Mais la recherche souligne le coût d’entretien du réseau. Il faut du temps pour le maintenir opérationnel. Cette appropriation personnelle offre un certain nombre d’avantages certains pour le dirigeant. Elle est aléatoire, ouverte à la connaissance temporaire. Mais elle est également dispersée, obtenue de manière accidentelle, indique Drott (2001). Cet auteur souligne trois problèmes fondamentaux liés au mécanisme d’appropriation individuel. L’information individuelle donne l’apparence fallacieuse d’être satisfait. L’information individuelle qui n’est pas en phase avec les paradigmes des bases de données ne semble ni connectable ni organisable. L’institutionnalisation de l’information individuelle exige de la part des employés une coopération et une participation généralisée.

1.2.2 Les dirigeants placent à leur main le sous-système d’acquisition d’information issu