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2.2. Facteurs d’influence sur le développement de cette pratique

2.2.1. Facteurs incitant à la pratique

2.2.1.1. Difficultés financières

Les possibles difficultés financières auxquelles font face ou ont fait face les orchestres symphoniques de Québec et de Montréal ne sont pas étrangères à celles rencontrées par un grand nombre d’orchestres symphoniques tant au Canada qu’aux États-Unis. Par exemple,

du côté des États-Unis, l’Orchestre de Philadelphie, fondé en 1900, a été placé sous la protection du « Chapitre 11 de la loi sur les faillites des États-Unis » le 16 avril 2011, devenant tristement le premier orchestre majeur aux États-Unis à réclamer une telle protection (Crimmins 2011; Wakins 2011). La situation de l’orchestre s’est toutefois rétablie le 30 juin 2012 où les activités de l’institution ont pu reprendre leur cours. Le 1er octobre 2013, c’est le New York City Opera, actif depuis 1943 qui s’est à son tour placé sous la protection de la loi sur les faillites et qui a dû fermer ses portes (Cooper 2013). Ce n’est qu’en janvier 2016 qu’un groupe sans but lucratif s’est occupé à la réorganisation de la compagnie afin de permettre un retour aux activités (Cooper 2016). Toutefois, un récent article dans The

New York Times en date du 15 février 2019 fait état d’une situation financière toujours très

précaire pour la compagnie d’opéra (Cooper 2019). Au Canada, les problèmes financiers trop importants de l’Orchestre philharmonique d’Hamilton, créé en 1949, ont poussé celui-ci à déclarer faillite et cesser ses activités en 1996. L’orchestre reprend, malgré tout, ses activités le 16 février 1997 sous le nom de New Hamilton Orchestra, qui sera à nouveau nommé le Hamilton Philharmonic Orchestra en 2000 (Saunders & Mcguigan 2008). Quelques années plus tard, en 2002, l’Orchestre philharmonique de Calgary se place à son tour sous la protection de la Loi de la faillite (Finley, Gralen & Fichtner 2006), bien qu’il ait pu poursuivre ses activités l’année suivante. Ces exemples sont éloquents de la situation financière plus que précaire des instituions symphoniques.

L’OSQ et l’OSM ne sont pas épargnés par les difficultés financières. Dans un article paru le 8 janvier 2016 sur le blogue de l’Association des économistes québécois Libres

Échanges. Le blogue des économistes québécois, Gérard Bélanger, alors professeur au

Département d’économie de l’Université Laval, y expose les problèmes intrinsèques des institutions symphoniques de façon générale et qui touchent particulièrement l’OSQ depuis les dernières années. En effet, les enjeux financiers sont tels qu’on parle de « survie » et que l’orchestre est dans l’obligation de défalquer le salaire de ses musiciens pour garder la tête hors de l’eau. Par conséquent, lors de la saison 2019-2020, les musiciens devraient retrouver leur salaire, à la baisse, de la saison 2014-2015. Visiblement, l’orchestre pense donc qu’il s’agit d’une action nécessaire pour assurer son fonctionnement. Toutefois, un gel des salaires n’est évidemment pas une option envisageable à moyen et long terme. Selon l’auteur, la

situation dans laquelle se trouve l’OSQ est directement reliée au problème structurel permanent des orchestres, soit le coût croissant de la production de concerts alors qu’il « n’y a pas beaucoup d’avenues pour accroître la productivité des orchestres symphoniques » (Bélanger 2016). Pour pallier ce problème, Bélanger suggère trois mesures qui peuvent être envisagées par les orchestres : 1- « réduire le nombre de musiciens permanents en recourant en certaines circonstances à des pigistes » ; 2- « augmenter la clientèle permettant un taux d’occupation plus élevé et une duplication d’un même concert » ; et 3- « diminuer le personnel administratif ». De ces trois options, seule l’augmentation de la clientèle n’a pas d’impacts négatifs sur l’orchestre et son fonctionnement. D’un autre côté, l’auteur présente la répartition des sources de revenus des « dix orchestres canadiens ayant un budget supérieur à 5 millions de dollars » (Bélanger 2016) dont fait partie l’OSQ. En moyenne, lors de la saison 2013-2014, 32,7% du budget provenait de subventions gouvernementales, 27,6% de dons et commandites et 39,7%, soit la plus grande part du budget, provenait des revenus perçus, par exemple les revenus issus de la vente de billets. Toutefois, la portion du budget relative aux subventions gouvernementales serait plus élevée chez les orchestres québécois : par exemple, 40% du budget de l’OSM en 2012-2013 et 2013-2014 provenait des

subventions gouvernementales18. Enfin, comme le propose l’auteur, un moyen d’augmenter

les revenus de l’orchestre est de revoir à la hausse le coût des billets. Toutefois, il s’agit d’une mesure à double tranchant, puisque comme le mentionne Robert J. Flanagan (The Perilous

Life of Symphony Orchestras, 2012), « higher ticket prices are associated with lower

attendance and vice versa » (2012 : 48). Une augmentation du prix du billet peut donc avoir des conséquences négatives sur le budget d’un orchestre si le prix en vient à dissuader les spectateur·rice·s. Ainsi, à la lumière de ce qu’avance Bélanger, la principale avenue pour remédier aux problèmes financiers criants des orchestres symphoniques est d’augmenter la fréquentation des publics.

Dans le même ordre d’idée, un cas présenté au HEC Montréal par Jacqueline Cardinal et Sophie Lapierre, sous la direction de Laurent Lapierre, « Michelle Courchesne et l’OSM » (1999), fait état de la situation financière précaire de l’OSM. Bien que deux

18 Nous reviendrons d’ailleurs sur ce point à la section 2.2.2 de ce mémoire, présentant des facteurs pouvant

décennies se soient écoulées depuis la parution de ce cas, il n’en demeure pas moins que l’OSM a non seulement grandement été affecté par les difficultés financières durant les années 1990, mais aussi dans les années 2000, ce qui coïncide notamment avec l’apparition de la série de concerts Les Week-ends de l’OSM mentionnée au chapitre 1 de ce mémoire. Michelle Courchesne, politicienne québécoise, a été nommée à la direction générale de l’orchestre en 1995, poste qu’elle a occupée jusqu’en 2000, avec pour mission de redresser les finances et l’organisation de l’institution et de pallier la baisse de fréquentation du public. Une fois de plus, dans cet exemple probant, les problèmes financiers et la diminution des publics vont de pair.

Par conséquent, les institutions symphoniques sont souvent devant l’urgence d’agir, puisque leur survie financière en dépend. La baisse de fréquentation des spectateur∙rice∙s qui affecte les orchestres ne fait qu’amplifier les problèmes budgétaires, étant donné qu’une grande part du budget est les revenus perçus par la vente de billets. Il est donc nécessaire, pour les orchestres symphoniques de trouver un moyen pour faire en sorte que les spectateur∙rice∙s soient au rendez-vous afin de combler le manque à gagner. Enfin, si le public ne répond plus à l’appel, il faut alors proposer des concerts qui les attireront à nouveau dans les salles de concert et c’est ainsi que les concerts crossover entrent en ligne de compte. En effet, les concerts crossover sont entre autres une des stratégies marketing déployées par les orchestres symphoniques afin d’aller chercher une plus grande part de revenus par la vente de billets (Dimond 2012). Toutefois, nous discuterons plus loin dans ce second chapitre en quoi cette pratique outrepasse désormais la notion de stratégie marketing.