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Bien que l’OSQ et l’OSM, en tant qu’institutions culturelles actives depuis de nombreuses décennies, soient des piliers du paysage culturel au Québec, ces orchestres n’ont pas d’« obligations publiques » à remplir. C’est-à-dire qu’au-delà de leurs « obligations » propres de proposer un programme qui saura satisfaire leur public, et qui relève davantage de la nécessité – car si ces institutions veulent que le public soit au rendez-vous, il est de leur responsabilité de proposer une offre de concerts qui touchera l’intérêt du public – ces organismes à but non lucratif (OBNL) n’ont pas de devoir envers les citoyen·ne·s outre que d’agir conformément à leur statut d’OBNL. Toutefois, là où certaines obligations morales peuvent entrer en ligne de jeu, c’est par la relation que ces institutions entretiennent avec les instances gouvernementales provinciales, par exemple par le biais d’attributions de financements publics ou encore par les politiques culturelles qui visent entre autres le développement et la vitalité, et en quelque sorte la protection, des institutions culturelles au Québec. Par conséquent, l’intérêt de l’OSQ et de l’OSM de viser la démocratisation de leurs institutions largement financées par les subventions publiques (par exemple le CALQ) et supportées par les politiques culturelles mises en place par le MCC est de rejoindre les goûts

d’un plus vaste public afin de remplir leur rôle d’institutions culturelles fortement appuyée par le gouvernement.

3.1.1. La démocratisation culturelle comme axe de la politique culturelle de 1992

Dans la première politique culturelle du Québec adoptée par le MAC29 en 1992, Notre

culture, notre avenir, trois grands axes font offices des lignes directrices qui allaient guider

le développement de la culture au Québec pour les années à venir :

1- L’affirmation de l’identité culturelle; 2- Le soutien aux créateurs et aux arts;

3- L’accès et la participation des citoyens à la vie culturelle (MAC 1992). Ce troisième point qui vise à soutenir et encourager la démocratisation et la démocratie culturelle est lui-même constitué de trois orientations principales : 1-) Renforcer l’éducation et la sensibilisation aux arts et à la culture ; 2-) Faciliter l’accès aux arts et à la culture ; 3-) Favoriser la participation des citoyens à la vie artistique et culturelle (MAC 1992). Ces trois grands axes de la politique culturelle du Québec de 1992, de même que les trois orientations de démocratisation et de démocratie culturelles, ne sont pas étrangers à la période d’incubation de cette politique, qui a duré pas moins de 30 ans, à la suite de la création du MAC (1961). Comme le rappelle Jocelyne Lamoureux dans son article « L’action (ou animation) culturelle dans la Cité : État des lieux au Québec », les années 1960 et 1970 étaient marquées, de façon générale, par « l’émergence d’une mouvance contestataire artistique, questionnant l’art traditionnellement orienté vers une élite, dans un effort pour rejoindre le "monde ordinaire" selon l’expression consacrée » (2004 : 47). Ce questionnement relatif à l’élitisme de l’art traditionnel, que nous pourrions appeler culture savante pour faire écho à la théorie de la distinction de Bourdieu (1979) et, de surcroît, cette volonté de « rejoindre le "monde ordinaire" », qui fait référence à la culture populaire, sont deux mouvements qui ont contribué à l’émergence de l’idée de démocratisation culturelle. Par ailleurs, la démocratisation culturelle fait elle-même partie des trois objectifs

29 À l’époque, le Ministère de la Culture et des Communications (MCC) était nommé Ministère des Affaires

idéologiques de l’action culturelle, entre autres appuyés par l’UNESCO : 1-) le développement culturel ; 2-) la démocratisation culturelle ; et 3-) la démocratie culturelle (Lamoureux 2004 ; Midy 2002 : 13). De plus, selon Gaudibert, la démocratisation culturelle est même intrinsèque à la définition même de l’action culturelle, qu’il décrit comme « une entreprise généreuse de démocratisation culturelle faite sous l’impulsion de l’État et par souci de l’intérêt général, qui viserait à la fois la fin du privilège culturel et un apprentissage de la participation de chaque citoyen à la chose publique » (1972 : 7).

Comme nous le constatons, la notion de démocratisation culturelle est inhérente au développement culturel au Québec et en soulignant l’importance de la démocratisation culturelle comme pierre angulaire de la politique culturelle du Québec, qui a d’ailleurs été renouvelé en juin 2018, Partout la culture, le MCC encourage les institutions et organismes culturels qu’il supporte à poser des actions visant la démocratisation culturelle. Bien que ce ne soit pas les instances gouvernementales qui imposent l’offre culturelle présentée au public, les orientations choisies par le MCC influencent inéluctablement la direction du milieu culturel et artistique qui reçoit, ne l’oublions pas, un soutien financier important de la part de l’État30. Par exemple, l’OSQ et l’OSM qui reçoivent le soutien politique et financier du gouvernement du Québec, dont nous discuterons en plus amples détails au prochain point (3.1.2), agissent probablement sous l’influence des orientations choisies par le MCC dans ses politiques culturelles (1992 ; 2018). De plus, si l’État favorise la démocratisation culturelle en soutenant l’accès à la culture sous ses diverses formes à l’ensemble de la population, nous pouvons supposer que l’État s’attend, en retour, que les institutions et organismes culturels qu’il subventionne largement soient de connivence avec les politiques culturelles établies et que ces organismes cherchent, eux aussi, à se rendre accessibles au plus grand nombre possible, venant ainsi compléter les efforts de démocratisation de l’État. Dans cet ordre d’idée, la pratique du crossover telle que retrouvée à l’OSQ et l’OSM correspond à cet objectif soutenu par l’État de démocratisation de la culture. En effet, à la section 2.3 du chapitre 2 de ce mémoire, nous avons exposé comment cette pratique agit comme une action menant à la démocratisation de l’OSQ et de l’OSM, entre autres raison des motivations sous-jacentes à son développement et son intégration au sein des habitudes de

fonctionnement de ces deux orchestres. Par conséquent, quoique ce soit motivé par une nécessité d’attirer le public, tant pour des raisons de survie culturelle – sans public, qu’elle serait la raison d’être d’un orchestre symphonique ? – que financière, il n’en demeure pas moins que cette pratique, particulièrement du côté de l’OSQ, s’intègre dans la ligne de conduite du MCC présentée dans la politique culturelle (1992). Rappelons d’ailleurs qu’au chapitre 2 de ce mémoire, nous avons noté une collaboration soutenue de l’État à travers ses sociétés d’état et les séries de concerts présentant la majorité des concerts crossover à l’OSQ, dont nous discuterons davantage à la section suivante (3.1.2).

Avec la mise en place de cette politique culturelle, qui cherche à renforcer l’identité culturelle, notamment la langue, à promouvoir le développement culturel et à étendre l’accès à la culture à l’ensemble de la population, l’État, en l’occurrence le gouvernement du Québec, prend un réel engagement des pouvoirs publics à l’égard de la culture. Le soutien politique à l’endroit des institutions culturelles prenant entre autres la forme de subventions étatiques, il va donc de pair que les organismes culturels qui bénéficient de cet appui contribuent à la réussite de la politique culturelle. Les institutions comme l’OSQ et l’OSM portent donc des actions cohérentes avec la mission des politiques qui soutiennent leurs activités.

3.1.2. Financement étatique

Comme nous venons de le mentionner, l’OSQ et l’OSM sont deux institutions culturelles soutenues, certes politiquement, mais aussi financièrement par l’État. Considérant que ce sont des institutions financées par les fonds publics (subventions gouvernementales), il est conséquent que ces institutions participent à l’effort de démocratisation pour se rendre accessibles à un plus vaste ensemble de la population. De ce fait, en posant une action menant à la démocratisation culturelle et en cherchant à se rapprocher des différents publics, l’OSQ et l’OSM justifient les fonds publics investis dans leur organisme. C’est-à-dire que les fonds publics étant constitué en bonne partie de l’argent des contribuables, si l’ensemble de ces derniers participent à la création de fonds publics, ceux-ci doivent servir l’intérêt du plus grand nombre possible : si tous y contribuent, tous devraient y avoir accès.

3.1.2.1. Justifier les subventions des sociétés d’État

Selon un rapport du CALQ31 dressant la liste des organismes bénéficiant de subventions pour « Soutien à la mission » en date du 19 juillet 2017, l’OSQ et l’OSM sont deux des organismes recevant les sommes les plus importantes dépassant le million de dollars : l’OSQ a perçu pour l’année 2017-2018 1 987 500$, comparativement à 8 555 550$ pour l’OSM (CALQ 2017). Ces sommes substantielles investies dans ces institutions culturelles classiques, car il est important de souligner que l’OSQ et l’OSM appartiennent à la culture classique, doivent donc, selon la logique de démocratisation, servir à l’épanouissement culturel d’un maximum de citoyen·ne·s, et non seulement à un à groupe restreint d’individus qui appartiennent aussi à la culture classique et qui ont, de plus, généralement les moyens financiers pour assister aux concerts payants des orchestres. De ce fait, la culture classique, dont les arts classiques, étant déjà inaccessible à une bonne partie de la population pour diverses raisons, comme l’inaccessibilité culturelle, physique et financière, l’OSQ et l’OSM doivent donc faire un effort supplémentaire afin qu’un plus large public se sente concerné par leurs offres de concerts, dans une optique de démocratisation culturelle, et c’est alors qu’entrent en ligne de compte les concerts crossover. Conséquemment, la proposition de concerts crossover au sein de leur programmation annuelle respective contribue donc à justifier les subventions gouvernementales perçues, puisque les concerts crossover sont une action qui permet, dans une certaine mesure, la démocratisation culturelle de ces institutions telle qu’encouragée par le gouvernement dans la politique culturelle (1992).

En plus du CALQ, deux autres sociétés d’État participent au soutien financier de l’OSQ et de l’OSM : Hydro-Québec et Loto-Québec. Dans le cas de ces deux sociétés d’État, l’apport des contribuables à leurs finances est plus évident. En effet, Hydro-Québec étant le seul distributeur d’électricité au Québec, une partie des profits générés provient directement de la population. La situation est similaire dans le cas de Loto-Québec qui exploite les jeux du hasard et d’argent au Québec. Il va sans dire que les consommateur·rice·s de loterie au Québec génèrent donc directement une marge de profit à Loto-Québec. Dans un contexte où

31 Le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) est une société d’État créée en 1994 par le gouvernement

du Québec avec pour mission de soutenir « la création artistique et littéraire, l’expérimentation, la production et la diffusion » (CALQ 2019).

l’ensemble de la population contribue financièrement à l’une (Hydro-Québec) ou les deux (Hydro-Québec et Loto-Québec) de ces sociétés d’État, il relève du devoir moral que ces sociétés subventionnent des activités et des organismes disponibles et accessibles pour tout le monde, ou du moins pour le plus grand nombre possible. Ainsi, l’OSQ et l’OSM, qui bénéficient tous deux d’un support financier de la part d’Hydro-Québec et Loto-Québec, justifient les fonds versés en implantant des actions qui vise l’intérêt culturel général, donc la démocratisation culturelle. Dès lors, lorsqu’Hydro-Québec, par exemple, devient partenaire de série de l’OSQ pour les séries de concerts présentant la majorité des concerts

crossover, Les Week-ends électrisants Hydro-Québec et Coups de foudre Hydro-Québec¸ les

deux parties se justifient dans cette action : Hydro-Québec justifie les fonds versés en subventionnant des concerts accessibles culturellement à un plus large public, et l’OSQ justifie les fonds perçus en démontrant un effort de rejoindre l’intérêt culturel d’un plus vaste public.