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L’analyse de l’évolution de la consommation alimentaire a conduit à une observation selon laquelle les habitudes alimentaires des Kinois ne semblent pas rencontrer les exigences nutritionnelles. Entre les deux considérations les ménages kinois semblent trouver de plus en plus de difficultés à trouver un point d’équilibre. Les éléments qui peuvent justifier ce difficile équilibre sont notamment :

 La monotonie alimentaire dans les ménages,

 Le déséquilibre alimentaire qui n’est pas toujours lié au revenu,

 La tendance à favoriser la consommation des aliments bon marché,

 Le choix des aliments sans lien avec les considérations diététiques,

 De plus en plus de problèmes de santé publique liés à des modes de consommation alimentaire,

 L’apparition de plus en plus des pratiques alimentaires particulières et exprimées sous formes des « codes » propres aux Kinois.

6.1.1. Monotonie alimentaire dans les ménages

Les analyses menées au cours de cette étude ont révélé que les aliments de base consommés dans les trois sites d’étude sont toutefois identiques et sont d’abord représentés à Kinshasa par le Fufu (bouillie de manioc en mélange ou non avec la farine de maïs). A cet aliment de base, s’ajoutent comme aliments carbonés essentiellement en milieu aisé, la banane plantain et le riz. Le plantain beaucoup plus cher n’est plus consommé par les ménages des quartiers les plus pauvres (Muteba et al, 2010). L’alimentation des Kinois est monotone depuis des années. Le Fufu a toujours été l’aliment de base (Houyoux et al, 1986).

Dans les ménages pauvres la monotonie alimentaire tend à se centraliser autour du manioc dont la consommation présente des grandes fréquences au cours de la semaine. Dans cette étude, il a été observé que l’importance relative du manioc dans les dépenses alimentaires était de 27 % dans le quartier moins aisé en saison pluvieuse. Il en est de même des feuilles de manioc et de la patate douce, les deux aliments de complément respectivement pendant la saison des pluies et la saison sèche (Banea, 2001). Il a été observé qu’en dehors de ces deux principaux légumes mentionnés, c’est le haricot qui est un produit végétal qui semble être le plus consommé, mais surtout dans les ménages aisés. Pourtant, il existe à Kinshasa une bonne diversité de légumes. Rien qu’avec les légumes, il y a lieu d’obtenir une meilleure diversité alimentaire au sein des ménages.

Les produits animaux sont coûteux même quand ils sont consommés sous la forme d’abats ou de sous-produits des découpes. Dans la plupart des ménages kinois, l’adoption du chinchard comme poisson préféré est loin d’être liée aux seules considérations de prix. Dans cette étude, il a été observé que le chinchard a été cité en première position à la fois dans tous les trois quartiers de notre étude. C’est l’aliment d’origine animale le plus consommé dans les ménages.

Quelle que soit la saison, les ménages consomment les mêmes aliments de base et les résultats de l’analyse ont montré que les quantités consommées des céréales et racines & tubercules ne sont pas significativement différentes entre les plus pauvres et les ménages moyens pendant la saison d’abondance. A cause de cette monotonie alimentaire, de faibles variations à la hausse de prix de ces produits ont tendance à renvoyer bien des ménages dans l’insécurité alimentaire.

6.1.2. Déséquilibre alimentaire non toujours lié aux revenus

L’analyse des modes de consommation alimentaire a révélé que certains aliments ont des petites fréquences de consommation au cours de la semaine. A cet effet, il a été observé dans les trois quartiers à la fois, la faible consommation des œufs et des fruits. Or, les œufs comme les fruits ne sont pas aussi coûteux que les viandes ou les boissons (bières, jus, etc.) dont la consommation grève les dépenses.

A partir de cette observation, il apparaît que des régimes alimentaires dans lesquels la consommation des œufs et celle des fruits est déficitaire sont naturellement déséquilibrés. Ce déséquilibre alimentaire qui en découle touche à la fois les ménages aisés et les ménages les plus pauvres.

6.1.3. Tendance à favoriser la consommation des aliments bon marché

Au cours de cette étude, il a été constaté que des ménages attachent plus d’intérêt à la quantité qu’à la qualité des produits alimentaires. Parmi les trois motivations pour lesquelles le choix alimentaire est opéré, c’est le prix qui a été cité en première position. Cette attitude des ménages ayant été appréhendée par les offreurs des produits alimentaires, ces derniers ne tardent pas à livrer à la consommation des produits jugés de mauvaise qualité.

Devant pareille situation, l’Office Congolais de Contrôle (OCC) est censé multiplier la vigilance, mais comme dans la plupart des pays en voie de développement, les salaires impayés et modiques exposent les gens à céder face à la corruption laissant ainsi la voie libre aux produits de mauvaise qualité. Le manque de vérification des indicateurs de qualité tels que la date de péremption de la part de certains consommateurs favorise aussi la consommation des produits de mauvaise qualité.

Les enquêtes menées par CEPLANUT et l’UNICEF entre 1992 et 1993 ont révélé que les ménages ont une consommation de plus en plus accrue de poisson au détriment de celle de la viande. Il semble cependant que la tendance est en train de se renverser. En effet, avec l’avènement de ce que les Kinois appellent « vivres frais », il existe sur les marchés une gamme variée de viandes et volailles (pattes, langue, queue, ailes, tripes, cuisses, etc.). Ces produits qui relèvent du groupe des viandes, sont de plus en plus disponibles pour toutes les bourses. C’est ainsi que les ménages moins aisés, en profitent pour accéder à la consommation des viandes, bien que parfois de mauvaise de qualité.

Le seul poisson le plus disponible et à prix assez raisonnable reste le chinchard, dont la variation des prix dans le sens de la hausse limite de plus en plus certains ménages à le

consommer. Les autres formes de poissons (salés, séchés, fumés, ou frais, d’eau douce) coûtent relativement plus cher, surtout en saison pluvieuse, que les découpes des poulets ou certains abats de viandes. Il résulte de cette analyse que dans les conditions actuelles de Kinshasa, les ménages semblent consommer de plus en plus de viandes et leurs sous-produits que les poissons. Les considérations liées à la quantité priment sur celles de la qualité.

6.1.4. Choix des aliments sans lien avec les considérations diététiques

Bien que l'alimentation soit censée remplir trois fonctions : nutritionnelle, hédonique et identitaire (Bricas, 1998), il s’avère que pour beaucoup de ménages kinois le choix des aliments est opéré selon les deux dernières fonctions. D’abord ce sont les considérations hédoniques c'est-à-dire le plaisir pour telle consommation et non telle autre, ensuite ce sont les considérations identitaires ou culturelles qui orientent le choix de l’alimentation des Kinois. En optant pour ces deux fonctions sans tenir compte de la fonction nutritionnelle, on aboutit à des régimes alimentaires déséquilibrés.

Il a été observé que les ménages aisés consacrent une bonne partie des dépenses pour l’achat des viandes et poissons qui représentent pour ces ménages respectivement 18 et 15% des dépenses alimentaires. Ce constat a été également mis en évidence dans les résultats de l’enquête 1-2-3 (Ministère du Plan, 2004). Les résultats de cette enquête ont montré que : « de manière systématique, plus les ménages sont pauvres, plus la part du pain et des céréales et des légumes est importante. Pour le pain et les céréales, elle représente 31,9 % de la consommation alimentaire des plus pauvres et seulement 26,2 % de celle des plus riches. En contrepartie, les postes "viande" et "poissons et fruits de mer" sont d’autant plus importants que les ménages sont riches».

Au regard de ces informations, il apparaît qu’à Kinshasa, les ménages pauvres ont un régime alimentaire végétarien tandis que les ménages aisés ont un régime alimentaire basé sur la consommation des produits animaux. Cette attitude témoigne que les uns et les autres ne disposent pas des connaissances sur la diététique. Une ration en grande partie végétarienne ou en produits animaux n’est pas équilibrée. Au regard de ce qui a été observé, il y a lieu de s’inquiéter sur l’état nutritionnel des membres des ménages kinois, tant ceux qui sont dans des conditions aisées que ceux qui vivent dans la précarité.

6.1.5. De plus en plus de problèmes de santé publique liés à des modes de consommation alimentaire

Avec la crise, il est apparu à Kinshasa plusieurs petits restaurants de fortune que l’on appelle « Malewa ». Ils sont très nombreux dans les quartiers populaires, près des milieux professionnels, près des écoles et universités. Les gens viennent manger sur place ou acheter et emporter les aliments. Le reproche qui est formulé à ce Malewa est le manque d’hygiène. Beaucoup de Kinois déclarent avoir rencontré des troubles de digestion après avoir fréquenté ce restaurant. Cependant, le faible prix à payer pour avoir accès au Malewa est à la base de son succès croissant.

Dans certains quartiers de Kinshasa à l’instar des quartiers I et VII à Ndjili (l’une des zones de la présente étude), ces restaurants sont implantés à côté des petites activités professionnelles et le Malewa peut être considéré comme une des nouvelles formes de consommation qui apparaissent avec la crise (Ndoye, 2001).

Photo 5 : Restaurants de fortune à Kinshasa appelés Malewa

Parallèlement au Malewa, la vente de l’eau dans des sachets conditionnés selon des procédés peu contrôlés est une pratique associée aux modes de consommation alimentaire. Le gouvernorat de la ville de Kinshasa a tenté à plusieurs reprises d’éradiquer ce phénomène sans toutefois y parvenir.

Enfin, les consommateurs Kinois redoutent les produits utilisés dans la conservation des aliments frais. Selon certaines sources, ces produits seraient conservés avec du formol ce qui pourrait nuire à la santé. En l’absence d’études et analyses approfondies sur ce sujet, il est difficile d'émettre un point de vue objectif.

Cependant, les difficultés qu’éprouvent les vendeurs des vivres frais à bien conserver leur produit, pendant parfois plusieurs jours suite aux coupures d’électricité, peuvent amener à se poser des questions sur la qualité des produits frais consommés par les Kinois.

6.1.6. Apparition des pratiques alimentaires particulières et exprimées sous formes des « codes » propres aux Kinois

Beaucoup de Kinois, surtout ceux qui vivent dans des conditions de précarité ont adapté leur pratique alimentaire aux réalités qui les entourent. De ces réalités, on voit apparaître des modes de consommation assez particuliers et exprimés sous forme de codes dont seuls les pratiquants ou les initiés en connaissent la signification. Pour se faire une idée, on peut citer à titre d’exemple les pratiques alimentaires ci-après :

Le « Délestage » : cette expression est utilisée lorsque le ménage se retrouve dans l’impossibilité financière ou matérielle de préparer la nourriture. Dans ces conditions, les membres sont prévenus qu’il y a délestage (non service) alimentaire.

Le « Kondoko » : cette expression beaucoup utilisée dans les milieux des jeunes Kinois signifie tout simplement la consommation de la viande du chat. Toutefois, en parlant de « kondoko », il s’agit de toute une série d’opérations qui commencent par le piégeage d’un chat, sa préparation, son mode de cuisson et son mode de consommation.

Le « Yango na yango » : cette expression peut se traduire littéralement par « la même chose, choses identiques, même origine». Les Kinois utilisent cette expression pour désigner certains modes de consommation issus d’un même produit agricole. Cette expression est souvent

employée lorsqu’on a consommé la Chikwangue, le Fufu préparé sur base de la farine de manioc seule sans mélange avec la farine de maïs avec comme unique accompagnement les feuilles de manioc. Dans ces conditions un Kinois dira qu’il a mangé « yango na yango » c'est-à-dire qu’il n’a mangé que le manioc avec le manioc.

La liste bien que non exhaustive de ces codes est présentée dans l’annexe de ce travail. En utilisant ces codes, les Kinois expriment des pratiques alimentaires ou certains comportements alimentaires assez particuliers. Il est important d’observer que la quasi-totalité des termes utilisés pour exprimer ces pratiques alimentaires ont un caractère plutôt péjoratif. On peut donc considérer ces codes comme une expression de mécontentement, de déception, de précarité, voire de crise dans les habitudes alimentaires de certains Kinois.

6.2. FACTEURS INQUIETANTS DANS L’EVOLUTION DES MODES DE CONSOMMATION