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la moelle osseuse adulte

4. Caractère souche des CCN de la moelle osseuse

4.2. Multipotentialité des CCN de la moelle osseuse

4.2.2. Destins nerveux

En ce qui concerne la différenciation nerveuse des CCN issues de la dissociation des sphères, plusieurs protocoles ont été testés : 1) 10 jours dans un milieu contenant 10% de sérum ; 2) 14 jours dans un milieu supplémenté de NT (NGF, BDNF et NT-3) ; 3) 17 jours en co-culture avec des grains cérébelleux (GC). Les GC sont des neurones immatures prélevés au niveau du cervelet de nouveau-nés de souris transgéniques (âgés de 3 jours). Ces souris sont caractérisées par une expression ubiquitaire et constitutive de la protéine auto-fluorescente verte, la Green Fluorescent Protein (GFP), puisque son

61 gène est sous le contrôle du promoteur de l’actine [193]. Dans ce type de co-culture, il est donc aisé de vérifier l’identité d’une cellule selon qu’elle exprime ou non la GFP.

Les trois conditions se sont avérées favorables à l’adoption d’un destin nerveux par les CCN. En effet, l’expression de la Glial Fibrillary Acidic Protein (GFAP), un marqueur glial, et de la β-III-tubuline, un marqueur neuronal (mis en évidence par l’anticorps Tuj1), a été observée par des cellules n’exprimant pas la GFP, mais au contraire, la β-galactosidase (Fig. II-7). La proportion de cellules exprimant ces marqueurs n’est, toutefois, pas la même d’une condition de culture à l’autre. Ainsi pour la condition sérum, 3.54 % ± 0.84 % des cellules X-gal-positives expriment la GFAP et 7.87 % ± 3.03 % des CCN expriment la β-III-tubuline. Dans le cas de la condition NT, la proportion de CCN GFAP-positives et Tuj1-positives est de 10.63 % ± 2.02 % et 26.71 % ± 9.65 % respectivement. Enfin, la co-culture en présence de GC favorise la différenciation des CCN en cellules GFAP-positives à hauteur de 2.61 % ± 1.22 % et en cellules Tuj1-positive à hauteur de 10.73 % ± 3.32 %. Nous pouvons donc conclure que la condition NT permet une différenciation nerveuse d’un plus grand nombre de CCN puisque la proportion de CCN exprimant la GFAP dans la condition NT est augmentée de 3 fois comparé à la condition sérum (p = 0.0007) et de 4 fois comparé à la co-culture (p = 0.00052 ; n = 3, ANOVA à mesures répétées suivie du post-test de Newman-Keuls

; Fig. II-8). De la même manière, la proportion de CCN Tuj1-positive y est augmentée 2.5 fois par rapport à la co-culture (p = 0.0076) et plus de 3.4 fois par rapport la condition sérum (p = 0.0034, n = 3, ANOVA à mesures répétées suivie du post-test de Newman-Keuls ; Fig. II-8).

Cependant, si la présence de NT dans le milieu de culture semble générer le plus grand nombre de neurones, ceux-ci ne sont pas pour autant matures. En effet, l’expression de la β-III-tubuline est plutôt précoce dans le processus de différenciation neuronal [194]. Cette expression n’est donc pas garante de la formation d’un neurone fonctionnel. Dès lors, nous avons effectué un marquage ICF de la Microtubule-Associated Protein 2 (Map2 ; protéine qui accélère la polymérisation de la tubuline dans les neurones), généralement exprimée par les neurones plus matures. Il s’avère que la

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63 Map2 n’est pas exprimée par les cellules neuronales formées en condition sérum ni en condition NT. Seule la co-culture avec des GC permet aux CCN issues des sphères de se différencier en neurones matures (Fig. II-7C). La proportion de cellules Map2-positives observée après 12 jours est toutefois plus faible (4,83 % ± 0,82 % ; Fig. II-8) que la proportion de cellules Tuj1-positives observée après 5 jours de co-culture. Ceci démontre que toutes les cellules qui entament une différenciation neuronale ne vont pas nécessairement au bout du processus de maturation.

Figure II-8. Comparaison de la différenciation nerveuse des CCN observée dans les trois conditions de culture utilisées.

Les cellules issues des sphères dissociées ont été placées en culture en présence de sérum, de NT ou en co-culture avec des GC-GFP. C’est le milieu supplémenté en NT qui induit l’expression des marqueurs gliaux (GFAP) et neuronaux (Tuj1) dans le plus grand nombre de cellules X-gal-positives.

Cependant, seule la co-culture permet la différenciation des CCN en neurones plus matures (exprimant Map2). **p < 0.01 ; *** p

< 0.001. NT, neurotrophines.

Figure II-7. Différenciation nerveuse de CCN issues de sphères dissociées. Les sphères sont dissociées et les cellules, que l’on peut identifier par un marquage X-gal, sont cultivées selon trois protocoles particuliers : (A) pendant 10 jours dans un milieu contenant du sérum, (B) pendant 14 jours dans un milieu contenant des NT ou (C) pendant 17 jours en co-culture avec des GC-GFP (vert). Les trois conditions ont permis la différenciation de CCN en cellules GFAP-positives (A, B, vert – C, rouge) et en cellules Tuj1- et Map2ab-positives (rouge). Les noyaux des cellules sont contre-colorés au Dapi. NT, neurotrophine ; GC, grains cérébelleux. Echelle = 30 µm.

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Enfin, une caractérisation électrophysiologique des CCN placées en co-culture avec des GC–GFP durant une période de 7 à 17 jours a été réalisée. 36 cellules différenciées dans ces conditions ont été enregistrées en mode patch clamp et configuration whole cell (cellule entière), un microscope épifluorescent nous permettant de sélectionner les CNN, qui elles sont non vertes. Les cellules sont soumises à des potentiels croissants (voltage clamp) permettant la mise en évidence de canaux voltage-dépendants (CVD). Des courants sortants ont été observés sur 16 cellules et 5 d’entre elles présentaient également des courants entrants, représentatifs respectivement de l’ouverture de canaux potassiques et sodiques en réponse au voltage appliqué. La nature de ces courants est d’ailleurs confirmée par l’application d’inhibiteurs spécifiques des CVD, tels que la tétrodotoxine (TTX) 0,5 µM pour les canaux sodiques (Fig. II-9A) et le tétraéthylammonium (TEA) 20 mM pour les canaux potassiques (Fig. II-9B). Si l’injection de courant positif, en mode current clamp, n’a pas déclenché de potentiels d’action, des spikelets (petites dépolarisations de faible amplitude) ont été enregistrés, démontrant ainsi une certaine réactivité des cellules au courant injecté.

Figure II-9. Caractérisation électrophysiologique des neurones différenciés à partir de CCN issues de sphères dissociées. Les sphères sont dissociées et les cellules sont placées en co-culture avec des GC-GFP. (A-B) Après 8 jours, des cellules identifiées comme GFP-négatives sont enregistrées en mode voltage-clamp, soumises à un voltage d’intensité croissante à partir de -50mV. On constate l’apparition (A) de courants entrants inhibés par la tétrodotoxine (TTX), mais également (B) de courants sortants inhibés par le tétraéthylammonium (TEA).

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5. Conclusions

Cette première partie de notre travail visait à caractériser les CCN de la moelle osseuse adulte. Dans un premier temps, nous avons confirmé la présence de CCN dans la moelle osseuse adulte. En effet, alors que notre travail était en cours, l’équipe de Nagoshi et coll. a publié la démonstration de la présence de CCN dans la moelle osseuse adulte par une approche similaire à celle que nous utilisions, le fate mapping.

Cependant, cette équipe s’était surtout attachée à étudier le chemin migratoire que les cellules empruntaient au cours du développement avant de coloniser la moelle osseuse, ne décrivant que sommairement leurs potentialités [134]. C’est la raison pour laquelle, nous avons entrepris de caractériser de manière plus précise les CCN de la moelle osseuse.

Il s’est avéré, ainsi, que la proportion de CCN résidant dans la moelle osseuse adulte était extrêmement faible. Il est dès lors concevable que les études antérieures sur les CCN, utilisant le marquage des CCN à la thymidine tritiée ou encore les chimères caille-poulet, n’aient pas été en mesure de mettre ces cellules en évidence dans la moelle osseuse adulte [195, 196]. Néanmoins, si le nombre de CCN est faible in vivo, il peut être augmenté in vitro en utilisant les méthodes classiques de culture de cellules stromales [186].

Dans un second temps, nous avons mis en évidence la présence de cellules souches parmi ces CCN en démontrant leur capacité à s’auto-renouveler et à se différencier en plusieurs types cellulaires distincts. L’auto-renouvellement des CCN a pu être établi en cultivant les cellules stromales dans des conditions généralement utilisées pour les CSN et dans lesquelles ces dernières forment des sphères [197]. De manière surprenante, parmi les cellules stromales, seules les CCN ont formé des sphères dans ces conditions. De plus, le fait que les cellules issues de sphères dissociées soient capables de reformer de nouvelles sphères de manière plus efficiente suggère un recrutement des cellules les plus immatures de la population. Tout comme la formation de sphères par des CCN ensemencées à dilution clonale démontre de manière non

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équivoque la présence parmi ces CCN de cellules capables de générer à elles seules une descendance, c'est-à-dire de cellules capables d’auto-renouvellement [191, 197].

C’est donc à partir de cellules immatures, issues de sphères dissociées que plusieurs protocoles de différenciations ont été testés et que le potentiel de différenciation des CCN a été caractérisé. Par cette approche, nous avons observé que les CCN étaient capables de se différencier en chondrocytes, en ostéocytes et en mélanocytes. Cependant, contrairement à Nagoshi et coll., nous n’avons pas observé de différenciation des CCN en cellules de muscle lisse que ce soit par la stimulation par du TGF-β3 ou, comme rapporté par cette équipe, par un milieu de culture enrichi en sérum.

D’une part, cette différence de résultats peut s’expliquer par le fait que les protocoles de prélèvement des cellules à partir de la moelle osseuse diffèrent. En effet, Nagoshi et coll. ont utilisé de la collagénase qui permet de détacher les cellules liées à la surface osseuse [198], ce que notre simple méthode d’aspiration ne permet vraisemblablement pas. Il est dès lors possible que la nature des CCN extraites de la moelle osseuse selon ces deux méthodes soit légèrement différente. Si cette hypothèse se vérifiait, cela voudrait aussi dire que, soit il existe différents sous-types de CCN (cf. Part. I.1.5.4.), soit les CCN du stroma sont instruites différemment des CCN associées aux trabécules osseux. D’autre part, une autre explication à la différence des résultats rapportés est que Nagoshi et coll. ont réalisé un tri des CCN avant leur culture en présence des facteurs EGF et bFGF afin de générer des sphères. De notre côté, l’ensemble des cellules stromales ont d’abord été mises en culture après l’extraction de la moelle et les CCN n’ont été isolées des cellules mésenchymateuses que lorsqu’elles ont été placées dans les conditions de culture permettant la formation de sphères. Ces différences dans les procédures pourraient donc, une fois encore, soit entrainer une sélection de progéniteurs aux potentialités distinctes, soit instruire différemment les cellules au cours de ces étapes.

La capacité des CCN à adopter un destin nerveux, soit glial, soit neuronal, a également été déterminé. Trois milieux de différenciations ont été testés et leurs effets sur la différenciation des CCN issues des sphères ont été comparés. Le premier de ces

67 milieux contenait du sérum, le second des NT et le troisième permettait un contact direct des CCN avec des GC. Nous avons ainsi mis en évidence que les NT provoquaient l’induction du plus grand nombre de cellules gliales et neuronales. Cette observation n’est pas si surprenante si on considère le rôle joué par les NT dans le développement et la différenciation neuronale des CCN durant le développement [67].

Cependant, il semble que les neurones formés sous l’induction des NT ne puissent pas atteindre un stade mature, ce qui est plus inattendu compte tenu du rôle des NT dans la neuritogénèse et la maturation neurale des CCN issues de GRD adultes [67]. Par contre, la co-culture des CCN en présence de GC génère des neurones plus matures, même si le rendement est plus faible. L’expression d’un marqueur de neurone mature, observée uniquement dans cette condition, démontre un stade de différenciation plus avancé. Dès lors, l’analyse électrophysiologique des CCN différenciées n’a été réalisée que sur cette condition de culture. Celle-ci a démontré la présence de CVD potassiques et sodiques fonctionnels. Aucun potentiel d’action n’a toutefois pu être enregistré, mais les spikelets enregistrés confirment la fonctionnalité des CVD et la réactivité des cellules après injection d’un courant positif. Ces résultats font pour la première fois état de la capacité de CCN issues de la moelle osseuse à se différencier en neurones au niveau de maturité avancé. Notons toutefois que des observations similaires ont été réalisées sur des CCN issues de la pulpe dentaire. Dans cette étude également, les CCN se sont avérées capables de former des neurones exprimant des CVD potassiques et sodiques fonctionnels sans pour autant générer de potentiels d’action [150]. Il restera à déterminer si l’absence de déclenchement de potentiel d’action est du à une incapacité intrinsèque des cellules à se différencier complètement en neurones ou à des conditions de culture inadéquates à la différenciation neuronale complète.

Dans le cadre de ces dernières hypothèses, il serait intéressant de combiner les deux conditions de différenciation en ajoutant des NT dans le milieu utilisé pour la co-culture en présence de GC ou encore de prétraiter les cellules dissociées à partir de sphères en présence de NT avant de les ensemencer avec des GC afin de voir si cela entrainerait un meilleur rendement de différenciation des CCN en neurones matures.

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Une démonstration claire et conclusive de l’obtention de neurones fonctionnels à partir de CCN issues de la moelle osseuse adulte est un pré-requis indispensable si on veut un jour utiliser ces cellules dans des protocoles de greffes autologues pour diverses pathologies neurologiques.

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Partie III :