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B. SCHEMA D’EVOLUTION DES LANGUES (CADRE THEORIQUE)

I. Description des environnements

Calia et Lila évoluent dans deux environnements similaires et différents à la fois qui vont grandement conditionner leur rapport à l’anglais et au français et leurs progrès dans ces deux langues.

1. Pays de résidence et langue dominante

Calia vit aux Etats-Unis, dans une banlieue de Washington D.C. La langue de tous les jours, celle des principaux médias, des échanges avec les voisins et les commerçants est donc l’anglais. Lila vit en France, à Fontainebleau, ville située à une heure au sud de Paris où la langue de l’extérieur est le français.

2. Structure familiale/ contexte familial

a. Langues des parents et langues de la famille

Calia et Lila sont nées de mère française et de père américain. La langue première de leur mère est donc le français, celle de leur père, l’anglais. Les deux mères sont bilingues anglais-français suite à leurs études et à leurs expériences de vie ; le père de Lila est bilingue également mais ses compétences sont moindres que celles de la mère de Lila. Le père de Calia a commencé à apprendre le français suite à sa rencontre avec la mère de Calia. Il comprend assez bien la langue quand le contexte est favorable et que les interlocuteurs se mettent à sa portée mais il ne la parle que très peu et de façon très rudimentaire. De fait, les parents de Calia ne se parlent jamais en français ; leur langue d’échange est l’anglais. Au contraire, les parents de Lila peuvent utiliser le français ou l’anglais indistinctement dans leurs conversations mais s’ils doivent avoir un échange plus complexe, l’anglais s’impose en général.

Les deux enfants grandissent au sein de leur famille nucléaire. Les grands- parents vivent séparément et les enfants les voient de façon occasionnelle plusieurs fois par an.

Calia est pour le moment enfant unique et Lila vient d’avoir une petite sœur qui a un mois et demi au moment du premier enregistrement retenu (P1E1).

c. Milieu socio-économique et situations professionnelles

Le milieu socio-économique dans lequel évoluent les deux familles est assez similaire et plutôt favorisé. Dans chaque famille les deux parents ont fait des études supérieures. Les pères occupent des emplois de cadres dans des domaines différents. Le père de Calia est consultant dans le secteur des énergies renouvelables et travaille pour le gouvernement fédéral américain. Le père de Lila occupe un poste administratif dans une université américaine à Paris. La mère de Lila est enseignante, en congé maternité, et la mère de Calia, diplômée d’une école de commerce, n’a aucune activité professionnelle au moment de nos enregistrements.

3. Education des enfants

a. Personnes impliquées dans l’éducation des enfants

Calia passe la plupart de son temps avec sa mère qui est au foyer. Son père travaille à temps plein et n’a que peu de vacances pendant l’année. Il est néanmoins très impliqué dans l’éducation de sa fille quand il est présent. Il participe pleinement aux tâches domestiques en tout genre et s’occupe activement de son enfant autant dans la routine de la vie quotidienne que dans les moments de jeu.

La famille de Calia vit dans un quartier où se trouvent beaucoup de familles et où existent des lieux consacrés aux réunions : salles de jeux, aire de jeux, parcs et piscine réservée aux habitants de la résidence.

Dans la famille de Lila, la mère est à la maison en congé maternité depuis quelques mois mais le temps de l’enfant reste partagé entre le foyer et le domicile de l’assistante maternelle qui s’occupe d’elle depuis qu’elle a cinq mois. C’est la mère de Lila qui gère le quotidien le matin et le soir pendant la semaine car le père rentre

assez tard. Cependant, suite à la naissance de la petite sœur, le père bénéficie d’un congé parental et travaille quatre jours sur cinq. Il reste à la maison avec ses deux filles le mercredi et passe souvent cette journée seul avec elles. Comme le père de Calia, il est très investi dans le partage des tâches domestiques et dans l’éducation des enfants.

b. Choix et outils éducatifs

Dans les deux familles, les enfants sont assez peu exposées à la télévision. Les programmes qu’elles regardent sont sélectionnés par les parents. Il s’agit le plus souvent de DVD ou d’émissions sur Internet, supports permettant le choix des langues. Les parents de Lila privilégient l’anglais. Les parents de Calia sont plus souples dans leur démarche. Il faut noter que Lila regarde la télévision en français chez son assistante maternelle.

Il y a chez Calia et chez Lila beaucoup de livres d’enfants en anglais comme en français et les moments de lecture sont quotidiens dans les deux familles. Du temps est aussi régulièrement consacré au jeu entre parents et enfants, que ce soit particulièrement au moment du bain pour Lila ou lors de sorties au parc pour Calia.

4. Le monde extérieur : les autres et leurs langues

Comme nous l’avons évoqué précédemment la langue de l’extérieur pour Calia est l’anglais et pour Lila le français.

Lila passe la moitié de son temps chez son assistante maternelle avec trois autres enfants et les échanges se font exclusivement en français. En outre, Lila doit rentrer à l’école maternelle en septembre 2009 (nos enregistrements commencent en mai 2009 et se terminent en octobre 2009). Ses parents anticipent donc une exposition accrue à la langue française à travers les différentes activités pédagogiques proposées et par le contact avec de nouveaux enfants au sein du groupe-classe. Calia de son côté côtoie de façon quasi quotidienne d’autres enfants anglophones lors de séances de jeu à la maison ou à l’extérieur. La problématique de l’école ne la concerne pas dans la mesure où le système scolaire est différent aux Etats-Unis et où les enfants font leur première rentrée dans le système public d’éducation à l’âge de cinq ans (dans les « Kindergartens »).

5. Attitudes face au bilinguisme

Dans les deux familles, l’attitude face au bilinguisme est positive. Cette position est logique de la part des parents pour qui elle relève du choix et elle est soutenue par la famille éloignée qui voit le bilinguisme comme une chance. Cette attitude est généralement relayée par le monde extérieur. Les deux familles bénéficient en ce cas de l’a priori positif qui touche ces deux langues particulières que sont l’anglais et le français. Elles appartiennent en effet au monde occidental et, que cela soit justifié ou non, recèlent toutes deux des promesses de rayonnement international. Au contraire d’autres formes de bilinguisme entre langue dominante et dialecte au sein d’un même pays ou encore langue dominante et langue minoritaire dans le cadre d’une immigration subie et contrainte par des raisons économiques, par exemple, le bilinguisme français-anglais de Lila et Calia est considéré comme un atout. Il relève du choix et constitue une valeur ajoutée. Comme chez les familles interrogées par Yamamoto (2001 : 81), la décision des parents de Calia et Lila de favoriser le bilinguisme est motivée par des intentions pragmatiques. Il s’agit d’encourager la communication interpersonnelle et la compréhension interculturelle, de participer à la formation du caractère et au développement cognitif. Yamamoto affirme ainsi : « in answer to the question why they promote bilingualism in their child-rearing, many parents repeated or referred to the same reasons why they think bilingualism is beneficial (Q10): practicality, interpersonal communication, cross- cultural understanding, character-building, and cognitive development ». Du fait du statut international des deux langues, cette position parentale trouve un écho positif dans le monde extérieur.

6. Conclusion

Lila et Calia grandissent dans un environnement globalement favorable au développement de leur bilinguisme. Les attitudes parentales et sociétales l’encouragent et le milieu dans lequel elles évoluent le permet. Yamamoto (2001 :20) s’appuyant sur Lyon (1996), Harding & Riley (1986) et De Houwer (1999) souligne l’importance des facteurs socio-culturels dans le développement bilingue des enfants. Elle évoque également les facteurs linguistiques et se réfère à Döpke (1992)

pour mettre en avant l’importance de l’exposition aux langues sur les plans quantitatif et qualitatif.

Il est clair que Calia est majoritairement exposée à l’anglais. C’est la langue de l’extérieur, la langue du jeu avec d’autres enfants, la langue de la famille et de l’échange entre les parents. Cette tendance est contrebalancée par la présence à la maison de sa mère francophone qui assume la plus grande partie de son éducation. Sur le plan qualitatif, Calia développe ses deux langues dans le contexte de véritables échanges linguistiques et bénéficie de nombreux moments privilégiés avec ses parents (jeux, lectures, promenades, dîners en famille, etc.). Il en va de même pour Lila.

Lila de son côté est majoritairement exposée au français. Elle partage son temps en semaine entre sa mère et son assistante maternelle francophone et les enfants que cette dernière garde. La famille anticipe en outre un renforcement du français au moment de l’entrée de Lila à l’école maternelle. L’anglais a pris une place plus importante depuis que le père passe une journée par semaine à la maison. De plus, l’anglais tend à être la langue principale de la famille.

Chez Lila comme chez Calia, on doit donc composer avec les contraintes imposées par l’environnement et par les compétences linguistiques des membres de la famille et des personnes extérieures. Ces facteurs vont influencer plus ou moins les « politiques linguistiques » familiales dans le souci de favoriser le bilinguisme et de maintenir la langue minoritaire.