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Constellation Eisenstein

2.1.2 Des résistances métamorphiques

Avant d’aller plus loin, il nous faut sommairement présenter ici quelques notes préliminaires susceptibles de nous aider à mieux situer quelques uns des points conceptuels parmi les plus scintillants de la constellation Eisenstein, ainsi que certains pans de leur relation réciproque. En premier lieu, il est une question fondamentale qu’implique l’obsession méthodologique eisensteinienne et qui est, comme l’affirme Aumont, bien plus qu’une simple question : celle de la forme. Eisenstein nous dit que le problème de l’articulation entre forme et contenu est un faux problème : « que de lances rompues» sur cette question, « que de sang d’encre répandu ». Tout cela uniquement parce qu’au départ, « à l’acte dynamique, actif et effectif de « contenir » (co-tenir, co-maintenir) s’est substituée la compréhension amorphe

et statique, passive, du contenu en tant que « tenu dans », « teneur matérielle ». » Et que la forme fut également comprise simplement à partir du grec formos – c’est-à-dire panier d’osier – « avec toutes les « conséquences organisatrices » qui en découlent » (Eisenstein, 1974, p. 189). Il ne cessera de l’expliquer à qui veut l’entendre : « nous devons construire simultanément l’œuvre et la méthode », dans cette articulation ouverte et réciproque entre ce qui est appelé forme et ce qui appelé contenu.

C’est dire que la méthode ne prédomine pas sur la forme de composition de l’image, ni sur la forme générale d’une œuvre ; elle n’est pas constituée a

priori et ne s’applique pas à toutes les sauces. « On arrive à une « forme » par

la nécessité de l’expression imagée » (Problèmes de composition, 1946). C’est dire aussi qu’il n’y aura pas, chez Eisenstein, qu’une seule méthode, ni que ce terme affichera toujours la même constance sémantique, la même fidèle signification. Une volonté dialectique d’origine hégéliano-marxiste (relayée par celle plus engelsienne) sera là dès ses premières réflexions sur les attractions au théâtre et au cinéma, dans son article de la LEF, ceci pour aider notamment à structurer son travail artistique et à canaliser, puis à diriger sa portée vers les masses spectatrices. Elle sera néanmoins appelée à constamment se transformer, à s’adapter au fur et à mesure que la création filmique d’Eisenstein se complique un peu plus, de projet en projet et de film en film. Elle sera à chaque fois inévitablement déterminée par le film sur lequel il travaille dans le moment, sur ses images – exclusivement visuelles dans un premier temps, mais également sonores par la suite. C’est ce que nous dit bien Youssef Ishaghpour : « Seuls comptent les films à venir, et non telle ou telle méthode qui prétendrait annexer le cinéma aux domaines de diverses sciences humaines […] La méthode, la série ouverte de médiation est ici à chaque fois déterminée par

l’objet » (Ishaghpour, 1982, p. 9, nous soulignons).

Deuxième remarque : une fois le temps des regards rétrospectifs venu, Eisenstein répartit ses efforts et sa démarche en trois grandes périodes,

parallèlement au nouveau cinéma soviétique se faisant à la même époque (Eisenstein, 1976 (2), p. 134). Dès la première, qui s’étend grosso modo de l’année 1924 à 1929, période dite de recherche (dans la bonne ou la mauvaise direction, est-il ajouté), c’est à ce moment qu’il a trouvé dans la pratique du montage une méthode fondamentale pour reconstituer la réalité de l’Histoire. Les deuxième et troisième périodes seront des périodes d’abord de « caractérisation psychologique » et de « dramatisation des sujets » (années 29- 34), puis finalement – dialectique oblige – périodes de synthèse (dès 1935 et toujours effective au moment de son allocution).

Cette qualité plurielle de la démarche méthodologique chère à Eisenstein, peu importe la période dont il est question d’ailleurs, peut vouloir dire trois choses distinctes mais directement reliées et qui concernent précisément la nature protéiforme de sa création. À savoir : 1) l’enchaînement dialectique d’un concept de montage à un autre, des « attractions » au « montage intellectuel », puis au « monologue intérieur » et à « l’extase », en passant par la dynamique « organique/pathétique » ; 2) une approche pluridisciplinaire riche et vaste (mémoires, manifestes, critiques, polémiques, cours, scénographies, mises en scène, opéra, gymnastique corporelle, films et dessins, etc.), mais qui peut se résumer en une sorte de grande trinité jamais dépassée : c’est-à-dire entre écriture, enseignement et pratique artistique, tous trois à portée didactique ; 3) puis d’une manière plus générale, l’articulation plutôt féconde entre conceptions théoriques et pratiques concrètes. La dialectique aura toujours à y voir – c’est l’époque d’un marxisme-léninisme difficilement franchissable, ne l’oublions pas –, mais nous verrons que son attitude matérialiste subira plusieurs mutations, sinon des déplacements importants : de l’extérieur d’une part, par ce qui lui est plus ou moins imposé par la ligne du Parti et par Staline, par exemple ; et de l’intérieur, d’autre part, à certains moments-clés de sa réflexion personnelle, devant l’échec ou la réussite d’un film en particulier. En conséquence, le matériau à partir duquel nous abordons l’œuvre eisensteinienne, pour mieux en éprouver ses capacités de

résistance internes, ne pourra jamais être limité à ses seuls ligaments filmiques ; c’est l’ensemble très varié des corpus textuel ET filmique qu’il nous faut appréhender, l’un n’ayant pas préséance sur l’autre.

Le travail d’Eisenstein tel qu’on l’entrevoit déjà nous apprendra donc un premier grand trait ou une première tactique de résistance concrète du cinéma : même si elle cherche paradoxalement à s’établir en système ou bien à affirmer une sorte de régularité persistante dans l’effort, la résistance n’est possible au cinéma que si ses formes se métamorphosent sans cesse, dans cette quête révolutionnaire non de la nouveauté mais du nouveau, dussent-elles emprunter ou mimer momentanément certaines formes déjà établies, ce qu’on entend normalement par genres, clichés, maniérismes et autres astuces référentielles. Si la résistance se fait, dans un premier temps, copie ou simulacre, c’est pour mieux renverser la forme d’origine et la retourner sur elle-même afin de produire autre chose, d’une force supérieure parce que fondamentalement nouvelle. La résistance « invente, nous dit Françoise Proust, de nouvelles règles du jeu alors même qu’elle occupe la place sur l’échiquier et joue le jeu de son adversaire. Une telle invention demande de la stratégie : un art de l’emprunt, du mime et des doublures » (1997, p. 12). Parce qu’il doit composer avec les règles du jeu de son époque, alors qu’il s’intéresse davantage à ce que celle-ci implique comme attitudes, comportements et pensées chez l’homme qui en fait partie et qui doit justement la traverser (Aumont, 2005 [1978], p. 44), Eisenstein arpente inévitablement le même sol révolutionnaire que celui de ses camarades. Il imite, en les faisant varier, les idéaux et les mêmes tics langagiers de son époque ; il en absorbe les grandes tendances philosophiques et socio- psychologiques ; mais, en sous-main, l’on sent très bien cette obstination qui est bien sienne, et qui transcende par moments tant les influences communistes que les expérimentations esthétiques très en vogue, telle que le futurisme. On reconnaît avec force cet esprit de résistance qui ne sait se limiter à seulement contrer son temps, mais qui se fait également avec lui, selon la formule de « contrariété dissymétrique » avancée par Françoise Proust : « toute résistance

est un mixte de réactivité et d’activité, de conservation et d’invention, de négation et d’affirmation » (Proust, 1997, p. 9 et 11).

À vrai dire, nous n’aborderons pas son œuvre ni son travail par la voie socio-historique. C’est que les forces de résistance du cinéma se laissent difficilement approcher par la méthode historiographique, trop close et continue. Et voilà une approche privilégiée par tant d’ouvrages déjà, suivant ce parcours à plus ou moins trois grandes périodes indiqué plus haut, mêlant éléments biographiques, traits de la personnalité du « maître » et certaines avancées théoriques avec, utilisés comme principales bornes chronologiques, les films réalisés par Eisenstein et ceux qui furent avortés. L’ouvrage de James Goodwin, quoique bien fait, en serait un exemple type2. Eisenstein se situe bien

dans l’Histoire, mais l’approche naturaliste que celle-ci oblige comporte son lot

d’effets empoisonnants : elle étouffe sans ambages son propre matériau, ses contradictions, ses hiatus et ses oublis. Nous aurons donc nous aussi à nous constituer une méthode qui soit fidèle à l’objet de notre étude : c’est notre troisième remarque. Si l’Histoire sera le thème eisensteinien par excellence – celle de sa terre natale surtout, jamais étrangère à la sienne propre – il nous faudra toutefois l’aborder au-delà de ses sédiments, et parfois contre elle, afin de restituer au maximum quelque chose de sa propre volonté de puissance. Ainsi, nous suivons Kozlov lorsqu’il écrit : « l’homme dans l’histoire, tel est le sens de l’existence à l’écran du personnage eisensteinien en tant que tel » et « l’histoire dans l’homme, tel est le sens principal de l’image de l’homme dans l’art d’Eisenstein » (Cahiers du cinéma, 226-227, p. 38). Mais l’histoire comme processus et mouvements méthodologiques procède surtout par « description de genèses linéaires », traçant « la courbe lente d’une évolution » qui peine à saisir « la singularité des événements » et les « différentes scènes » où se jouèrent « leur lacune », c’est-à-dire justement les moments et les points à partir desquels ces événements n’eurent pas nécessairement lieu mais qui n’en ont pas

2 GOODWIN, James. Eisenstein, cinema, and history. Urbana : University of Illinois Press, 1993, 262 pages.

moins joué un rôle déterminant pour le présent (Foucault, 2001(1), p. 1004). Si nous accostons effectivement la posture historique en cours de route, cela dépassera largement cette conception qui veut que l’Histoire soit figée dans une recherche des origines et s’appuyant sur des constances. On donnera peut-être « physionomie à certaines dates », selon le mot de Walter Benjamin, mais ce seront les déliaisons entre ces points de repères chronologiques qui davantage nous intéresseront.

Rendre compte et analyser les résistances du cinéma chez Eisenstein, ce ne sera donc pas en faire l’histoire proprement dite, ni réaliser une étude d’inspiration socio-historique. Nous devrons procéder autrement, nous le verrons, en y allant plutôt par constellations généalogiques, posture méthodologique pas tout à fait étrangère à la démarche même d’Eisenstein d’ailleurs, qui avait cette attitude critique du dialecticien soucieux des devenirs, et avec ce qu’elle pouvait supporter d’anachronismes et de survivances, selon les concepts avancés par Georges Didi-Huberman. C’est toutefois Nietzsche, et ce que Foucault et Deleuze en feront, qui nous permettra de mieux définir pour notre compte ce que l’approche généalogique peut vis-à-vis l’Histoire et comment, en un certain sens, celle-ci nous permet de saisir avec une acuité plus vive encore la révolution eisensteinienne et son héritage. Voilà bien l’un des points de tension de notre démarche : tension entre ce qu’Eisenstein nous apprend sur la résistance au cinéma d’un point de vue méthodologique et ce que la généalogie nous permet de saisir du travail du cinéaste.

Dernières remarques avant de débuter. Selon François Albera, il faudrait bien différencier chez Eisenstein le « discours théorique » de la « pratique théorique », différente elle-même de sa pratique cinématographique concrète. Nous ne sommes pas sûrs qu’il soit bien aisé, ni bien profitable, d’opérer ce marquage entre les différents plans de son travail. Il faut peut-être repérer certaines de leurs particularités, mais il devient difficile de bien situer les lignes de partage entre l’un et l’autre de ces plans. Albera parle par exemple d’un

« discours théorique » chez Eisenstein, en tant que « lecture partielle » du matérialisme dialectique « dominée par le hégélianisme », auquel il manquerait profondeur et cohérence (sa préface à Eisenstein, 1978, et sa préface à Eisenstein, 1980 p. 8, p. 283 n.2). Nous répondrions alors que jamais le travail théorique d’Eisenstein ne semble se vouloir à ce point exégétique et ne cherche à refermer les concepts empruntés ni sur eux-mêmes ni dans leur champ

d’origine. Il semble plutôt que son constructivisme nécessite tel et tel concepts

à partir de champs bien distincts, extérieurs, et qu’il les déracine sans gêne pour mieux les faire migrer dans sa propre explication, qu’il s’agisse d’une démonstration, d’un argument ou d’une simple anecdote. C’est également ce qu’avance sa biographe la plus sérieuse, Oksana Bulgakowa : très tôt, dès 1918 et donc avant le début de sa pratique à titre de décorateur pour le Proletkult, il affirmait clairement cette tendance à découvrir des parallèles entre différents arts et différents domaines, autant de résonances et de correspondances conceptuelles, « attractives » et fertiles pour l’articulation de sa pensée (Bulgakowa, 2001, p. 13). S’il faut différencier quelques unes de ces appropriations théoriques, il ne faut pas chercher à les dissocier ou à les séparer, puisque là réside justement à notre sens la force de résistance eisensteinienne. Pour lui, résister ne serait possible, semble-t-il, qu’à cette condition fondamentale : il faut nécessairement, dans l’urgence, opérer sur les deux plans, théorique et pratique. Ce qui veut dire qu’une telle démarche ne pourrait supporter que l’on coupe les articulations ou les branchements entre l’un et l’autre de ces plans. Au contraire, il faut davantage multiplier leurs possibles points de relais, les varier, les renouveler.

Pour ce faire, Eisenstein a notamment choisi l’abondance et la profusion, « le déplacement et la condensation » (Aumont, 2005 [1978], p. 73). Un exemple simple : dessiner, encore dessiner, toujours il dessinait sur n’importe quel bout de papier à portée de main. Un temps d’attente ou un temps mort ne pouvait, chez lui, être supporté sans que ne s’enlignent ou ne s’esquissent quelques traits nécessaires à une nouvelle figure (élégiaque,

dionysiaque, orgiaque), à quelque cadrage nouveau ou remémoré, ou encore à l’un de ces mouvements scéniques, puis cinématographiques, qui pouvaient lui permettre de poursuivre lui-même son propre mouvement dans le monde.

« Voilà un dessin. Ce n’est pas une illustration de scénario. Et, moins encore, un hors-texte. C’est parfois l’intuition première d’une scène que le scénario va ensuite transcrire et enregistrer. Parfois aussi un procédé empirique pour prévoir, à cette étape préalable, le comportement de personnages en train de naître. Parfois encore la notation abrégée de la sensation que la scène doit faire naître. Le plus souvent c’est la quête de quelque chose.

Une quête sans fin, comme celle, vingt fois reprise, du

mouvement d’une scène, de l’enchaînement des épisodes, de l’entrecroisement des répliques à l’intérieur d’un épisode » (Eisenstein, 1958, p. 225-226, nous soulignons).

Détails, grands traits et raccourcis par lesquels, fugitivement, nous sommes appelés à percevoir « plus pleinement » la pensée de l’auteur. Esquisses imparfaites, lacunaires, inachevées, tâtonnantes comme l’est au fond tout véritable processus créateur. En somme, « images visuelles et images sonores » qui, déjà, sont du cinéma (Eisenstein, 1989, p. 621-624 et p. 624- 625). Que le dessin ou d’autres moyens expressifs puissent, par leurs mouvements cinétiques et dynamiques, prendre le relais d’un concept rencontré, en donnant à ce concept une image ou une figure plus nette pouvant l’amener à mieux se penser ; bref, que jamais le mouvement créatif ne se meurt, mais qu’il soit plutôt relayé par d’autres moyens : voilà en quoi la résistance a besoin d’un plan, d’un but, mais surtout de méthodes qui débordent les catégories et les médiums, les modes et les individus. « Nous savons qu’au départ de toute création formelle, se trouve un processus de pensée fondé sur les images sensorielles » (Eisenstein, 1976 (2), p. 149).

À cet égard, son allocution reproduite sous le titre de « La forme du film : nouveaux problèmes » [1935] (in Eisenstein, 1976 (2)), que nous évoquions plus haut, est particulièrement intéressante et plutôt révélatrice de la portée d’une telle versatilité. Tandis qu’il n’avait pu mener à bien aucun des nombreux projets filmiques mis en chantier depuis plusieurs années, et que ses

voyages s’étaient avérés des échecs – du moins partiellement – côté création filmique, Eisenstein intensifia sa pratique d’enseignement et commença à travailler concrètement sur d’autres projets, tout aussi ambitieux sur le plan esthétique, mais plus susceptibles cette fois d’obtenir l’aval des instances du Parti. Lors de cette allocution, il n’est pas encore tout à fait sorti de l’embarras – il croit d’ailleurs toujours possible la sortie du Pré de Béjine – mais il prend le temps, répondant à ses détracteurs, d’annoncer du même souffle le travail qui vient, laissant entendre qu’il lui sera dorénavant possible de réaliser des portraits épiques d’hommes glorieux de l’Histoire russe, plutôt que de chercher nécessairement à tirer de l’arrière-plan politique le bon peuple afin de lui donner la parole, comme ce fut le cas dans ses œuvres de la première période. Or l’enseignement au VGIK (l’école supérieure du cinéma) durant ces années de débâcle sera sa principale activité, non pas comme un pis-aller ou bien terre de refuge, loin s’en faut, même s’il pourra en profiter pour se refaire partiellement une santé esthétique en vue de la suite des choses. Enseigner pour Eisenstein, nous le verrons, c’est déjà faire du cinéma, comme lorsqu’il dessine ou lorsqu’il fait du « repérage ». Son cinéma, il l’a pratiquement toujours fait à « vingt têtes » (cf. Comolli, 1973). En tout cas, travailler ailleurs les mêmes problèmes n’implique pas la liquidation des concepts précédents. Il le dit lui- même : « Ne pas tout jeter le colossal matériau théorique et créateur dans lequel s’est forgé la conception… ». Ce changement d’activité est une affirmation différente de ce qui était déjà en jeu : on relance les dés, quitte, ce faisant, à n’affirmer d’abord que les ambiguïtés et les paradoxes suscités jusque-là. C’est ce que soulève Deleuze : pourquoi jeter le concept d’attraction, sous prétexte qu’on le pense dépassé ou daté par rapport au montage intellectuel ou même par rapport aux concepts de monologue intérieur et d’extase?

Parce que voilà bien tout le nœud de l’affaire, et qui fait qu’à chaque instant le travail d’Eisenstein n’est, pour nous, que résistance, une fois bien identifiées ses bornes plus spécifiquement idéologiques : son processus est dynamique de bout en bout, entre conflits, paradoxes et points de tension. Ce

sera la grande valeur critique, mais aussi la limite, de l’attitude dialectique. Les concepts élaborés par Eisenstein théoricien sont encore d’un grand intérêt parce que, malgré « leur mouvante appellation », ils initient un mouvement toujours ancré dans les phénomènes et les principes, un mouvement qui garde cette inestimable tension nécessaire à la création cinématographique (Aumont, 2005 [1978], p. 48). Partout l’on retrouve chez lui de la résistance : rencontrée, provoquée, dépassée, ré-enchaînée, mais en tout cas irrésistible en elle-même et pour elle-même. Toute sa conception du cinéma ira ainsi : à la fois matériaux et moyens, la « cellule cinématographique » est un carré dynamique fait de tensions et de contradictions, dont il faut entretenir l’activité pour mieux en exploiter les forces expressives et, ce faisant, atteindre le spectateur pour enfin rencontrer l’humain.

Il y a donc, disions-nous, trois sphères d’activité spécifiques à la méthodologie eisensteinienne par lesquelles nous comprenons et envisageons son héritage résistant : l’évolution de la démarche dialectique et des concepts de montage ; la pluridisciplinarité telle qu’elle se pratique chez lui ; et, à un autre niveau, l’articulation plus générale de la théorie avec la pratique du cinéma. Si nous exposons ainsi la méthodologie eisensteinienne, il faut toutefois comprendre que ces trois sphères ne cessent d’être rattachées l’une à l’autre. Plus encore, il s’agit d’une seule et même question posée trois fois, mais envisagée selon un angle différent à chacune de ces fois.