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Constellation Eisenstein

2.5.2 Anachronismes et survivances de l’image

Nous avons déjà évoqué au passage l’inadéquation ou, à tout le moins, les limites méthodologiques inhérentes à la fois à la dialectique, même non- hégélienne, et à l’histoire. Nous les avons effleurées, mais sans développer plus avant. Il sera maintenant temps d’y venir. Or, si notre parti-pris emprunte la lignée généalogique nietzschéenne, il nous faudra toutefois d’abord expliquer en quoi celle-ci offre davantage de résistance, et surtout de résistance par rapport à quelles autres forces, parmi lesquelles dialectiques et historiques.

C’est Didi-Huberman qui nous permettra de bien marquer ce passage, et ce, pour trois raisons bien précises et interdépendantes. D’abord, il nous trace une première piste de solution méthodologique en nous invitant à dialectiser

l’histoire – principalement à travers ses trois œuvres d’investigation de l’image, c’est-à-dire Devant l’image, Devant le temps et L’image survivante –, mais d’une façon bien particulière et pas si différente de ce que nous proposait jusque-là Eisenstein. Il est à noter que, parallèlement à ces ouvrages, Didi- Huberman a croisé Eisenstein sur sa route, avec l’analyse qu’il fait du « gai savoir visuel selon Georges Bataille », dans son ouvrage La ressemblance

informe (1995)9.

Ensuite, la conception même de l’histoire qu’il retrouve chez ses prédécesseurs Aby Warburg, Walter Benjamin et Carl Einstein, et qu’il synthétise efficacement (abordant à la fois certains problèmes relatifs à une histoire de l’art, ainsi qu’à une histoire, disons, plus générale), fait un saut par rapport à la conception plus primitive dont nous avons surtout tenu compte jusqu’ici, visitant même, à un certain moment, ce que la généalogie nietzschéenne avait pu inspirer à l’un d’entre eux. Pour ce faire, enfin, pour repenser dialectiquement ainsi l’histoire, Didi-Huberman retrouve deux concepts clés chez ces mêmes prédécesseurs, mais pour mieux les prolonger : nous voulons dire les concepts d’anachronisme et de survivance, par lesquelles le temps ne cesse de se compliquer au sein de l’image. Ces concepts nous permettront d’approfondir, pour notre compte, les résistances possibles de l’image cinématographique. C’est donc avec le travail de Georges Didi- Huberman que nous rencontrons la plus féconde des connexions entre dialectique et histoire, et qui nous mène jusqu’au seuil de la méthode généalogique avec laquelle nous avons choisi d’aborder différentes résistances du cinéma.

9 Didi-Huberman analyse justement comment certaines théories d’Eisenstein permettent à Bataille de penser enfin concrètement la mise en œuvre de sa dialectique de l’écart, à l’aide des images et de leur montage. Cette analyse est très intéressante en soi, en s’appuyant au plus près de certaines conceptions eisensteiniennes que nous avons nous-mêmes analysées. Mais elle concerne tout de même un problème spécifique au gai savoir visuel tel que le pensait Bataille avec la revue Documents, à la fin des années vingt, et y mettre ne serait-ce qu’un pied nous obligerait à faire un détour qui déborderait largement le cadre de cette analyse (1995, p. 284- 333).

Il est entendu, dès l’ouverture de Devant l’image, que le point de vue méthodologique impliqué dans cette « enquête » concerne spécifiquement l’historien de l’art et sa « discipline », ce qui ne va pas, dit-il, sans poser problème. Or les principales questions que soulève Didi-Huberman dépassent largement les clôtures de cette simple discipline interprétative, de ce discours autoproclamé « en tant que savoir sur l’art », de cette « archéologie des choses oubliées ou inaperçues dans les œuvres depuis leur création, si ancienne ou si récente soit-elle » (1990, p. 9). Alors qu’il parle d’entrée de jeu de certaines tâches spécifiques à « l’historien de l’art », très vite les explications laissent tomber le complément de nom pour ne laisser place qu’à l’historien. Si ce choix permet à l’auteur d’alléger son texte en n’allant pas répéter chaque fois la formule complète, alors que son lecteur suit très bien la trajectoire de son argumentaire et comble sans effort les petits trous laissés par cette ellipse répétée, il permet également et très simplement une lecture plus vaste de la tâche et de la figure historicistes. Cette façon plus allusive de présenter son « personnage » décloisonne par moments les lieux où il peut faire jouer son savoir, fut-il partiel. Par exemple :

« Grandeur et misère de l’historien : toujours son désir sera suspendu entre la mélancolie tenace d’un passé comme objet de

perte et la victoire fragile d’un passé comme objet de trouvaille

ou objet de représentation. (…) Le passée de l’historien – le passé en général – tient à l’impossible, il tient à l’impensable. Nous avons encore quelques monuments, mais nous ne savons plus le monde qui les exigeait ; nous avons encore quelques mots, mais nous ne savons plus l’énonciation qui les soutenait ; nous avons encore quelques images, mais nous ne savons plus les regards qui leur donnaient chair… » (1990, p. 49).

Ce qui veut dire que, si l’historien et l’historien de l’art peuvent partager un même rapport au passé, tous deux sont également « travaillés » de façon similaire par les dimensions du temps engagées au cœur même de leur « objet de recherche » respectif, qu’il s’agisse d’œuvres ou d’événements. Il devient alors plus aisé de s’autoriser à répondre par l’affirmative à son invitation de

comprend la nature de cette invitation, et ce qu’elle implique du point de vue historien.

Le premier problème que Didi-Huberman entrevoit avec la discipline historique réside dans le ton que la plupart des historiens empruntent, le ton de certitude du médecin lorsque vient le moment du diagnostic, suivi par celui de la prescription, bien assis qu’il est sur une science exacte et qui, non pas croit, mais sait lui-même que la représentation fonctionne « unitairement ». Cette attitude et le ton qu’on y emprunte ont pour résultats de réduire les forces de résistance méthodologiques, en se donnant des réponses toutes faites et tout à fait satisfaisantes, parce qu’elles sont déterminées a priori par les questions de méthode d’abord posées. « On comprend en fait que ce ton de certitude qu’emprunte l’historien exprime l’idée qu’au fond il ne cherchait dans l’art que les réponses déjà données par sa problématique de discours » (1990, p. 11). Un reproche similaire sera fait envers ce que Serge Daney a nommé l’école-Ferro : le cinéma ne sera convoqué, bon ou navet, que comme preuve en extra, venant appuyer ce que l’historien avait découvert ailleurs et savait donc déjà trop bien. « En fait, ne voyant dans le cinéma que l’aubaine d’une source supplémentaire, elle passait à côté de ce qui est, dans le cinéma, ontologiquement historique »10.

Or ce n’est pas du tout ainsi que Didi-Huberman entrevoit les matériaux du passé. En cela, toute une armée de philosophes, d’historiens et de créateurs abondent maintenant en ce sens, depuis la seconde considération intempestive de Nietzsche : c’est-à-dire avec au moins les œuvres de Warburg, de Benjamin et de Carl Einstein, mais aussi les travaux de Deleuze, Traverso, et de Baecque, ceux de Rancière, Ishaghpour et Godard ; en fait, tous ceux avec qui nous tentons de penser ici les résistances historiques. Avec eux, il n’y a d’histoire possible que nécessairement lacunaire, il n’y a d’histoire véritablement possible qu’impossible (Godard-Ishaghpour, 2000, p. 20 ; Traverso, 2005, p. 29 ; Ferro,

10 Serge Daney, cité in Delage, Christian (coord.), Vertigo, Esthétique et Histoire du cinéma, n° 16, 1997, p. 14.

1977, p. 91, entre autres). Ce qui fait que, nous dit Didi-Huberman, « le principe d’incertitude doit persister ; le passé n’étant pas sans restes » (Didi- Huberman, 1990, p. 11). L’historien ne peut en aucun cas penser restituer un passé comme étant vrai, originaire et articulé continument, un passé conservé tel qu’il ferme les possibilités, qu’il contraint, et par là diminue, les résistances qui lui sont internes. Au contraire, suivant les thèses présentées déjà par Walter Benjamin, il n’y aura d’histoire finalement possible qu’ouverte, et qui prendra à contrepied l’idée selon laquelle « l’histoire ne nous échappera pas » (Benjamin, 1989, p. 480). L’incertitude historique est en quelque sorte, par elle-même, productive, du moment qu’est assumé le fait qu’elle soit inévitable ; que les désirs, les obsessions (mêmes « imaginaires » – cf. Ferro, de Baecque), les contextes d’intelligibilité du temps présent sont plus que pris en compte, ils sont assumés et utilisés comme des armes par l’historien. Qui pourra être historien, alors ? Celui qui questionne le passé en n’allant pas plaquer là des réponses qu’il s’était données à l’avance, et qui leur préexistaient en quelque sorte. Ce sera celui capable d’endurer la force de questions qui « survivent à l’énoncé de toutes les réponses ». Est-ce qu’Eisenstein est, à sa façon, historien ? Oui, s’il est reconnu comme cet historien-dialecticien cinématographique, capable de « présenter » et de « représenter » les forces du passé par l’entremise des formes du cinéma au présent. La dialectique historique propre à Eisenstein recoupe, d’une certaine manière, le principe d’incertitude dont parle Didi- Huberman. Ainsi, comme il l’affirme lui-même à propos des réflexions de Warburg : à partir de ces conceptions ouvertes de l’histoire, on procède à un tournant important qui trouble et qui rend trouble ni plus ni moins que l’histoire elle-même (2002, p. 28).

Les raisons de comprendre et de suivre l’invitation méthodologique de Didi-Huberman à dialectiser ainsi l’histoire et les rapports qu’elle induit aux images résident justement là, dans sa nature essentiellement lacunaire et trouée. Tout comme la mémoire s’éprouve elle aussi par ses trous, ses incapacités, son activité involontaire.

« Qu’est-ce à dire? Que tout passé est anachronique : il n’existe ou ne consiste qu’à travers les figures que nous nous en faisons; il n’existe donc que dans les opérations d’un « présent réminiscent », un passé doué de la puissance admirable ou dangereuse de le présenter, justement, et dans l’après-coup de cette présentation, de l’élaborer, de le représenter » (2002, p. 49- 50).

Il est entendu que le regard présent renferme son lot de contraintes, tout comme cela est vrai du passé. Interpréter ce passé à la lumière de ses « seules catégories », de son seul contexte d’intelligibilité, s’avère pour Didi-Huberman un choix des plus périlleux, parce que la distance historique, l’écart temporel est là et ne peut être tout à fait « refoulé ». Le « flottement dans le présent » peut être alors tout aussi fécond, dit-il, mais ce choix n’est pas moins risqué, du fait que le sujet-historien n’y mette trop de sa « subjectivité », trop de sa propre mémoire et de ses souvenirs involontaires ; risques que son interprétation ne soit alors davantage imaginaire ou fantasmée que réelle. Entre ces deux excès d’interprétation, la « pratique salutaire » proposée par Didi-Huberman réside alors dans la fameuse posture dialectique, « vers une plongée dans un nouvel aspect du passé inaperçu et/ou enfoui ». Posture difficile s’il en est, dialectiser ainsi l’histoire sera peut-être possible, mais « sans espoir de synthèse : c’est l’art du funambule » (2002, p. 50-52).

Il y a ainsi un anachronisme fondamental à l’œuvre dans tout travail historique. Trop longtemps, par souci d’objectivité et de « scientificité », l’historien fût plus que tenté d’évacuer cette marge de manœuvre problématique, ce paradoxe méthodologique passablement compliqué. L’historien se débarrassait alors totalement et sans ambages de toute forme anachronique, que celle-ci provienne du temps présent (ce qui demeure plus fréquent), mais également du temps passé. Comme le rappelle Didi-Huberman, il y eut toujours une grande méfiance vis-à-vis ce que livre ce présent, si l’on compare au passé, garant plus sûr, semble-t-il, de vérité. Si bien que l’historien se mit à désirer son objet d’étude comme étant non seulement passé, mais

trépassé : « objet fixé, éteint, usé, fané, fini et finalement décoloré », mais, crût-

il, objet vrai et pur dans la dimension temporelle qu’il délivre au présent (2002, p. 53 et p. 56).

Mais alors, que voudra dire « dialectiser » ainsi le passé « sans espoir de synthèse », pour l’historien ? Comment fera-t-il jouer positivement les fragments du passé en regard aux désirs et subjectivations du présent historique, sans que l’équilibriste ne penche trop d’un côté ou trop de l’autre ? Si nous renvoyons à la dialectique telle qu’elle a déjà été définie, il est vrai que Didi- Huberman reconnaît aussi une dimension négative constitutive de l’image d’art (et de toute image, finalement, y compris cinématographique). Il vante la puissance du négatif innervant l’image, capable de nier les forces à l’œuvre dans une autre image ou, à tout le moins, de se poser contre. Or, il reconnaît du même souffle que le mot « négativité » n’est peut-être pas le bon terme. Dialectiser doit être entendu comme cette « tentative de penser la thèse avec l’antithèse, l’architecture avec ses failles, la règle avec la transgression, le discours avec son lapsus… » (2002, p. 175). C’est le marqueur de relation avec qui compte. Ce qui est productif, ici, à la différence de la dialectique eisensteinienne – où c’est dans la synthèse idéale d’un troisième terme, comme résultante de l’opposition entre deux éléments contradictoires premiers, qu’est envisagée une possible solution efficace –, c’est la résistance à l’œuvre avec les deux images ou les deux éléments d’une même image ensemble composés. Pour Didi-Huberman, la part créative de l’historien réside dans ce jeu de résistances méthodologiques, non comme possible synthèse salvatrice révélant au final un point imprécis ou un angle mort historique, mais au contraire comme une mise en lumière judicieuse de ces relations qui persistent entre ce qui se sait du passé et ce qui restera tu, entre ce qui a eu effectivement lieu et la lecture qu’en fait l’historien au présent, tout à la fois avec et contre ce présent.

Si, devant l’image, Didi-Huberman tente de convaincre l’historien de dialectiser son propre rapport au temps passé, dans lequel se conserve d’une

certaine façon l’objet de son étude et en tenant compte des anachronismes inhérents à sa démarche, c’est que, devant l’image, l’historien se trouve également devant le temps (2000). Deux strates temporelles très générales ont été jusqu’ici évoquées, mais il faut comprendre qu’elles sont en fait bien plus nombreuses et, surtout, plus imbriquées. C’est-à-dire que l’historien doit effectivement composer d’abord avec le passé d’une image ancienne ou qui, à tout le moins, le précède dans la chronologie historique, dans l’enchaînement des événements ; et avec aussi son propre temps, le présent, même si celui-ci ne cesse de filer pour devenir passé. Chaque geste, chaque décision prise par l’historien – qu’il s’agisse d’un simple tri entre différents matériaux d’archive ou un essai plus général de synthèse réunissant plusieurs conceptions fondamentales – « est aussi un acte de temporalisation », c’est-à-dire un travail de montage qui doit tenir compte de cette réserve créatrice de l’anachronisme imagier. Passé et présent ne cessent ainsi de se reconfigurer l’un l’autre, par eux-mêmes et réciproquement (Didi-Huberman, 2000, p. 10). Ce qui, finalement, complique encore davantage la relation qu’entretient l’image au temps, mais aussi à la subjectivité : « l’image a souvent plus de mémoire et plus d’avenir que l’étant qui la regarde » (2000, p. 10).

L’anachronisme du matériau d’archive ou de l’image persiste et résiste de tout temps et en tout lieu ; on retrouve son action tant dans l’image même, que dans la lecture de celle-ci. Si l’anachronisme « traverse toutes les contemporanéités » et complique grandement (Didi-Huberman est plus dur, il dit : « rend dangereuse ») des notions vagues ou des catégories telles que « style », « époque », école ou genre, c’est que « la concordance des temps n’existe – presque – pas » (2000, p. 15-16). Une seule image renferme ainsi tout un complexe anachronique fait de répétitions et de différences, tout un montage de temps hétérogènes qui influence nécessairement sa lecture, et ne laisse pas non plus indemne le sujet devant. Ces anachronismes sont comme les symptômes plastiques d’une « surdétermination » caractéristique à toute image. « Poser la question de l’anachronisme, c’est donc interroger cette plasticité

fondamentale et, avec elle, le mélange, si difficile à analyser, des différentiels

de temps à l’œuvre dans chaque image » (2000, p. 17, nous soulignons). Ainsi

l’anachronisme, parce qu’il est inévitable pour l’historien, parce qu’il s’avère complexe mais relativement plus concret dans les arts « modernes », sera également pensé par Didi-Huberman comme « le battement rythmique » de cette nécessaire méthode d’investigation de l’objet ou de l’image passée (2000, p. 21-22). Ce faisant, il ne s’agira pas pour l’historien de « retrouver » ce qu’il croyait chercher – encore moins de « se retrouver », ajout-t-il – mais bien de « trancher » et d’« introduire le discontinu dans notre être » ; non pas transformer le passé en objet, la pratique de l’historien en science, mais articuler plutôt dans leur sensibilité « une mémoire et un montage – non- historique – du temps » (2000, p. 35). La temporalité de l’image, nous prévient Didi-Huberman, « ne sera pas reconnue comme telle tant que l’élément de l’histoire qui la porte ne se verra pas dialectisé par l’élément d’anachronisme qui le traverse » (2000, p. 25).

Pour reconnaître cette complication temporelle à l’œuvre dans l’image, l’historien doit également tenir compte d’un autre élément, venant sceller en quelque sorte ce temps qui ne cesse de diffracter à chaque occasion de lecture, et qui révèle encore mieux, de ce point de vue, la grande force créatrice d’une méthode dialectique qui se veut non-synthétique. C’est que l’image renferme quelque chose comme de la survivance, l’image est « toute tissée » de survivances du passé (2002).

« La survivance dit à la fois un résultat et un processus : elle dit les traces et elle dit le travail du temps dans l’histoire (…). Elle nous donne accès à la matérialité du temps (…), elle ouvre un accès à l’essentielle spectralité du temps » (2000, p. 108-109). Selon, Didi-Huberman, c’est la survivance qui anachronise l’histoire pour la mieux dialectiser, qui offre à l’histoire un type de temporalité très particulier, ce qui, du coup, « engage toute une théorie de l’histoire » dans son sillon (2002, p. 82).

Prenons Eisenstein pour exemple. À certains égards, ce que Didi- Huberman lit dans la posture méthodologique d’Aby Warburg nous donne des pistes sérieuses en ce qui a trait à celle du grand Russe. D’abord, dans cette qualité ambiguë et plutôt étrange de la « matérialité du temps » qu’on y retrouve. Ce temps, nous l’avons déjà évoqué, est duplice et plutôt fuyant. D’un côté, Eisenstein travaille à partir d’un temps presque toujours déjà passé. De nombreuses références qui lui servent dans ses écrits théoriques comme dans sa salle de classe proviennent d’un temps et d’un art déjà passés, références principalement littéraires et picturales. Pourtant, il s’adresse à ses contemporains, des gens qui vivent surtout au présent, ignorant tout de même pas mal ce qui, de la création artistique, les a précédés (c’est, en tout cas, ce qui émane des Leçons de mise en scène). Pour couronner le tout, lui-même nous parle d’un passé et à partir de conceptions depuis longtemps « dépassées », semble-t-il, d’un temps marqué des plus grands espoirs communistes, temps que l’on dit fortement daté, et qui conforte tout le monde présentement face à cette large part oubliée du travail eisensteinien ; ce qui ne peut se résumer dans les livres d’histoire, petit jour à peine perceptible lors de rétrospectives. Il y eut bien une recrudescence de l’analyse, une période de redécouverte de ses écritures et de sa pensée créatrice, en France, à partir de la décennie soixante- dix. Oui, des essais se sont multipliés à une certaine époque. Mais qui s’en soucie maintenant ? Qui croit que l’œuvre politique d’Eisenstein se situe peut-