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Des réformes à l’origine de la Nation turque

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Au 19ème siècle, les mouvements nationalistes qui agitent les provinces balkaniques, ont un impact très limité sur les populations musulmanes de l’Empire ottoman, hermétiques aux discours sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Aussi, la naissance d’une possible Nation turque, qu’un nombre restreint d’intellectuels appelle de ses vœux, ne trouve aucun écho dans l’esprit des dirigeants, et moins encore auprès des sujets turco-ottomans de l’Empire. A la faveur de l’élan réformiste connu sous le nom de Tanzimat72 et du Printemps

des Peuples (1848-1849), les populations des Balkans commencent à s’affranchir de la souveraineté ottomane. Ainsi, l’Empire perd au fur et à mesure de la naissance de ces Etats, ses possessions européennes.73

Près de dix ans avant le Printemps des peuples, l’Empire est entré dans un processus de modernisation des structures étatiques. A terme et de manière tout à fait détournée, elles vont donner naissance à un Etat moderne et à une Nation turque. Ce mouvement de modernisation, connu sous le nom de Tanzimat, est impulsé par le haut74. En effet, les jeunes réformistes qui

en sont à l’origine et qui sont passés à la postérité sous le nom de Jeunes-Ottomans75, prônent

l'application de réformes sur le modèle européen76, tout en respectant l'héritage et les valeurs islamiques77 de l'Empire. Ce mouvement de réformes vise à moderniser l’Empie et de lui faire jouer jeu avec l’Occident, tout en donnant à celui-ci des gages de sa bonne volonté réformatrice. Ce qui lui permettrait d’intégrer le concert des nations européennes. Ces réformes ont été suggérées au sultan Mahmoud II par certaines personnalités ottomanes, influencées par l’esprit des Lumières.

72 Le terme de Tanzimat qui signifie « réorganisation » est d’origine arabe. 73 Voir les cartes en Annexes.

74 Cela se répètera plusieurs fois y compris dans l’histoire de la République. La Constitution ne se fera donc pas au nom de la nation qui est inexistante, mais au nom de la modernité.

75 Les Jeunes-Ottomans ou Yeni Osmanlılar étaient à l’origine une société secrète constituée sur le modèle de Franc-maçonnerie à laquelle, ses membres étaient affiliés à la suite d’une initiation.

76 La loi sur les Vilayets de 1864 est calquée sur l’organisation des départements français.

77 Bernard Lewis, distingue deux phases dans l’évolution du rapport de l’islam à l’Occident. De l’échec du premier siège de Vienne en 1529, à la signature du traité de Küçük Kaynarca, entre l’Empire et la Russie. A la suite de la signature de ce traité les Ottomans adoptèrent les inventions européennes qui présentaient sans nul doute des avantages et une utilité pratique incontestable, sans pour autant modifier leur vision de ceux qu’ils considéraient comme des barbares infidèles In, l’Islam, l’Occident et la modernité, Gallimard, 2002, 229 p, p.21.

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Pour atteindre ces objectifs, les Jeunes-Ottomans souhaitent transformer le pouvoir absolu du sultan en monarchie constitutionnelle et obtenir une stricte séparation des pouvoirs, sur le modèle britannique, repris par John Locke78 ensuite par Montesquieu79. Au milieu du 19ème siècle, l’idée est encore de sauver l’Empire, et pour cela, ces jeunes réformistes en sont convaincus, il faut copier les modèles occidentaux : « lorsque l’Empire prend conscience que

son modèle ne fonctionne plus et qu’il faut repenser la société. Dans les réformes lancées entre 1839 et 1876, il y a cette idée que l’Empire a échoué et que la seule manière de se garantir un avenir est d’intégrer l’histoire occidentale. Le choc est énorme. L’Empire est alors comme Janus, le dieu romain à deux visages. Il doit devenir l’autre pour rester lui- même. »80

Aussi paradoxal que cela puisse sembler, l’Empire ottoman régi par la sharia, va se doter dès 1876 d’une première Constitution de type libéral sans pour autant adopter ce qui était préconisé par John Locke, à savoir, que les hommes naissent et doivent rester foncièrement égaux et libres, tout en faisant fi de l'esclavage comme un état contre nature. L’Empire

s’engage dans un processus de modernisation tout en conservant le droit musulman dont les principes sont aux antipodes de la philosophie du pouvoir britannique. Quelques années plus tard, une deuxième Constitution verra le jour. Malgré ces paradoxes qui jettent le trouble au sein de la société ottomane, ces Constitutions auront pour effet de jeter les bases de la future Nation turque, en permettant au concept81 de faire son chemin. La période voit l’apparition des premières Constitutions qui sont à l’origine de l’émergence de la Nation (Titre 1). L’aboutissement de ce processus, sera la naissance de l’Etat-nation et Mustafa Kemal, qui en sera l’instigateur s’appliquera à lui donner une identité turque qui sera remise en cause dès la disparition du fondateur de la Turquie. Avec Mustafa Kemal la laïcité est l’une des composantes de l’identité turque. Aussi, en l’espace d’une décennie, l’on assite à l’affirmation et à la remise en cause de la laïcité (Titre 2).

78 Locke, J, Traités du gouvernement civil, éditions Garnier-Flamarion, deuxième édition corrigée, 1992, 383 p.

79 Montesquieu, De l’Esprit des Lois, Flammarion, 2013, 385 p.

80 Bozarslan, H, « Les ennemis d’Erdogan sont imaginaires », In : le 1hebdo, n°80, 28 octobre 2015, http://le1hebdo.fr/numero/80/les-ennemis-d-erdogan-sont-imaginaires-1266.html

81 Il convient de rappeler que la notion de nation telle qu’elle est perçue en Occident n’avait pas son égal dans l’Empire ottoman qui ne reconnaissait que des communautés religieuses.

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Titre 1

Les premières Constitutions et les