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PARTIE I . LE LANGAGE NON-LITTÉRAL ET LE DÉVELOPPEMENT DU

Chapitre 4. Le non-littéral en acquisition des langues étrangères

4.2. Des références culturelles, conceptuelles et lexicales à convertir

Nous avons noté dans le chapitre précédent que le langage influence le développement conceptuel de l’enfant. La vision du monde de tout locuteur natif d’une (ou plusieurs) langue(s) est donc fortement empreinte des références culturelles et langagières associées à sa ou ses langue(s) maternelle(s). Les travaux de Danesi cités précédemment montrent à quel

98 point le système conceptuel est structurant puisque ses résultats suggèrent que le système conceptuel de la langue maternelle des apprenants reste la base sur laquelle s’opère le développement de la L2, même après de nombreuses années d’apprentissage dans le secondaire, puis dans le supérieur. Danesi (2008) remarque, par exemple, que le système conceptuel développé en concomitance avec la ou les langue(s) maternelle(s) se manifeste lors d’« erreurs conceptuelles » : « [they] result from the tendency of SL [second language]

learners to assume that meanings in the native and target languages are encoded with identical or parallel structures (phrases, idioms, etc.) » (Danesi, 2008, p. 232) . Ces erreurs, que Danesi oppose aux erreurs formelles (syntaxiques, phonologiques, etc.) et communicatives (interactives, stratégiques), sont celles qui, selon lui, entravent le plus l’intelligibilité du discours des apprenants. Il arrive cependant que les systèmes conceptuels de la L1 et de la L2 coïncident et que les apprenants effectuent des transferts conceptuels et linguistiques recevables dans la L2. Danesi (2008) remarque aussi que certains concepts sont lexicalisés par un plus grand nombre de domaines sources que d’autres selon les langues.

Dans un corpus de textes provenant de journaux, magazines, livres populaires, et transcriptions de programmes télévisés et radiophoniques, il a par exemple relevé 89 domaines sources différents pour lexicaliser le concept IDEAS (cf. MOVING THINGS, BUILDINGS, PLANTS, etc.) et 36 domaines sources pour lexicaliser le concept LOVE (cf. PHYSICS, INSANITY, MAGIC etc.). Il émet alors l’hypothèse que plus un domaine est lexicalisé de différentes manières, plus il serait source de transferts positifs d’une langue à l’autre, car la probabilité pour qu’il soit lexicalisé de la même façon dans plusieurs langues serait ainsi plus grande. Afin de vérifier cette hypothèse, il a demandé à trente-cinq étudiants canadiens étudiant l’italien en tant que langue étrangère de rédiger des compositions sur l’importance de la philosophie et sur la façon de déclarer son amour le jour de la Saint Valentin. Les erreurs conceptuelles pour chacun des concepts LOVE et IDEAS ont ensuite été comptabilisées dans leurs écrits : les résultats ont confirmé que le concept qui bénéficiait d’un plus grand nombre de concepts sources possibles (IDEAS) est celui qui a occasionné le moins d’erreurs de lexicalisation.

Littlemore et Juchem-Grundmann (2010) rappellent aussi que les langues reflètent différentes façons de percevoir le monde et qu’elles soulignent différents aspects d’un même phénomène. Il n’existe donc pas de manière neutre de décrire un évènement :

99 Even if we try to present a piece of information as objectively as possible, the particular language that we speak will encode particular ways of conventionally construing events, which may differ from the way in which they are construed in other languages. (Littlemore et Juchem-Grundmann, 2010, p. 2)

Tout apprenant a donc développé des habitudes cognitives dans sa langue maternelle qui seront à réévaluer, ou à étudier, afin de faciliter l’apprentissage de la langue seconde : « when they want to express thoughts in a new language they may need to repackage them in a slightly different way » (Littlemore et Juchem-Grundmann, 2010, p. 2). Les langues ont aussi leur propre façon de catégoriser le monde : les domaines conceptuels ne sont pas structurés exactement de la même manière d’une langue à l’autre. Par exemple, Danesi (2008) qui a relevé 89 domaines sources pour lexicaliser le concept IDEAS en anglais, en a relevé 123 en italien.

L’appropriation du système conceptuel de la langue cible repose aussi sur la maîtrise de son vocabulaire et autres codes linguistiques figuratifs, puisque tout domaine abstrait conceptualisé par le biais d’un autre domaine est mis en mot, en partie, de la même manière que ce concept source. Si les langues ne semblent pas concevoir certains domaines cibles par le biais des mêmes domaines sources, on ne fait pas non plus forcément usage des mêmes termes de manière figurative dans toutes les langues. Awwad (1990) et Deignan, Gabrys et Solska (1997) recensent quatre type d’expressions conventionnelles :

a) les expressions dont la forme et le sens sont identiques d’une langue à l’autre (cf.

looking for a needle in a haystack = chercher une aiguille dans une meule de foin)

b) les expressions dont la forme diffère légèrement mais dont le sens est identique (cf. to cost an arm and a leg = coûter les yeux de la tête)

c) les expressions dont la forme est radicalement différente mais dont le sens est identique (cf. kick the bucket = passer l’arme à gauche)

d) les expressions dont la forme et le sens sont spécifiques à chacune d’entre elles (cf. tomber dans les pommes ; il n’y a pas d’expression figurative particulière en anglais pour le concept S’ÉVANOUIR).

(Adapté de Awwad, 1990, p. 59 – exemples ajoutés par nos soins)

100 Les métaphores conventionnelles peuvent donc être identiques, similaires, différentes ou inexistantes d’une langue à l’autre pour un même concept, et il est important d’en être conscient. Lakoff et Johnson (1980) vont dans ce sens quand ils affirment que lorsqu’une métaphore fait irruption dans les conversations entre deux locuteurs de cultures différentes, sa compréhension n’est possible qu’à travers des négociations du sens et si les deux locuteurs connaissent les différences entre leurs cultures respectives. Chacun doit se reporter aux repères culturels de l’autre et ajuster sa vision du monde pour être sûr de se faire comprendre convenablement.

4.3. Des ressources cognitives inégalement disponibles