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1.1.1. Des professionnels pour administrer la nature

Des natures

Les rapports que les sociétés entretiennent avec les natures où elles évoluent à travers les sciences et les techniques sont au cœur des débats évoqués dans cette thèse.

Pourtant le terme de « nature » est peu employé isolément sur mes terrains. Mes interlocuteur·rices parlent volontiers de « naturalité », de « gestion de

38 la nature » ou encore de « naturalistes ». Mais le terme de « nature » en lui-même est assez peu présent et surtout peu discuté directement.

J’ai perçu dans cette absence une volonté de ne pas entrer dans des débats « philosophiques » vus comme « chronophages » voire « cristallisateurs de tensions »25. La pensée de la « nature » est en effet en crise voire en phase terminale (Larrère et Larrère, 2015 ; Lorimer, 2015).

Le paysage de la thèse est celui de la société occidentale, caractérisée par l’ontologie du mono-naturalisme (Latour, 1999, 2002 ; Descola, 2005) qui formule une représentation du monde fondée sur une dichotomie entre une « nature » et une « culture ». Même si, comme le soulignent certains (Mathieu, 2016), on peut rencontrer dans cette société, localement notamment en dehors des sphères techniques et scientifiques, d’autres formes culturelles et d’autres formes de rapport à la nature.

La remise en cause de ce dualisme et les avancées théoriques et empiriques qui démontrent que la nature est en elle-même une production sociale et culturelle sont relativement bien connues dans le domaine professionnel de la protection de la nature. Dans ces territoires, la « nature » se trouve transformée, équipée, étudiée et fréquentée de manière massive et se fabrique alors une « diversité de natures » (Descola, 2005 et 2010). Les différents régimes de cohabitation entre cultures et natures sont étudiés voire valorisés. Ainsi, les espaces protégés sont aujourd’hui présentés comme le résultat d’une histoire humaine façonnée par diverses activités26

. L’idée que la nature et la société constituent des entités interdépendantes est devenue centrale dans les recherches scientifiques comme dans le registre d’actions des espaces protégés27

. Pour décrire l'enchevêtrement essentiel entre le naturel et le culturel, le corporel et l'esprit ou le matériel et le sémiotique, Donna Haraway (2003) a par exemple forgé le concept de « naturecultures » qui permet de reconnaître leur inséparabilité dans les relations écologiques qui sont elles-mêmes à la fois biophysiquement et socialement formées.

La « valeur » culturelle (historique, archéologique, architecturale, artistique, religieuse...) des espaces naturels est de plus en plus prise en compte, du moins dans les politiques d’établissement. Pourtant, cette évolution n’a pas imposé dans les collectifs de travail au quotidien la vision d’une nature au pluriel, des « natures » qui se configurent au cours des processus étudiés. Il existe pourtant une multitude de « cultures de la nature », de façons de la percevoir, de la pratiquer et de manières d’agir avec (Larrère et Larrère, 2015) dans le monde des espaces protégés comme celui de la recherche. Le fait de revendiquer et/ou d’assumer cette pluralité est bien souvent au cœur des débats. Dans les échanges en conseil scientifique se négocient des façons de « gérer des natures » selon des visions diverses. Des lignes de partage se tissent autour de questions concrètes telles que : un écoulement

25 Extraits d’entretien.

26 Référence : http://www.espaces-naturels.info/

27 Le terme de « socio-écosystème » (Couvet, 2015) est de plus en plus employé dans la recherche comme dans la gestion pour définir les effets conjoints de la société sur les milieux dits naturels.

39 d’eau généré par un abreuvoir va-t-il « dégrader » le milieu naturel en contrebas ? Une statue en haut d’un sommet va-t-elle altérer le caractère « naturel » de la montagne ? Même si ces sujets traversent les pages de cette thèse, ils ne fondent pas le centre de mon analyse car ces oppositions ne constituent qu’une zone de friction parmi d’autres entre les acteurs. J’ai néanmoins cherché à adopter dans ces pages une vision et un outillage conceptuel pour penser autrement les rapports entre nature et culture, dépasser le naturalisme et son « grand partage »28.

Des auteurs plaident pour l’adoption d’une nouvelle focale pour rendre compte de l’hybridité et des assemblages entre des humains, des êtres non humains et des objets (Callon, 1986 ; Latour, 1994 ; Callon and Law, 1997 ; Barbier et Trépos, 2007). Ce nouveau vocabulaire, d’humains et de non-humains, est notamment présenté par Bruno Latour dans un projet d’ « anthropologie symétrique » (Latour, 1991) qui définirait de nouvelles manières de penser le monde, notamment en dépassant l’opposition entre nature et culture. Mais, comme le fait Céline Granjou dans son ouvrage « Micropolitiques de la biodiversité », cette thèse s’inscrit plutôt dans « une approche symétrique modérée des humains et des non humains » (Granjou, 2013, p. 9) en la mettant en œuvre sur le plan épistémologique et méthodologique mais sans nécessairement s’attaquer aux aspects ontologiques soulevés. Ainsi, mon propos tente de montrer des liens et des réseaux qui relient humains et non-humains, qu’ils soient des objets, des espaces ou des espèces qui façonnent dans le quotidien des pratiques, des savoirs et des collectifs.

Administrer la nature

Depuis les années 1960 la nature et plus largement l’environnement sont devenus des thèmes majeurs de réflexion en sciences sociales, en partie parce qu'ils se sont imposés dans les choix politiques et sociaux. Historiquement, la catégorie « environnement » définie par les premières politiques comporte deux grandes dimensions : la « protection de la nature », et la « lutte contre les nuisances », notamment contre la pollution de l’air, de l’eau, le bruit, etc. (Frioux et Lemire, 2012). Ce premier volet, la sauvegarde des espèces ou des milieux naturels, est devenu une préoccupation de la société contemporaine et s’est traduit par des politiques et des domaines d’action professionnelle particuliers. Sur ce sujet, les recherches en sciences sociales traitent une large gamme de thèmes que ce soit au niveau des institutions, pratiques, savoirs ou acteurs. Il ne s’agira pas de dresser ici un inventaire exhaustif mais de montrer l’état d’avancement de la littérature au sujet des professionnels de la nature.

L’histoire de la protection de la nature en France bénéficie d’une littérature de plus en plus abondante (Mathis et Mouhot, 2015 ; Larrère et al, 2009 ; Basset, 2009 ; Mauz, 2009). J’en donne ici quelques jalons (cf. annexe 4 : repères chronologiques).

28 Le terme de « nature » est employé au singulier dans ces pages, lorsqu’il s’agit soit d’un terme institutionnel ou d’un propos recueilli sur le terrain.

40 Différents modèles de protection de la nature existent à travers le monde (Larrère et Larrère 1997; Rodary et Castellanet 2003; Phillips 2004; Mose, 2007; Depraz 2008 ; Therville, 2013). Comme le montre le tableau ci-dessous la majorité d’entre eux coexistent aujourd’hui en France.

Le terme de « conservation » (de l’ancien français conserver,

étymologiquement porter attention, maintenir) s’est aujourd’hui imposé dans les pays anglophones au détriment de celui de « protection » (Blandin, 2009). Ces termes ont connu des modifications de leur signification au cours du temps et des lieux (Illouz et Tréfeu, 2004). Avec la conservation, l’homme « admet que la nature peut être bouleversée, au profit de la société humaine, pour assurer le développement de cette dernière, à condition que cette exploitation se réalise dans des limites raisonnables permettant le renouvellement des ressources naturelles » (Lefeuvre, 1990, p.31). La conservation correspond aux actions visant à prévenir la perte, l’altération ou la destruction de quelque chose. Le terme a pris une connotation dynamique supposant la mise en œuvre des actions de protection par l’utilisation durable et la gestion des ressources « naturelles » prenant en considération les éléments de la biosphère.

En français, les termes de conservation, préservation et protection sont employés couramment dans un certain flou sémantique même s’ils peuvent désigner des approches différentes (Depraz, 2013).

41 Tableau 2 : les différents modèles de protection de la nature, non chronologique. Inspiré de Therville, 2013 et Depraz, 2008 et 2013. Le statut des EP m’important peu pour l’analyse future, chaque type d’EP n’est pas présenté ici. Voir annexe 2.

Modèle Définition Auteur·es

Protection défense d’éléments de nature

face à des perturbations,

notamment anthropiques,

jugées de manière négative et perçues comme destructrices

Thomas et

Gillingham, 2015 ; Leopold, 1949

Conservation Gestion dite prudente et

mesurée des ressources

naturelles pour les maintenir dans un bon état général, dans

un objectif explicite de

protection et en vue de leur transmission aux générations futures Marsh, 1864; Pinchot, 1910; Leopold, 1949 Approche ecosystémique – gestion adaptative

Protection des écosystèmes dans leur ensemble et de leurs continuités écologiques sur les territoires

Margules et Pressey, 2000

Patrimonialisation insiste plus particulièrement

sur les dimensions de

transmission et d’organisation sociale et politique comme

instruments de la

conservation

Ollagnon, 1989;

Cormier-Salem et

al, 2002

Ressourcisme définit une protection à

finalité d’exploitation et insiste sur la notion de ressource

Western et Wright

1994, cité par

Emerit, 2007 Préservation la protection est totale, l’accès

et les prélèvements sont prohibés.

Thoreau, 1854;

Muir, 1916

Utilitarisme Approche anthropocentrée

qui préconise des actions

réparatrices à valeur

compensatoire.

MEA, 2005 ; Sutton et al, 2016

Par facilité, le terme retenu dans la thèse est celui de « gestion de la nature » le plus employé sur les terrains de recherche, mais qui dans les faits, et selon les situations, relève tant du modèle de la conservation, que de celui de la

42 protection ou de celui de l’approche écosystémique. Ces différents registres d’action peuvent cohabiter au sein d’un même espace protégé29

.

Un grand nombre de méthodes, outils et stratégies et outils d'évaluation de la protection de la nature ont été mobilisés depuis le XXe siècle. Je désigne les politiques de la nature comme un vaste champ d’actions publiques destinées à agir dans le champ de la protection des patrimoines naturels. Face à des « menaces » perçues et désignées diversement à travers l’histoire30, l’un des partis pris a été de réserver certaines portions du territoire à la protection de la nature. C’est le principe des aires protégées, plus connus en français sous le nom d’espaces protégés. La Convention sur la Diversité Biologique (1992) désigne une aire protégée comme « toute zone géographiquement délimitée qui est désignée ou réglementée et gérée en vue d’atteindre des objectifs spécifiques de conservation ». Pour l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés » (Dudley 2008).

A l’échelle mondiale, il existe une variété importante d’espaces protégés, qui diffèrent à la fois dans les objectifs, les niveaux de contraintes ou les outils employés. L’UICN a dressé une typologie des aires protégées, des plus strictes (catégorie Ia des réserves intégrales) aux plus souples (modèle VI de l’utilisation durable des ressources naturelles) (Dudley 2008). Une littérature abondante est consacrée aux évolutions des aires protégées depuis leur apparition jusqu’au XXIe siècle (Phillips 2004; Dearden et al, 2005; Locke et Dearden, 2005; Mathevet et al, 2010).

Les espaces protégés sont en France l’outil principal des politiques de la nature. Ils couvrent environ 26 % du territoire français (métropolitain et ultra-marin)31. On trouve en France des espaces protégés régis par protection réglementaire, contractuelle, par maîtrise foncière ou au titre d’engagements européens ou internationaux (voir annexe 2 : tableau comparatif des espaces protégés en France).

La construction d’une politique de la nature en France s’amorce à la fin des années 1950 (Charles et Kaloara, 2007) sous l’impulsion de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR)32

: création des Parcs nationaux (le premier en Vanoise en 1963), restructuration un an

29 Par exemple le parc national des Écrins s’occupe d’une réserve intégrale sur un modèle de préservation pure ; d’un cœur conçu sur le modèle de la protection et d’une aire d’adhésion sur le modèle de la conservation.

30 L’érosion de la biodiversité, la surexploitation des ressources, les changements d’utilisation des terres, les pollutions, les invasions biologiques, la destruction et fragmentation des milieux, les changements climatiques. (Stanners et Bourdeau 1995; Barbault 1997 ; Bezombes, 2017).

31 11.5 % de la surface terrestre mondiale sont couverts par des aires protégées (Rodrigues et al, 2004)

32 Les réserves de chasse (statut juridique en 1934) et des réserves biologiques en forêt publique (1953) les ont précédés.

43 plus tard du ministère de l’Agriculture avec la constitution de l’Office national des forêts (ONF), instauration des Parcs Naturels Régionaux (PNR) en 1968 et mise en place d’un Ministère de l’Environnement en 1971 (Charvolin, 2003). Dans la même lignée, se créent par exemple les Conservatoires d’espaces naturels (1976), les Conservatoires botaniques nationaux (1975) et le Conservatoire du Littoral (1975). Puis la tendance est à la décentralisation avec les Espaces naturels sensibles (1985) ou les reconnaissances internationales comme Natura 2000 (2001)33. Enfin dernier né, le Parc naturel marin (2006). La première génération de Réserves naturelles et de Parcs nationaux fait l'objet d'adaptations et d'évolutions juridiques respectivement en 2002 et 2006. Dès le début, les acteurs politiques privilégient donc la diversité des outils et des structures pour la protection de la nature.

33 Il existe bien d’autres types d’espaces protégés en France, tels que les sites classés ou les arrêtés de protection de biotope. Voir annexe 2.

44 Figure 1 : Carte des espaces protégés en France – MHNH, ATEN, 2014

Le terme polysémique « espace protégé » désigne donc à la fois un espace (le territoire soumis à cette politique) et des moyens (notamment un établissement employant du personnel). Par exemple, un « parc national » est un espace biogéographique et un territoire (au sens d’ancrage de l’action publique) délimité selon un zonage administratif et juridique particulier où une action collective fait intervenir de nombreux acteurs humains et non humains. Mais un parc national est aussi un établissement public à caractère administratif auquel est déléguée la responsabilité de ce territoire et doté d’une équipe mixte : agents du « siège » à compétence sectorielle (agriculture, recherches scientifiques, aménagement) et des agents dits de « terrain » pour les actions de suivi du patrimoine et de police de l’environnement.

45 Certains chercheurs utilisent des sigles pour distinguer ces différentes acceptions des espaces protégés. Dans sa thèse, Arnaud Cosson (2014) emploie « EN – PN » pour désigner la structure publique et « territoire – EP » pour parler de l’espace géographique et le territoire sociologique. N’ayant jamais vu cette pratique à l’œuvre sur mes terrains, j’ai décidé dans mon travail d’employer uniquement le mot « d’espace protégé » dans toute sa multi-dimensionnalité malgré les ambiguïtés qu’elle cause dans certaines situations. Mais c’est justement l’enchevêtrement des significations qui induit parfois dans les interactions des confusions, des troubles ou des disputes qu’il serait dommage de réduire a priori uniquement entre les deux dimensions présentées ci-dessus.

L’éthique des espaces protégés, leur efficacité pour enrayer la crise de la biodiversité, d’autres problèmes environnementaux34

ou leurs coûts (financiers, humains etc.) sont largement questionnables et questionnés (Bruner et al, 2001; Rodrigues et al, 2004; Chape et al, 2005; Gilbert 2009; Butchart et al, 2010)35. Dans la majorité des cas, et sur tous les continents, ces mesures de protection ont été accompagnées de la mise à l’écart des populations (Heritier et Laslaz, 2008). Ces espaces protégés se sont souvent créés, derrière des arguments de protection de la nature ou de la biodiversité, dans des processus de confiscation de type colonial ou impérial. L’émergence des thématiques liées à la biodiversité à partir des années 1990 a contribué au développement des recherches en sciences sociales autour des espaces protégés, sur ce thème précis (Blanc, 2014 ; Blanc, 2013) ou d’autres.

En sociologie et géographie les sujets prenant pour terrain les espaces protégés sont nombreux36 : les conflits fonciers (Cormier-Salem, 2006), la gouvernance de l’établissement (Therville et al, 2012 ; Cosson, 2014) ou du territoire (Mauz, 2003, Selmi, 2006, Charvolin, 2012 ; Babou, 2015 ; Baron et Lajarge, 2016) ou les inégalités environnementales engendrées (Deldrève, 2011), etc.

Ces politiques ont généré de nombreux zonages et découpages territoriaux suivant une vision administrative et juridique (sous les dénominations de réserve, zone centrale, zone périphérique etc.). Travailler pour un espace protégé, notamment les PN et RNN, consiste majoritairement à administrer un territoire (Selmi, 2006) et à mettre en œuvre une stratégie territoriale qui passe par la définition de moyens de contrôle, une réglementation des usages, l’autorisation ou l’interdiction d’activités. Comme avec un parc national, l’espace peut être « géré » par une structure dédiée mais il existe également des structures publiques ou privées (associatives) s’occupant de nombreux espaces protégés (comme les Conservatoires d’Espaces Naturels).

34 Le zonage de ces espaces remarquables est désormais mis à mal par les changements climatiques : la migration des espèces peut remettre en effet en cause certaines délimitations initiales.

35 L’efficacité des politiques de la nature n’est pas le sujet de cette thèse.

36 Ce sont majoritairement les PNR ou les PN qui sont étudiés, mais les autres types d’espaces protégés commencent à être explorés : voir Bactile, 2017

46 L’établissement public territorial du bassin de la Dordogne, un syndicat mixte, a par exemple sous sa responsabilité la réserve de biosphère de la Dordogne. Il est donc particulièrement ardu de se retrouver dans la cartographie des acteurs impliqués dans les politiques de la nature, chaque cas mobilisé dans cette thèse sera donc présenté au fil du texte.

Un champ professionnel plus ou moins défini

De multiples acteurs sont mobilisés dans le cadre des politiques de protection de la nature. Des acteurs et des institutions de plus en plus nombreux revendiquent la nature pour métier (Massart, 2015). Les travaux des sociologues sur ce sujet ne définissent volontairement pas les limites de ce champ professionnel (Granjou, 2013). Ils les qualifient tour à tour de « travailleurs de la nature » (Granjou et al, 2010b), de « professionnels de la nature » (Granjou, 2013), de « gestionnaires » (Barthélemy, 2005) ou « d’acteurs de la conservation » (Denayer, 2013 ici pour désigner les agents impliqués dans un programme de conservation de la faune « sauvage »). Deux mouvements sont à prendre en compte pour expliquer cette absence de définition unique :

 la professionnalisation assez récente de ce domaine

 son ouverture à des acteurs qui en étaient exclus auparavant.

À partir des années 1990 le déploiement de « micro-politiques de la biodiversité » (Granjou, 2013) dans des contextes hétérogènes a impliqué une diffusion et une ramification de la protection de la nature au sein d’organismes et d’activités variés. Un processus d’ « écologisation » (Latour, 1995) impacte divers professionnels (Arpin et al, 2015a). Aujourd’hui, ces politiques peuvent concerner37

des salariés d’espaces protégés, des acteurs administratifs, des agents d’institutions sectorielles comme l’ONF ou l’ONCFS, des salariés d’associations, des agriculteurs, des élus locaux, des professionnels du tourisme, des éleveurs ou des employés de fédérations de chasse. Une diversité de structures et d’activités sectorielles (agriculture, chasse, pêche, foresterie…) revendiquent connaître et contribuer à gérer les milieux « naturels », protégés ou non. Cette extension entraîne parfois des conflits de légitimité : une fédération de chasse agit-elle pour la protection de la nature ? A-t-elle le droit de parole dans le secteur de la protection de la nature ? La sociologie des groupes professionnels a bien montré que dans les milieux de travail s’affrontent régulièrement des conceptions concurrentes des territoires professionnels (Abbott, 1988). Les chercheurs sont parfois inclus dans ce groupe comme des professionnels « particuliers » de la nature (Granjou, 2013, p.11) en raison de l’importance de leur contribution dans le développement de ce champ.

Malgré la volonté d’un nombre croissant d’acteurs de se revendiquer professionnels de la nature, l’émergence et le développement d’un corps de

37 Et bien sûr les amateurs, habitants, résidents et tous autres actants présents sur un espace. Par simplification je ne les ai pas inclus ici.

47 spécialistes et de corpus de savoirs spécifiques aux objectifs de protection de la nature (Micoud, 1993 et 2002) ont bien eu lieu.

Ceux-ci sont originellement représentés par les salariés d’organismes gestionnaires d’espaces protégés38

qui emploient aujourd’hui plus de 6 000 professionnels en France39. Comme nous l’avons vu, ils ne dépendent pas dans leur totalité de la fonction publique et occupent des rôles variés. Les statuts des professionnels des espaces protégés se sont standardisés à partir des années 1980 (Mauz et Granjou, 2008). Initialement recrutés localement, les agents des parcs nationaux le sont depuis 1986 sur concours national de la fonction publique. En 2001 les corps des techniciens de l’environnement et des agents techniques de l’environnement s’institutionnalisent.