l’environnement
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Introduction
Le domaine de l’environnement est caractérisé par l’intervention d’un grand nombre d’acteurs, un foisonnement institutionnel, la territorialisation des politiques, l’articulation de plusieurs échelles et un certain brouillage de frontières entre acteurs publics.
La participation des personnes et groupes concernés est devenue une norme de l’action publique environnementale (Barbier et Larrue, 2011).
L’étude de la gouvernance territoriale de l’environnement (Salles, 2006), de ses outils, dispositifs et situations s’intéresse à l’organisation des acteurs et permet de comprendre comment se construisent les concertations et compromis nécessaires au développement durable (Beuret et Cadoret, 2011). La revue des définitions de la gouvernance (Rey-Valette et al, 2008) témoigne du caractère polysémique et flou de cette notion. Les auteur·es l’appréhendent généralement comme une grammaire de conduite de l’action publique, dans un contexte de coordination multi-niveaux et multipolaires (Gaudin, 1999). Selon Patrick Le Galès (2010), la gouvernance « concerne les formes de coordination, de pilotage et de direction des secteurs, des groupes et de la société, au-delà des organes classiques du gouvernement » ou autrement dit à l’échelle territoriale « la gouvernance recouvre l’ensemble des situations de coopération non ordonnées par la hiérarchie, qui correspondent à la construction, à la gestion ou à la représentation de territoires » (Pasquier, Simoulin et Weisbein, 2007).
Dans l’exercice de la gouvernance territoriale, les organisations ont recours à l’expertise de manière continue, récurrente et avec une fréquence élevée ; qu’on pense aux travaux de comités techniques fournissant des avis aux organismes de bassin versant, aux ingénieurs appelés au secours de comités de riverains, d’expertises sur l’état d’eutrophisation d’un lac, etc. (Létourneau, 2014). L’intervention d’expert·es peut passer à la fois par des dispositifs institutionnalisés (tels que les comités de pilotage Natura 2000, les commissions locales de l’eau ou les commissions départementales de la nature, des sites et des paysages) mais aussi par des initiatives locales de concertation, souvent hors de toute procédure prédéfinie (Beuret et Cadoret, 2011).
Les conseils scientifiques apparaissent comme un petit maillon de cette gouvernance territoriale environnementale. Une multitude de comités, commissions ou conseils sont en effet mobilisés pour rendre des avis sur la gestion durable des territoires. Dans quelques cas, les avis rendus par les conseils s’inscrivent dans la chaîne de consultation d’instances visant à la prise de décision publique, même s’ils demeurent un « produit sans force » (Memmi, 1996) puisque par leur nature consultative, les institutions ne sont pas tenues de les suivre143. Plusieurs échelles peuvent donc être mobilisées au sein d’une séance de conseil scientifique : le territoire d’action collective,
143 Tout du moins pour les avis simples des conseils : les CS de PN peuvent rendre dans certaines circonstances des avis conformes. Je n’ai pas rencontré de tel cas pendant mon enquête.
197 l’institution de rattachement (comme l’espace protégé) ou encore le groupe d’instances ayant déjà émis ou allant émettre un autre avis.
Or, l’hétérogénéité des conseils scientifiques entraîne des configurations complexes, notamment à l’échelle territoriale, comme je le montrerai pour le sud-est de la France. Les liens que les conseils scientifiques entretiennent entre eux ou avec les autres instances consultatives apparaissent relativement ténus et semblent avant tout conditionnés par des arrangements à l’échelle des individus ou des collectifs.
L’analyse des circulations entre instances, à partir de l’exemple d’une demande d’installation d’équipements de stockage d’eau sur des alpages du Vercors, permettra d’illustrer les frontières d’action de chaque conseil scientifiques, ainsi que les modalités et la nature des échanges entre instances consultatives.
4.1. Des configurations territoriales complexes
4.1.1. « Une constellation d’instances »
Le caractère mouvant et aléatoire des conseils scientifiques dans le domaine de l’action environnementale peut aboutir à des configurations territoriales spécifiques. Le panorama national que nous avons construit ne suffit pas à rendre compte de la complexité de l’organisation des CS, notamment à l’échelle territoriale. En outre, comme le préconisent Lascoumes et Le Galès (2007, p. 34), c’est par la compréhension des ordres locaux et de leurs régulations que l’on peut éclairer les systèmes d’acteurs et leurs interrelations. Le changement d’échelle apparaît donc indispensable pour saisir le rôle des conseils dans la gouvernance territoriale de l’environnement.
Prenons le cas de la Seine. Dans son seul estuaire, pas moins de cinq conseils scientifiques « sont (…) chargés de formuler des avis, de réaliser des évaluations ou de faire des propositions aux gestionnaires et aux structures auxquels ils sont rattachés par la gestion des espaces d’intérêts patrimoniaux » (Dauvin, 2011) : le Comité scientifique du GIP Seine-Aval, le CS de l’estuaire de la Seine, le CS de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine, le CSRPN de Haute-Normandie et enfin le CS du parc naturel régional des boucles de la Seine normande.
Un ensemble d’instances dites scientifiques se partage donc la gouvernance d’un même milieu. Ce chevauchement, voire cette superposition, peut entraîner un manque de vision globale de l’ensemble de la zone, notamment par les membres des conseils scientifiques concernés. Ces informations144, permettent de mieux comprendre le paysage actuel des conseils scientifiques.
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4.1.2. Les conseils scientifiques de Rhône-Alpes et de PACA : liste et données
Afin de compléter le panorama national et de mieux appréhender la place des trois conseils scientifiques investigués dans cette constellation, j’ai réalisé dans le prolongement de l’enquête nationale, une étude à une plus grande échelle en construisant une base de données relationnelle sur les conseils scientifiques des régions Rhône-Alpes et PACA. L’enquête nationale s’est concentrée sur les structures et l’organisation des CS mais ne permettait pas ni de retracer le profil sociologique des membres ni d’identifier le nombre de sites et d’espaces protégés sous la compétence d’un conseil scientifique.
Mes premières observations ethnographiques et prises de contact sur le terrain en 2015 suggéraient que les membres de CS que je rencontrais au fil des évènements circulaient majoritairement entre les régions Rhône-Alpes et PACA. En effet, le parc national des Écrins est à cheval sur ces deux régions et les milieux écologiques alpins étudiés par une partie des personnes rencontrées s’étendent jusqu’aux départements méridionaux. Comme nous l’avons vu plus haut, les deux départements les plus dotés en CS sont l’Isère et les Bouches du Rhône. L’extension de mon aire d’étude à la région PACA me permettait également de m’intéresser au CS du parc national du Mercantour et donc de saisir les relations entre l’ensemble des CS des parcs nationaux alpins.
Vu l’extension du champ des dispositifs concernés par les conseils scientifiques, j’ai décidé de me centrer dans cette enquête régionale sur les conseils scientifiques d’espaces protégés ou s’y rapportant. En me fondant sur les résultats de l’enquête nationale, j’ai écarté d’emblée des organismes ou dispositifs de gestion de la nature ne possèdent pas a priori de CS (les ENS, CPIE, les RNR ou les zones Natura 2000) ainsi que ceux qui dépendent de CS à l’échelle nationale. Ainsi les réserves biologiques dirigées ou intégrales ne seront pas représentées car rattachées au CS de l’ONF, ainsi que les réserves nationales de chasse et de faune sauvage liées au CS de l’ONCFS. Les sites de Rhône-Alpes et PACA sous gestion du conservatoire du Littoral n’ont également pas de CS propres mais sont rattachés au comité scientifique du conservatoire du littoral œuvrant également à l’échelle nationale.
La base de données des espaces protégés de l’INPN m’a permis d’identifier l’ensemble des sites bénéficiant d’une protection en Rhône-Alpes et PACA, de connaître le type de protection et donc l’organisme gestionnaire associé. Les tableaux ci-dessous identifient les 70 espaces protégés en PACA et Rhône-Alpes qu’ils soient protégés par :
maîtrise foncière : CEN
réglementaire : PN, RNN
protection contractuelle : PNR et géoparc
199 L’identification de l’ensemble des conseils scientifiques s’est opérée conjointement avec la recherche des listes de membres. Pour cela, j’ai mobilisé plusieurs sources : les arrêtés préfectoraux de création ou de renouvellement de conseils scientifiques ; les contacts par courriel ou téléphone des institutions identifiées, ou à défaut le site internet des institutions.
Tableau 20 : Liste des espaces protégés de Rhône-Alpes et leurs CS.
Rhône-Alpes : 42 espaces protégés et 26 sites gérés par un CEN
Nom de l'espace protégé Type d'espace protégé Présence
d'un CS
Géoparc du Chablais Géoparc oui
Géoparc des Mont d'Ardèche Géoparc oui
CBN Alpin CBN oui
Terrain acquis (ou assimilé) par
un Conservatoire d'espaces
naturels : 26
CEN RA oui
Cévennes Parc national, aire d'adhésion oui
Vanoise Parc national, cœur et aire
d'adhésion
oui
Ecrins Parc national, cœur et aire
d'adhésion
oui
Vercors Parc naturel régional oui
Chartreuse Parc naturel régional oui
Haut-Jura Parc naturel régional non
Livradois-Forez Parc naturel régional oui
Pilat Parc naturel régional oui
Massif des Bauges Parc naturel régional oui
Monts d'Ardèche Parc naturel régional oui
Baronnies provençales Parc naturel régional oui
Cévennes Réserve de biosphère, zone de
transition
oui
Lauvitel Réserve intégrale de parc
national
oui
Lac Luitel Réserve naturelle nationale oui
Tignes-Champagny Réserve naturelle nationale oui
Grande Sassière Réserve naturelle nationale oui
Haut-Vénéon Réserve naturelle nationale oui
Haut-Béranger Réserve naturelle nationale oui
Aiguilles Rouges Réserve naturelle nationale oui
Bout du Lac d'Annecy Réserve naturelle nationale oui
Sixt-Passy Réserve naturelle nationale oui
Roc de Chère Réserve naturelle nationale oui
Contamines-Montjoie Réserve naturelle nationale oui
Gorges de l'Ardèche Réserve naturelle nationale oui
200
Grotte de Hautecourt Réserve naturelle nationale oui
Passy Réserve naturelle nationale oui
Marais de Lavours Réserve naturelle nationale oui
Hauts Plateaux du Vercors Réserve naturelle nationale oui
FR3600079-Ile de la Platière Réserve naturelle nationale oui
Ramières du val de Drôme Réserve naturelle nationale oui
Plan de Tueda Réserve naturelle nationale oui
Hauts de Villaroger Réserve naturelle nationale oui
Carlaveyron Réserve naturelle nationale oui
Vallon de Bérard Réserve naturelle nationale oui
Haute Chaîne du Jura Réserve naturelle nationale oui
Étang du Grand-Lemps Réserve naturelle nationale oui
Hauts de Chartreuse Réserve naturelle nationale oui
La Bailletaz Réserve naturelle nationale oui