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INTERCOMMUNALITES ET LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU MODELE DE LA GESTION DE

1.2. Des héritages territoriaux et des espaces vécus distincts

Les évolutions des dénominations, des délimitations et des qualifications des espaces du terrain d’étude à partir des écrits des géographes et des guides touristiques avant les années

1990 montrent que la Vallée de la Drôme ne constitue pas un espace perçu et vécu comme

une entité, et ce malgré l’existence structurante de la rivière Drôme. La partie aval n’est que faiblement présente dans les représentations de la vallée, tandis que, au contraire, le Diois est omniprésent dans une définition à la fois large et peu précise. Si la population de ce dernier revendique son appartenance, la partie aval souffre au contraire d’un déficit d’identité.

1.2.1. L’omniprésence du Diois et l’invisibilité de la partie aval de la

vallée

Pour les géographes alpins du milieu du XXe siècle : une définition large du Diois, recouvrant tout en partie la vallée de la Drôme

La consultation des écrits des géographes de l’Institut de géographie Alpine du siècle dernier

renseigne sur les appellations et la caractérisation de la zone d’étude. Le terme de « vallée de

la Drôme » n’est pas employé et l’appellation géographique qui approche au mieux la

localisation et l’étendue de la zone d’étude est celle de « Diois ». Cet objet géographique est

par contre beaucoup étudié. Si le Diois fait clairement partie des « Préalpes du Sud »

(Blanchard, 1945), ses limites sont sujettes à discussion. Elles sont assez nettes au nord, liées à la présence du massif du Vercors, mais restent plus floues au Sud avec les Baronnies (Blanchard, 1945) et surtout à l’ouest. Les critères de délimitation sont de nature hydrographique, paysager ou liés à l’attractivité des villes, comme Crest, Nyons ou Die. Ce

107 La FRAPNA, Fédération Rhône-Alpes de Protection de la NAture, est une association Loi 1901, créée en 1971. Elle œuvre pour la protection de la nature et de l’environnement. Elle est agréée par le Ministère de l'Environnement depuis 1978 et reconnue d'utilité publique depuis 1984. Elle est membre de France Nature Environnement, fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, elle même créée en 1968, et reconnue d’utilité publique depuis 1976. La FRAPNA est composée de huit sections départementales, dont l’une est la FRAPNA Drôme. Chacune de ces sections est elle même une association et fédère également d’autres associations œuvrant également pour la protection de la nature (26 associations en 2008 dans la Drôme).

108 Ramières : « nom de lieu commun qui désigne les bois riverains des cours d’eau dans le sud de la France ; il vient du latin ramus qui veut dire branche, rameau, rame» (Faton, 2008).

dernier critère rejoint celui du découpage administratif, en arrondissement ou en canton. Le canton de la Motte-Chalancon au sud n’est pas toujours considéré comme Diois, selon les auteurs, en raison de l’attraction exercée sur sa population par la ville de Nyons, située dans les Baronnies.

Concernant sa limite ouest, le Diois est décrit de trois manières différentes (Figure 31) :

- Pour certains géographes, il englobe l’ensemble du bassin versant de la Drôme jusqu’à

Livron : « Allongé au sud du Vercors, le Diois recouvre, en gros, la région où coulent

la Drôme et ses affluents jusqu’à Livron, au confluent du Rhône. Cependant, à l’aval de Saillans, l’altitude d’ensemble décroit, l’horizon s’élargit, et on rattache le plus

souvent cette basse vallée aux pays rhodaniens » (Méjean, 1932).

- Pour d’autres, le Diois trouve sa limite à Saillans : « Nous avons considéré comme

formant le Diois uniquement le bassin de la Drôme jusqu’au confluent de la Gervanne

inclus » (Blanchard, 1919). « Le terme de Diois est une appellation populaire qui

s’applique au bassin de la Drôme et de ses affluents en amont de Saillans, c’est à dire

à la zone restreinte soumise à l’influence économique et scolaire de Die » (Masseport,

1960).

- Enfin, pour les troisièmes, la ville de Crest constitue le « débouché » ou la « porte

d’entrée du Diois » (Faucher, 1928 ; Roussin, 1978).

Les termes de « haute, moyenne et basse vallée » (Méjean, 1938) ou encore de « arrière et

avant-pays » (Blanchard, 1945 ; Masseport, 1960) sont utilisés pour décrire ce zonage

Roussin M. (1978) Crest : un siècle d'évolution démographique.

Revue de Géographie Alpine, vol. 66, n° 2, p. 115-135. Méjean P. (1938) Phénomènes démographiques dans le Diois.

Revue de Géographie Alpine, vol. 26, n° 1.

Masseport J. (1960) Le comportement politique du massif du Diois.

Essai d'interprétation géographique. Revue de Géographie Alpine,

vol. 48, n° 1, p. 5-167.

Crest « Diois »

« avant pays »

Crest

Saillans

Figure 31 : Trois représentations cartographiques de la zone d’étude, extraits d’articles de la Revue de Géographie Alpine (sources : Méjean, 1938 ; Masseport ; 1960 ; Roussin, 1978)

Du point de vue touristique : le Diois, un arrière-pays mis en valeur dans une logique de « massif »

Les guides touristiques informent également sur les territoires perçus et vécus, historiques et culturels. Ceux édités par le Comité Départemental du Tourisme (CDT) traduisent en particulier la politique touristique départementale qui contribue à l’invention, à la transformation et à la consolidation des territorialités.

Tout au long de la première partie du XXe siècle, les guides touristiques sur la Drôme réitèrent l’image d’un département qui se traverse, plutôt qu’une destination en soi (Boyer et

Isler, 2003). Jusqu’à la seconde guerre mondiale, les auteurs sur la Drôme n’arrivent à définir

le département que par sa « diversité », mais cette image n’est alors ni forte ni cohérente.

Les autorités locales commencent à se préoccuper de ce déficit d’image dans les années 1950, lors du développement du tourisme de masse, marqué par l’héliotropisme estival. Avec son axe routier, la mythique N7, la Drôme constitue avant tout une zone de halte dans la descente vers le sud et son développement touristique est centré sur des snacks et des hôtels en bord de route. Le Comité Départemental du Tourisme de la Drôme engage une politique volontariste dans les années 1960 avec des achats de châteaux, le développement de stations de ski et la

création du Parc Naturel Régional du Vercors. En vue de rompre avec l’image de « couloir

d’écoulement », il invite, dans ses brochures touristiques inchangées de 1960 à 1980, à

« zigue-zaguer » dans le département de la Drôme selon des itinéraires routiers détaillés, avec

le slogan : « sur les routes du soleil, de l’Alpe à la Provence, découvrez la Drôme aux mille

visages » (Comité Départemental du Tourisme, 1963, 1973, 1988) (Figure 32).

Il concentre ses efforts sur les arrière-pays du département, le massif des Préalpes, dans une

logique d’aide aux secteurs de montagne défavorisés109. Le Diois est ainsi l’une des entités

particulièrement mise en avant en termes de communication. Il fait systématiquement l’objet d’un chapitre dans les guides touristiques et de voyage sur le département de la Drôme. Cette

appellation « Diois » est extensive, dans la mesure où elle comprend également les points

d’intérêts de la partie aval de la Vallée de la Drôme, notamment la tour de Crest ou la forêt de Saou (Gaudibert-Cantagrill, 1981) et parfois le Haut-Roubion (Bourdeaux et ses alentours) autrement rattaché au centre d’intérêt de Dieulefit (Ermisse et Paris, 1984).

Jusque dans les années 1980, la partie aval de la vallée de la Drôme, n’a ainsi pas d’existence

propre du point de vue touristique. Seul le Diois est l’objet d’attention. Le terme de « vallée

de la Drôme » n’est quasiment pas employé. Lorsqu’il est utilisé, c’est pour désigner les

abords immédiats de la rivière Drôme, l’axe de circulation qu’il forme pour traverser le département en direction du Diois (Figure 32).

109 Dans les années 1960, les autorités départementales découpent le département de la Drôme en trois espaces : (i) celui des « espaces urbanisés reliés entre eux » selon les axes de communications et les agglomérations tels la Plaine de Valence ou les alentours de Livron et Loriol ; (ii) le « secteur intermédiaire », composé de « pays ruraux » autour de villes de piémont, bien desservi par les axes de communication, avec une agriculture dynamique tels les alentours de Crest, par exemple ; (iii) les « arrière-pays » constitués d’espaces ruraux fragilisés autour de petits pôles, situés à plus d’une heure de la vallée du Rhône, où le maintien d’un tissu de services et petites entreprises est un enjeu vital, comme dans le Diois (Boyer et Isler, 2003). Ce découpage en tranches longitudinales correspond à la logique de massif défendu par le comité de mise en valeur des Préalpes Drômoises, créé à l’initiative du préfet en 1950.

Ermisse G. ; Paris B. (1984) La Drôme.

J. Delmas, Paris, 151 p.

Comité Départemental du Tourisme (1963, 1973, 1988) Tourisme dans la Drôme : renseignements.Valence, 27 p.

Les Préalpes

Le Diois, un «arrière-pays» bien identifié, mis en valeur dans une logique de massif : « les Préalpes» La « vallée de la Drôme» : un simple axe permettant l’accès au Diois

Le «creux» entre le Diois, le Vercors, les Baronnies, etc.

Figure 32 : Trois représentations du département de la Drôme dans des guides touristiques de 1963 à 1984 (source : Comité Départemental du Tourisme, 1963 ; Ermisse et Paris, 1984)

1.2.2. Une rivière faiblement identitaire malgré sa localisation

centrale

La rivière Drôme, semble, a priori et à de multiples égards, détenir un rôle structurant dans la

vallée de la Drôme. D’un point de vue géographique, tout d’abord, la vallée de la Drôme, présente une configuration tout à fait typique de ce que l’on imagine être une vallée, c’est à

dire « un espace allongé entre deux zones plus élevées » (Le Petit Robert), une « dépression

allongée creusée par un cours d’eau » (Brunet et al., 1993). L’hydrologie, joue dans cette

configuration idéale un rôle tout à fait déterminant. La rivière Drôme est située en position centrale de son bassin versant, donnant lieu à un peuplement et une répartition des activités humaines relativement homogènes sur ses deux rives, tout en étant plus concentrés à proximité immédiate des cours d’eau et des infrastructures de communication qui les longent. Aucune artificialisation d’envergure, tels des canalisations ou barrages, ne vient perturber la logique hydrologique naturelle superficielle et les connexions souterraines avec d’autres

entités hydrologiques sont limitées110. Les reliefs sont assez marqués, dans la partie amont du

bassin versant tout au moins, et rendent lisible dans le paysage les limites de ce dernier. La rivière Drôme joue également un important rôle économique de par les usages productifs qu’elle permet, tant dans le domaine agricole que industriel et plus récemment touristique. Enfin elle dispose d’une forte charge symbolique, car elle est facilement visible depuis la route principale qui la longe. Elle est de plus située au centre du département et surtout elle porte le même nom que lui.

Et pourtant, malgré cette configuration archétypale, la vallée de la Drôme ne constitue pas

une entité vécue et perçue comme telle par sa population. Plusieurs explications sont possibles. Tout d’abord, la rivière Drôme ne participe que peu à la construction d’une identité commune locale. Les usages productifs ou dégradants dont elle fait l’objet, tels l’extraction de graviers ou l’épuration des déchets, sont faiblement identitaires et occultent ceux, comme la baignade, qui pourraient valoriser son image. Plus qu’un lien, la rivière est perçue comme une frontière entre le Nord et le Sud du département. L’organisation des communes de part et d’autre du cours d’eau, en particulier dans la partie aval de la vallée, renforce ce sentiment de séparation. De plus, les caractéristiques physiques ainsi que les usages des cours d’eau sont hétérogènes d’un bout à l’autre de la vallée et les enjeux de gestion de l’eau sont distincts entre l’amont et l’aval. Si le Diois est essentiellement préoccupé par des questions d’inondation, liées au caractère torrentiel de la rivière, l’aval est centré sur des questions d’irrigation et d’incision, en lien avec le développement intensif des activités agricoles et d’extraction de granulats.

Enfin et surtout, une autre territorialité domine dans la vallée. Historiquement et culturellement, le Diois s’est constitué comme une entité territoriale, à laquelle la population se sent appartenir et s’identifie. La revendication à l’attachement au Diois fait partie de la dimension identitaire de la population dioise (Chémery et Lauriac, 2011). Par contre, la partie aval de la vallée souffre d’un déficit identitaire. Elle forme comme un creux entre d’autres territorialités fortes qui s’affirment : le Diois à l’est, mais également la Provence au sud, le Vercors et le Dauphiné au nord et la vallée du Rhône à l’ouest (Figure 32).

2. La montée en puissance différenciée des intercommunalités