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Les Contrats de Rivière et les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux : l’efficacité environnementale par la

environnementaux de l’action publique

3.3. Les Contrats de Rivière et les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux : l’efficacité environnementale par la

territorialisation de l’action publique

Le dispositif des Contrats de Rivière est créé en 1981 mais il évolue progressivement, s’ajustant aux évolutions des objectifs et principes de la politique de l’eau. A partir de 1992, il s’articule étroitement avec le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux en vue de l’application du modèle de gestion intégrée de l’eau. Tous deux outils de planification, le SAGE et le Contrat de Rivière sont complémentaires : le premier fixe les objectifs et les règles d’usage et de gestion de l’eau, tandis que le second définit et met en œuvre les moyens et les modalités d’action en vue de l’atteinte de ces objectifs et du respect de ces règles.

Ces deux outils ont été créés afin de renforcer l’efficacité environnementale par la territorialisation de l’action publique. Ils posent l’hypothèse implicite que la définition et la mise en œuvre de la gestion de l’eau à l’échelle de territoires permettent l’intégration dans les représentations et les pratiques des usagers et des gestionnaires de l’eau des principes de la gestion intégrée, déclinaison de ceux du développement durable.

L’élaboration d’un SAGE est un processus assez lent. Entre 1992 et 2011, 63 SAGE sont mis en œuvre en France sur 168 procédures initiées, avec un délai moyen d’élaboration de 10 ans et 2 mois entre le dossier préliminaire et la signature préfectorale. En comparaison, entre 1981 et 2011, 241 procédures de Contrats de Rivière sont engagées (dossiers de candidature validés), dont 187 après 1992. 107 de ces Contrats sont achevés et 58 sont en cours de mise en œuvre en 2012. Le délai moyen d’élaboration de la démarche est de 4 ans et 4 mois entre la

validation du dossier préalable et la signature du Contrat77.

Les défis, les innovations et les limites de ces deux dispositifs territorialisés de la gestion de l’eau, sont analysés dans trois dimensions formant leur originalité : (i) une nouvelle relation de la société à l’environnement, (ii) une conception innovante de l’action publique et (iii) un rapport dialectique à la construction territoriale.

3.3.1. Une nouvelle relation à l’environnement

Les dispositifs des Contrats de Rivière et des SAGE instaurent une nouvelle relation entre la

société et son environnement autour du principe de gestion globale et intégrée de l’eau (Le

Bourhis, 1999 ; Allain, 2001). Ils ambitionnent de rompre avec la conception utilitariste de la nature en l’associant plus étroitement à la vie sociale. L’eau n’est pas qu’une ressource et la rivière qu’un tuyau. Elle s’intègre dans un système complexe de relations avec la société, où elle peut aussi constituer un milieu, un patrimoine, un paysage, etc.

Les comités de rivières et les Commission Locale de l’Eau ont le défi d’instaurer de nouveaux rapports à l’eau en vue de modifier les comportements des acteurs qui en sont parties

prenantes. En d’autres termes, il s’agit de « mettre l’eau en vie politique » (Latour et Le

Bourhis, 1995). Trois problèmes sont à résoudre : (i) la mise en cohérence de l’échelle du bassin versant, définie selon une logique naturelle, avec les instances politiques préexistantes et la création d’une nouvelle unité d’action autour de la ressource en eau ; (ii) la désignation de porte-paroles capables de relayer les enjeux de la nature et de peser face aux lobbys traditionnels ; et (iii) la production de nouvelles connaissances adaptées à l’action (Latour et Le Bourhis, 1995). Les cultures techniques des ingénieurs et des experts doivent intégrer les nouvelles conceptions systémiques de l’eau, puis pour passer dans la conscience collective, ces dernières nécessitent des médiations, tels des récits, des personnalités ou encore des événements.

Si l’enjeu environnemental est central dans ce modèle de la gestion intégrée de l’eau, il est pourtant faiblement porté et défendu au sein des arènes de négociation des Contrats de Rivières ou des SAGE. Les associations de protection de la nature, si elles sont actives, restent peu nombreuses, surtout comparées à d’autres usages de l’eau, tel en particulier celui agricole (Garin, 2000). Le rôle de l’Etat est parfois ambigu : si depuis la DCE, il est responsable de l’efficacité environnementale et de son instruction, il reste imprégné d’un long passé de laisser-faire. La police de l’eau souffre de moyens insuffisants et du faible soutien

préfectoral, pour assumer et mener à bien son rôle de contrôle. Le déficit et l’opacité des informations environnementales ne permettent pas aisément de mobilisation citoyenne. L’enjeu environnemental résiste au final mal face à d’autres enjeux, tels ceux agricoles ou industriels portés par des acteurs mieux organisés aux moyens plus importants.

3.3.2. Une nouvelle conception de l’action publique

Les dispositifs du Contrat de Rivière et du SAGE incarnent une nouvelle conception de l’action publique, un nouveau mode de régulation politique, de type non plus normatif mais

procédural : c’est un instrument de planification locale (Lascoumes et Le Bourhis, 1998) qui

recherche l’instauration d’une véritable gouvernance à l’échelle du bassin versant, basée sur

une approche participative et négociée (Allain, 2001, 2002). C’est une forme d’action

publique institutionnalisée très aboutie, qui prévoit à la fois un « cadre d’action spécifique »,

celui de la CLE, instance pluripartite pérenne à l’échelle du bassin versant et un « mode

d’action spécifique » : la planification participative (Allain, 2001). Ce sont enfin des formes

contractuelles d’action publique, reposant sur l’engagement et la responsabilité des signataires. La contractualisation, la participation et la gouvernance sont au cœur de l’hypothèse du gain d’efficacité environnementale. L’implication des usagers de l’eau dans les processus de décision et le renforcement de leurs interactions avec les gestionnaires

intentionnels permettent une « combinaison nouvelle entre savoirs et pouvoirs », ancrée dans

les réalités de terrain (Andreu-Boussut et Choblet, 2006). Cette décentralisation de décisions procure une plus grande légitimité et acceptabilité de ces dernières. Ces nouvelles formes d’action sont supposées garantir une définition plus démocratique et localisée de l’intérêt général (Lascoumes et Le Bourhis, 1998)et en particulier faire émerger et maintenir une

« conscience commune de l’eau » (Le Bourhis, 1999, 2004).

La procédure du SAGE n’a pas de caractère obligatoire. Elle repose sur une « initiative

locale», mais le texte de Loi ne précise ni qui doit en être à l’origine, ni dans quels délais. En

conséquence l’émergence du SAGE, la délimitation de son périmètre et le fonctionnement de la CLE bien que institutionnalisés, dépendent grandement des configurations d’acteurs locaux.

En particulier, si la procédure du SAGE institutionnalise la participation, la légitimation des nouveaux cadres et modes de participation (le bassin versant, la délibération et prise de décision collective au sein de la CLE) est strictement légale. Les textes de lois n’explicitent

pas les dimensions politiques et managériales, soit le comment « améliorer le fonctionnement

démocratique en redistribuant les pouvoirs de décision ou comment résoudre des problèmes à caractère collectif de l’espace public, qui ne parviennent pas à être résolus dans les cadre de

gouvernements existants » (Allain, 2001). La composition suggérée de la CLE lors de son

instauration est ainsi trop large pour la participation de tous à la négociation, mais également trop réduite comme consultation de l’ensemble des usagers (Lascoumes et Le Bourhis, 1995). De plus, la procédure du SAGE telle que définie par la Loi sur l’Eau et ses décrets d’application propose un modèle d’élaboration basé sur une rationalité technique (état des lieux, scénarios et stratégie de gestion ; consultation, adoption et diffusion). Elle suppose que le choix politique découle du choix rationnel entre des options possibles construites à partir d’un état des savoirs, lui-même établi sur des bases scientifiques considérées comme garantes de la qualité de la décision. En réalité, comme le montrent les analyses classiques des

politiques publiques, les « jeux locaux » et « les configurations d’acteurs territoriaux » sont

prépondérants dans la mise en œuvre de l’action publique (Le Bourhis, 1999). Il en résulte des modalités diverses de mise en œuvre du processus du SAGE. Le processus de décision n’est

pas linéaire, comme cela est prescrit, mais procède de la confrontation de différentes visions, à la fois des choses (la rivière, l’espace) et des acteurs humains (rôles, obligations, droits). L’acquisition initiale de connaissance est en elle-même un enjeu. Ce ne sont pas seulement des options de développement qui s’opposent mais aussi des visions des problèmes d’aménagement, elles-mêmes basées sur des savoirs. Les élus locaux jouent notamment ici un

rôle fondamental. Ils peuvent « représenter politiquement la gestion de la rivière » et

« donner corps au discours mettant en œuvre le bassin versant » et ainsi défendre un territoire

de l’eau. Ils ont les capacités de « mobiliser les réseaux locaux pour faire circuler et

promouvoir le cadre de la rivière ». Certains agents des services de l’Etat, des collectivités

territoriales ou établissements publics, regroupés dans des groupes de travail ou de pilotage, jouent également un rôle déterminant en regroupant les connaissances, en rationalisant les

procédures, en procédant à des « pré-négociations » (Le Bourhis, 1999).

Enfin, la procédure du SAGE proposée est lourde mais, paradoxalement, peu de moyens financiers, institutionnels et juridiques lui sont alloués (Lascoumes et Le Bourhis, 1995). En particulier, la CLE ne dispose pas du statut nécessaire pour assurer la maîtrise d’œuvre des programmes d’action qu’elle définit. L’opposabilité des documents de SAGE a été partielle jusqu’en 2006.

3.3.3. Un rapport dialectique à la construction territoriale

La troisième dimension novatrice des Contrats de Rivière et des SAGE, moins explicite mais

déterminante, est celle territoriale. Si ces dispositifs sont territorialisés dans le sens où ils

prennent en compte les spécificités locales et impliquent la coordination des acteurs à cette

échelle, ils ont également vocation à construire du territoire afin de révéler et activer de

nouvelles ressources d’action stratégique. Cette recherche vise à dépasser les questions sur le cadre (le bassin versant) ou sur les modes de coordination (démocratie participative) pertinents ou efficaces de l’action publique de la gestion de l’eau. Elle s’intéresse aux

constructions territoriales à la fois comme support de l’action mais aussi comme outil et

ressource pour l’action, soit aux dimensions à la fois territorialisée et territorialisante des dispositifs territorialisés de la gestion de l’eau.

Le bassin versant : un cadre spatial décrété qui ne fait pas territoire

Le bassin versant est le cadre spatial décrété par le niveau national. Selon les textes législatifs, le SAGE est censé être délimité sur des critères hydrologiques, tout en prenant en compte des

« critères de cohérence socio-économique ». La pertinence de ce cadre a été longuement

étudiée et débattue (Ghiotti, 2001 ; Mermet et Treyer, 2001 ; Ghiotti, 2006). La question de l’optimum géographique fait aujourd’hui place à celle de l’interterritorialité (Vanier, 2008). Soulignons cependant que ce cadre territorial décrété fait l’objet d’importants arrangements au niveau local. Dans la réalité du terrain, le découpage choisi obéit aux jeux de pouvoirs en place (Le Bourhis, 1999). La logique hydrographique défendue par l’Etat se heurte aux logiques politiques des collectivités locales. Il en résulte une multiplicité de découpages des territoires d’action des SAGE, en taille comme en forme. Surtout, le bassin versant ne forme

pas nécessairement un territoire, ni par l’eau, ni pour l’eau. Il n’y a pas de raison, a priori, que

les acteurs locaux de la gestion de l’eau reconnaissent et se reconnaissent dans un découpage spatial décrété par les pouvoirs public (Vitali, 2000). La façon et les conditions pour qu’un bassin versant soit identifié et approprié comme construction territoriales font parties des interrogations fondant ce travail de recherche.

L’interdépendance avec les autres domaines et échelles d’action

L’interdépendance de la gestion de l’eau avec d’autres domaines, échelles et formes d’intervention publique constitue également un défi pour les Contrats de Rivières et les SAGE. L’eau est fortement liée à de multiples autres enjeux, ce qui implique le double défi, de gérer l’eau pour elle-même mais également pour d’autres enjeux. Or, l’articulation existante actuellement avec les politiques gérant les espaces est faible, qu’il s’agisse d’urbanisme, de développement territorial ou de filière économique, telle celle agricole (Benoit et Brossier, 2005 ; Benoit, Deffontaines et Lardon, 2006). Pour intervenir dans la gestion des espaces, les gestionnaires de l’eau doivent collaborer avec ceux de ces filières. L. Mermet et J.B. Narcy (2003) pointent les conditions organisationnelles pour qu’une telle rencontre soit possible. Les gestionnaires de l’eau doivent inscrire leurs projets dans un projet et un politique, sans se limiter aux seules sphères techniques et intégrer la dimension systémique des relations société / nature dans les représentations de l’eau et de sa gestion (Narcy, 2000 ; Narcy et Mermet, 2003 ; Narcy, 2004).

La réussite de la mise en œuvre d’un SAGE repose sur la construction et la pérennisation d’une action collective dans un nouveau cadre d’action publique qu’elle contribue à transformer. Le collectif en cours de constitution se trouve face à un paradoxe : il doit tout à

fois « s’autonomiser pour parvenir à trouver son identité et gérer un domaine spécifique de

problème » et « être intégré dans un espace territorial et institutionnel plus vaste » (Allain,

2001).

Enfin, comme tout dispositif d’action publique, même si l’objectif premier du SAGE est la gestion de l’eau, la procédure peut être saisie par certains acteurs dans le but d’atteindre d’autres objectifs, par exemple économiques (saisir des financements, développer une activité

économique), politiques (asseoir un pouvoir) ou encore sociale (« faire quelque chose » pour

répondre aux préoccupations de la population (Brun, 2003)).

4. La gestion territoriale de l’eau, un gage d’efficacité

environnementale ?

La gestion territoriale de l’eau permet-elle d’accroître l’efficacité environnementale de la

politique de l’eau ? La question de ce travail de recherche porte sur l’articulation entre la construction territoriale et la gestion de l’eau, au prisme de l’efficacité environnementale de cette dernière. A partir des ressources conceptuelles présentées précédemment, un modèle théorique explicatif est construit et les hypothèses de recherche sont précisées.

4.1.Le modèle théorique explicatif d’une gestion territoriale de