Chapitre 2 : La coopération non gouvernementale, un défi à l’efficacité de l’aide au
2.2. L’architecture française de l’aide à l’épreuve de l’efficacité
2.2.2 Des acteurs non institutionnels multipolarisés
A l’instar de l’architecture internationale de l’aide, le dispositif français s’est élargi
depuis quelques décennies à de nombreux acteurs non institutionnels ou non étatiques
pour les raisons que nous avons évoquées plus haut. Qualifiés de « partenaires » et/ou
de « parties prenantes », pour reprendre les formules d’Olivier Charnoz et Jean-Michel
Severino
92, ces nouveaux acteurs se recrutent principalement parmi les fondations
privées, les collectivités locales, les universités et instituts de recherche, et les ONG
93.
Beaucoup moins importante que celle des collectivités locales et des ONG, l’action des
fondations françaises dans le domaine de l’aide au développement reste encore très
limitée. De fait, contrairement aux Etats-Unis et à d’autres pays européens comme la
Suède, le Danemark, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou la Suisse, la France n’est pas
encore un haut lieu de la « philanthropie mondialisée » en dépit d’un environnement
fiscal incitatif
94. La mention de ces acteurs dans le cadre de ce travail est donc à titre
indicatif, étant précisé qu’un regain d’intérêt est noté depuis quelques années sous
l’égide de la Fondation de France
95.
A contrario, les collectivités locales sont devenues des acteurs à part entière de la
coopération au développement française dont la légitimité est reconnue avec le vote de
la loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 re lative à l’administration territoriale de la
République (Loi ATR). Cette loi, qui a été confortée par la suite par une loi-cadre en
1995 et une circulaire interprétative en 2001
96, prend acte, pour ainsi dire, des
« relations d’amitié, de jumelage et de partenariat » qui se développent entre les
communes, départements et régions de France et leurs homologues du monde entier
92
O. CHARNOZ et J-M. SEVERINO, op. cit., p. 53
93
id., p. 53 et ss.
94
« Une philanthropie mondialisée : nouveaux acteurs et nouveaux défis de l’aide au développement en Afrique », Note du centre d’Analyse et de Prévision (CAP) du 23 juillet 2008, Ministère des Affaires étrangères et européennes, p. 13 (document disponible sur le site intranet du MAEE).
95
ibid.
96
C. BOULINEAU, L’Etat et la coopération décentralisée : de la mise en cohérence des actions de coopération, Mémoire de master II professionnel en droit, Faculté de droit et de sciences politiques, Université Lumière Lyon II, 2004-2005, p. 10.
43
depuis les années 1980
97. Ces relations s’adossent à des objectifs allant de la
promotion d’intérêts économiques ou culturels à la solidarité Nord-Sud. Ajoutons que la
France fait figure de pionnière en matière de coopération décentralisée et l’on estime,
s’agissant de l’aide au développement, les efforts des collectivités locales françaises
« à plus de 100 millions d’euros par an, irriguant un stock de 2000 projets dans plus de
70 pays »
98.
Plus modestement, les universités et instituts de recherche français s’invitent aussi
dans la coopération au développement à travers notamment des « partenariats
intellectuels » au service du renforcement des capacités de recherche sur les
problématiques de développement, étant donné que « dans les débats internationaux
qui structurent l’utilisation de l’aide, la capacité d’influence d’un pays est largement liée
à la force de frappe intellectuelle qu’il est capable de mobiliser rapidement »
99. Environ
2,5% de l’APD française est ainsi consacré au monde de la recherche contre 1% de
l’APD mondiale
100.
Mais les nouveaux acteurs les plus nombreux et les plus influents restent de loin les
ONG. Sans revenir sur les longs développements consacrés à cette question dans le
premier chapitre de ce mémoire, rappelons avec Olivier Charnoz et Jean-Michel
Severino, qu’à la différence des fondations qui disposent souvent d’importantes
ressources pour le financement de leurs activités, les OSI sont dans leur grande
majorité à la recherche de fonds pour couvrir les leurs
101. Il s’agit là d’une question
sensible qui peut obérer leur indépendance, obligeant certaines d’entre elles à
diversifier leurs bailleurs de fonds publics et d’autres à privilégier la recherche de fonds
auprès de donateurs privés pour conserver une certaine forme d’indépendance
102.
97
O. CHARNOZ et J-M. SEVERINO, op. cit., p. 55 et ss.
98 id., p. 56. 99 id., p.57 100 id., p. 57 101 id., p.54. 102
A. LECHEVALLIER, J. MOREAU et F. PACQUEMENT, Mieux gérer la mondialisation ? L’aide publique au développement, Paris, éd. Ellipses, Coll. « Transversale Débats », 2007, p. 167.
44
Par ailleurs, les OSI constituent un ensemble hétéroclite dont le MAEE ne fournit
d’ailleurs qu’une liste indicative
103. Leur multitude et l’accroissement continu de leur
nombre ont du reste justifié la création d’un annuaire régulièrement mis à jour sur le site
du Réseau d’information et de documentation pour le développement durable et la
solidarité internationale (RITIMO)
104. Rappelons toutefois que la Coordination SUD,
plateforme nationale des ONG françaises de solidarité internationale fondée en 1984,
porte les positions de ces dernières auprès des pouvoirs publics et constitue à ce titre
un interlocuteur privilégié du MAEE.
En conclusion, on peut retenir, au regard du tableau ci-dessus présenté, que la
multiplicité et la diversité des acteurs non institutionnels ajoutées à l’éclatement des
acteurs institutionnels donnent à l’architecture française d’aide au développement un
visage polycentrique qui remet en cause son efficacité. Selon plusieurs études, cette
architecture gagnerait à être resserrée dans sa composante institutionnelle
105, et les
acteurs de la société civile mieux « associés aux choix stratégiques nationaux » pour un
renforcement de la coordination interne entre acteurs français sur le terrain
106.
Conclusion partielle
L’analyse des « intentions » et des « enjeux » qui gouvernent les activités des acteurs
dans une situation donnée est, selon Alex Mucchielli, l’un des « cadres de référence »
de la sémiotique situationnelle
107. En effet, ces intentions et enjeux forment « une
situation d’arrière-plan » dans laquelle les relations entre les acteurs concernés
prennent leurs significations
108.
A l’aune de ce postulat, les éléments qui viennent d’être analysés dans cette première
partie présentent bien les enjeux pour le Ministère des Affaires étrangères et
103 Voir annexe 10, p. 116. 104 http://www.ritimo.org/H/h1_annuaire_asi.html 105
Assemblée Nationale, op. cit., p. 96.
106
« L’aide publique au développement française : analyse des contributions multilatérales, réflexions et propositions pour une plus grande efficacité », op. cit., p.76.
107
A. MUCCHIELLI, Situation et communication, Paris, éditions OVADIA, 2010, 169 p.
108
45
européennes, d’une part, et les OSI, d’autre part, du développement de la coopération
non gouvernementale. Ces enjeux mettent en évidence l’affirmation des acteurs non
gouvernementaux, et des OSI en particulier, comme nouveaux acteurs incontournables
de l’aide au développement, forts de leur triple statut de bailleurs, de partenaires (pour
la réalisation de projets de développement) et de défenseur/promoteur de la solidarité
internationale. Ils revendiquent un savoir-faire éprouvé et réclament, en conséquence,
une meilleure prise en compte par les acteurs étatiques de leur rôle.
De son côté, le MAEE, tout en admettant l’apport significatif des acteurs non
gouvernementaux dans l’aide au développement, entend conserver sa fonction de
« tour de contrôle » de l’action extérieure de l’Etat. Il se veut le garant de l’efficacité de
l’aide au développement française dans toutes ses déclinaisons et souhaite, dans ce
cadre, voir les OSI contribuer au renforcement de celle-ci sans entamer son rôle de
chef de file de l’APD française.
Ces deux logiques achoppent sur les considérations d’indépendance, d’autonomie
d’action et de droit d’initiative que les OSI considèrent comme étant le fondement de
leur crédibilité. Que fait le MAEE pour concilier ces deux approches et comment peut-il
améliorer sa communication en direction des OSI pour en faire un outil de dialogue et
de sensibilisation au service de l’efficacité de l’aide au développement française ?
Telles sont les questions auxquelles essaiera de répondre la seconde partie de ce
mémoire.
46
DEUXIÈME PARTIE :
LES RÉPONSES DU MAEE À L’ÉMERGENCE DES OSI DANS LA
COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT : ENTRE DIALOGUE
PARTENARIAL ET POLITIQUE DE COMMUNICATION EN
CONSTRUCTION
47
Introduction partielle
Les relations entre les pouvoirs publics et le monde associatif suscitent un intérêt
croissant dans le débat public en France notamment parce que les associations, et plus
particulièrement les ONG, « remplissent une fonction irremplaçable dans la
transposition des problèmes, espoirs ou idéaux privés en projets sociaux identifiés, sur
lesquels les responsables politiques de tout bord peuvent alors prendre position et faire
des propositions. »
109Cette influence grandissante des ONG trouve une traduction
concrète dans la réunion en 2007, sous l’impulsion du collectif d’ONG dénommé
« Alliance pour la planète »
110, du Grenelle de l’environnement qui a débouché sur la
mise en place de tout un arsenal législatif (Grenelles I et II) en matière de politiques de
développement durable et de protection de l’environnement en France.
Qu’en est-il, dans ce contexte, des relations entre le ministère des Affaires étrangères
et européennes et les organisations de solidarité internationale autour de l’articulation
entre coopération non gouvernementale et coopération étatique dans le domaine de
l’aide au développement ?
Cette partie abordera l’étude des forces et faiblesses de ces relations et sera
consacrée, à cette fin, à la vérification des hypothèses énoncées dans l’introduction
générale. Pour rappel, ces hypothèses au nombre de trois sont formulées comme suit :
1- Le MAEE se pose en coordinateur de la coopération au développement
française en développant un dialogue actif avec les OSI.
2- L’absence d’une politique de communication cohérente est préjudiciable à
la mise en synergie des actions de développement des acteurs étatiques et
non étatiques.
109
Luc Ferry et le Conseil d’analyse de la société, La représentation du monde associatif dans le dialogue civil, Rapport au Premier ministre, septembre 2010, p. 2. Disponible sur le site :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics
110
D. BOY, « Le Grenelle de l’environnement : une novation politique ? » in Revue française d’administration publique n° 134/2010, p. 314.