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2. Les composites Carbone/Carbone

2.2. Les matrices carbonées

2.2.2. Densification par infiltration chimique en phase vapeur

Les matériaux carbonés élaborés par voie gazeuse sont issus du craquage thermique d’un ou plusieurs hydrocarbures à la surface d’un substrat. Ils sont qualifiés de pyrolytiques ou de pyrocarbones. Ces carbones peuvent être déposés par CVD (Chemical Vapor Deposition) jusqu’à des températures de plus de 2000°C pour les revêtements de surface [Tombrel 1965]. Dans le cas de la densification par CVI (Chemical Vapor Infiltration) d’une préforme fibreuse (éventuellement consolidée par voie liquide dans le cas d’une densification par voie mixte), les réactions de craquage sont conduites à des températures voisines de 1000°C sous faibles pression (1 à 10 kPa). Ces conditions permettent d’éviter la production de noirs par réactions homogènes et favorisent le transfert de masse ainsi que l’homogénéité du dépôt dans toute la porosité *Delhaès 2002]. Les pyrocarbones intervenant dans la matrice des composites C/C sont dits de « basse température » par

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opposition aux pyrocarbones élaborés à haute température (>1500°C), également appelés pyrographites.

Les précurseurs gazeux peuvent être des alcanes (méthane, propane…), des hydrocarbures insaturés (acétylène, propylène…) ou encore des molécules aromatiques telles que le benzène. Le mécanisme général d’élaboration de la matrice de pyrocarbone repose sur des réactions en phase homogène (décomposition du précurseur et recombinaison) et des réactions de surface en phase hétérogène (formation du dépôt). Au sein du réseau poreux, le transport de matière se fait essentiellement par diffusion (le flux convectif est négligeable, à moins qu’il ne soit forcé). Ce moyen de transport ne permet pas un renouvellement rapide de la phase gazeuse à l’intérieur de la porosité et peut conduire à l’obturation progressive des porosités externes avant la densification complète à cœur du matériau. Aussi, il peut être nécessaire de réaliser un écroûtage de la surface entre chaque cycle de densification (élimination mécanique du dépôt en surface limitant l’accès des gaz vers le cœur de la préforme). Le procédé d’élaboration par CVI est par conséquent relativement long (les cycles peuvent durer plusieurs centaines d’heures à l’échelle de fours industriels) mais permet néanmoins de densifier des pièces de grande taille et d’obtenir un équilibre des caractéristiques thermomécaniques [Thébaut 2006].

 Classification des différents pyrocarbones de basse température

Suivant les conditions de dépôt, la structure et la texture des pyrocarbones déposés peuvent largement évoluer de même que leur densité. Celle-ci peut varier de 1,5-1,8 pour les plus isotropes à plus de 2,1 pour les plus anisotropes. Les différents pyrocarbones sont ici brièvement présentés en relation avec les techniques expérimentales permettant de les dissocier.

Les travaux de M.L. Lieberman et al. [Lieberman 1974], basés sur des observations par microscopie optique en lumière polarisée (MOLP), ont initialement permis de distinguer trois grands types de pyrocarbones ; isotrope, laminaire lisse et laminaire rugueux. En supposant que le dépôt de pyrocarbone présente une géométrie sphérique ou cylindrique autour du substrat et que l’anisotropie est suffisamment élevée, le croisement à 90° de l’analyseur et du polariseur produit une croix d’extinction à quatre branches en forme de croix de Malte (Figure 30). Le dépôt apparait sombre dans le cas où il est isotrope. Le pyrocarbone laminaire lisse présente des croix peu contrastées aux contours bien définis alors que celles-ci sont très contrastées et présentent des contours irréguliers pour les laminaires rugueux (les termes lisse et rugueux renvoient alors directement à l’aspect des contours des croix de Malte). Dans la recherche d’un paramètre plus quantitatif, R.J. Diefendorf et al. [Diefendorf 1972+ introduisirent la notion d’angle d’extinction (Ae),

repris par la suite P. Dupel et al. [Dupel 1995].

Toutefois, la caractérisation des pyrocarbones par MOLP se révèle inadaptée lorsque le dépôt présente une faible épaisseur (< 2µm). Cette limitation est alors problématique dans le cas des interphases de pyrocarbone où l’anisotropie joue pourtant un rôle fondamental dans le comportement mécanique du composite [Trouvat 1996]. Aussi, X. Bourrat et al. [Bourrat 2000] développèrent une nouvelle méthode consistant à mesurer l’ouverture angulaire (OA) des arcs 002 obtenu par diffraction électronique (DEAS). Sur la base de ce paramètre, une nouvelle classification fut proposée par B. Reznik et al. [Reznik 2002+. Ces derniers auteurs parlent d’ailleurs davantage de

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pyrocarbones isotropes, faiblement, moyennement ou hautement texturés, en référence à l’orientation des plans graphitiques au sein du dépôt. La terminologie de pyrocarbone laminaire lisse ou de laminaire rugueux se révèle en effet peu adaptée, voire antinomique, à la description des observations morphologiques présentées à la Figure 31. Les clichés de diffraction électronique associés à ces différents pyrocarbones sont reportés sur cette même figure.

La mise en évidence plus récemment d’un pyrocarbone laminaire régénéré *Bourrat 2002], d’anisotropie équivalente au laminaire rugueux mais à l’aspect et aux propriétés différentes, impliqua d’établir un nouveau moyen de classification à plusieurs entrées. En se basant sur la spectroscopie Raman, X. Bourrat et al. [Bourrat 2006] et J.M. Vallerot et al. [Vallerot 2006] proposèrent alors une nouvelle classification en discriminant deux composantes ; (i) les défauts de structure du réseau graphitique et (ii) l’anisotropie de la texture. L’abscisse du diagramme représente l’anisotropie de la texture, RA, qui varie entre 2,2 pour les pyrocarbones isotropes et plus

de 8 pour les pyrocarbones les plus anisotropes. L’ordonnée disperse les matériaux en fonction de la densité des défauts de réseau déterminée à travers l’exploitation de la largeur à mi-hauteur de la bande D FWHMD. L’ensemble des paramètres permettant de classer les différents pyrocarbones sont

rassemblés dans le Tableau 1. Leur détermination expérimentale sera abordée plus en détails au cours du chapitre 2.

Figure 30 : Illustration des croix de Malte obtenues en lumière polarisée correspondant à des pyrocarbones

anisotropes déposés à la surface de fibres et structures associées observées par MET-HR. [Bourrat 2002].

Tableau 1 : Classification des pyrocarbones de basse température. Adapté de [Vallerot 2004]. Paramètre Laminaire rugueux Laminaire régénéré Laminaire lisse Laminaire sombre Isotrope Ae (°) >18 >16 [12 ; 18] [4 ; 12] <4 OA (°) [20 ; 40] [20 ; 40] [40 ; 90] [80 ; 90] >90 RA >5,5 >5,5 [4 ; 5,5] [4 ; 4,5] <4 FWHMD (cm-1) [80 ; 140] [140 ; 200] [80 ; 200] [80 ; 200] [80 ; 200]

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Figure 31 : Morphologie de surface de différentes matrices de pyrocarbone observées après rupture d’un

composite. (a) pyrocarbone isotrope à faiblement texturé, (b) pyrocarbone laminaire sombre ou faiblement texturé, (c) pyrocarbone laminaire lisse ou moyennement texturé et (d) pyrocarbone laminaire rugueux ou

hautement texturé. D’après *Reznik 2002].

 Structure et mécanisme de formation des principaux pyrocarbones

Depuis les travaux précurseurs de L.F. Coffin [Coffin 1964] et de J.C. Bokros [Bokros 1969], de nombreux auteurs ont cherché à corréler la texture des pyrocarbones à leurs mécanismes de croissance. Ces aspects sont notamment discutés dans différents travaux de synthèse tels que ceux d’A. Oberlin *Oberlin 2002] ou de X. Bourrat [Bourrat 2006]. Trois mécanismes de croissance (de basse température) sont aujourd’hui bien identifiés et il est désormais établi que la maturation du gaz précurseur joue un rôle fondamental dans la microstructure du dépôt [Feron 1999, Lavenac 2001, Le Poche 2005].

Le pyrocarbone laminaire rugueux est fortement anisotrope et se forme pour des temps de séjour très courts. Il est issu d’un mécanisme de croissance hétérogène, les espèces intermédiaires issues de la molécule source sont de petite taille et probablement de type radicalaire. Ce mécanisme impliquerait une chimisorption et une déshydrogénation au cours de la réaction et conduit à la formation d’un réseau de couches droites bien empilées. La quantité de défauts résiduels est faible. Le pyrocarbone laminaire régénéré est également très anisotrope mais le réseau comprend une forte concentration de défauts qui impliquent des distorsions au niveau des couches de graphène. Ce pyrocarbone est formé selon un mécanisme de croissance homogène avec des temps de séjours élevés. La phase gazeuse produit des HAP qui se déposent par physisorption sur la surface de croissance. La faible diffusivité et réactivité de ces molécules expliquerait le « piégeage » de nombreux défauts et d’hydrogène dans le réseau. Les pyrocarbones laminaires sombres et lisses sont quant à eux faiblement anisotropes. Cette chute d’anisotropie peut être reliée à une croissance hétérogène de grandes couches caractérisées par la présence de pentagones et d’heptagones

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[Bourrat 2001, Dong 2002]. Les distorsions résultantes provoquent une porosité structurelle qui fait chuter la valeur de densité en même temps que le degré d’anisotropie. La différence entre ces deux pyrocarbones serait liée à la nature des espèces formées dans la phase gazeuse, contrôlant les mécanismes de croissance.

Tous les pyrocarbones ne présentent pas la même aptitude à la graphitation. Cette dernière dépend essentiellement de la structure lamellaire initiale du pyrocarbone et de la porosité résiduelle [Goma 1986]. Seuls les pyrocarbones de type laminaire rugueux ou laminaire régénéré pourront acquérir une structure proche de celle du graphite après un traitement à haute température [Vallerot 2006+. Les pyrocarbones laminaire lisses ne présentent au mieux qu’une aptitude partielle à la graphitation alors que les pyrocarbones d’anisotropie plus faible n’en présentent aucune *Oberlin 2002].

Par une modélisation à l’échelle atomique, basée sur l’analyse d’images de pyrocarbones obtenues par MET-HR, J.M. Leyssale et al. [Leyssale 2012] apportent de nouveaux éléments concernant la structure de ces matériaux. Ces auteurs montrent un caractère sp2 très prononcé de ces carbones (≈ 97%), formés essentiellement de cycles hexagonaux (≥ 88%), de pentagones et d’heptagones présents dans des proportions similaires (≈ 6%). Ces derniers forment en effet essentiellement des paires pentagone-heptagone ou des lignes de paires entre domaines de cycles hexagonaux désorientés (Figure 32a, 32b). L’association pentagone/heptagone permet de conserver des structures relativement planes. Le déficit en liaisons sp2 dans les pyrocarbones, attribué davantage à une hybridation de type sp2+ que sp3 par J.M. Vallerot et al. [Vallerot 2006], serait en fait essentiellement lié à la présence de cycles non hexagonaux. J.M. Leyssale et al. observent également de nombreuses dislocations vis connectant différents domaines graphéniques alors que les dislocations coins avec des atomes de carbone insaturés sont quasiment inexistantes. Ces modèles sont en outre validés par des analyses par fonctions de distribution de paires (PDF) utilisant la diffraction des neutrons pour déterminer expérimentalement la distribution des distances interatomiques [Weisbecker 2012].

Figure 32 : Feuillets de carbone obtenus par modélisation à l’échelle atomique pour un pyrocarbone laminaire

rugueux (a) avant et (b) après traitement thermique. Les domaines représentés en orange font référence à la présence de défauts, notamment des paires et des lignes de paires pentagone/heptagone. [Leyssale 2012].

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