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C - Le degré d’autonomie des établissements dans la fixation des droits

Dans le cadre du scénario d’augmentation des droits d’inscription, la Cour a analysé la faisabilité et les implications d’une option consistant à conférer aux universités la possibilité de moduler les droits pour les formations menant à un diplôme national. Cette option se situerait dans la perspective d’un renforcement de l’autonomie financière des universités, prolongeant la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), qui avait pour objectif d’offrir aux universités françaises des leviers pour rivaliser sur le plan international avec les meilleures universités, en les dotant d’une nouvelle gouvernance et d’une plus grande autonomie dans l’usage de leurs moyens.

1 - Une possibilité ouverte en droit

Le législateur peut donner compétence à des organismes pour fixer le taux d’une taxe pour les contribuables de leur ressort, entraînant l’application de taux différents selon l’organisme compétent, dans les limites prévues par la loi175.

171 56 % des élèves d’écoles de commerce avaient accès à une aide au stage, contre 26 % des étudiants en L3 ; 65 % avaient accès à une aide à la rédaction de CV, contre 21 % des étudiants en L3 (source : Cereq, enquête Génération 2010).

172 Cereq, « À qui profitent les aides à l'insertion de l'université ? », Céreq Bref, n° 349, 2016, p.1.

173 OVE, « Services et initiatives des établissements à l'usage des étudiants », 2018.

174 MESRI, « Plan étudiants. Accompagner chacun vers la réussite », 30 octobre 2017, p.29.

175 C’est par exemple le cas pour la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (CFE) qui constitue une composante de la taxe pour frais de chambre de commerce et d’industrie (CCI). L’article 1600 du code général des impôts dispose que les CCI de région et la CCI de Mayotte votent chaque année le taux de taxe additionnelle à la CFE applicable dans leur circonscription.

Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que la loi n’a pas à fixer elle-même le taux de chaque impôt. Il appartient seulement au législateur de déterminer les limites à l’intérieur desquelles le pouvoir réglementaire est habilité à déterminer le taux d’une imposition (CC, 2000-442 DC, 28 décembre 2000, cons. 2). De même, le législateur doit déterminer les limites à l’intérieur desquelles un établissement public à caractère administratif est habilité à arrêter le taux d’une imposition établie en vue de pourvoir à ses dépenses (CC, 86-223 DC, 29 décembre 1986, cons. 11 ; CC, 87-239 DC, 30 décembre 1987, cons. 4), car il ne peut déléguer la compétence pour fixer le taux d’une imposition sans encadrer les marges de fixation de ce taux.

Ainsi, si la nature juridique des droits devait être assimilée à celle d’une taxe, la loi pourrait décider que les montants des droits d’inscription soient fixés à l’intérieur d’une fourchette. Dès lors, le législateur confierait aux universités la compétence de fixer les droits, dans la limite d’un seuil et d’un plafond forfaitaires. D’autres solutions sont envisageables, comme d’asseoir le niveau des droits sur un pourcentage des coûts de formation ou de subvention publique.

2 - Une étape supplémentaire de l’autonomie financière des universités

Par comparaison avec les universités européennes, les établissements français restent parmi les moins autonomes, dans les domaines académique, organisationnel et financier176. En 2015, dans son rapport sur l’autonomie financière des universités, la Cour recommandait d’approfondir leur autonomie dans deux domaines (la gestion des ressources humaines et celle du patrimoine immobilier) et de faire du contrat pluriannuel le cadre de l’allocation globale des moyens.

En Europe, les modèles de fixation des droits sont divers au regard du degré d’autonomie des universités dans ce domaine. Il n’existe qu’une minorité de systèmes d’enseignement supérieur dans lesquels les universités peuvent fixer elles-mêmes et librement le niveau des droits pour les étudiants nationaux. Dans certains pays, comme l’Angleterre pour le niveau licence, un plafond est fixé par les pouvoirs publics, en-deçà duquel les universités sont libres de fixer le niveau des droits.

L’introduction, en France, d’une possibilité pour les universités de fixer les droits d’inscription dans les limites d’un plafond fixé au plan national pourrait présenter plusieurs avantages.

Elle permettrait une adaptation du montant des droits au contexte spécifique de chaque établissement, en termes d’insertion professionnelle, de coût des formations et de profil des étudiants, y compris dans le cadre de l’expérimentation à venir de nouveaux modes d’organisation pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche participant à un regroupement177. Les pratiques en matière de diplômes d’université illustrent déjà cette voie.

176 Voir le baromètre 2017 de l’autonomie des universités de l’EUA (European University Association) :

« University Autonomy in Europe III - The Scorecard 2017 ». Ce baromètre place la France au 20ème rang en matière d’autonomie organisationnelle, au 24ème rang en matière d’autonomie financière et au 27ème rang en matière d’autonomie RH et d’autonomie pédagogique, sur les 29 pays classés.

177 L’article 52 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures qui permettront l’expérimentation de nouveaux modes d’organisation pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche participant à un regroupement.

Une autonomie accrue des universités pour la fixation des droits pourrait constituer le complément naturel de l’accréditation des établissements instituée par la loi du 22 juillet 2013, dont l’objectif était de donner plus de latitude aux établissements pour mener la politique de formation178. Elle pourrait contribuer à renforcer l’efficience de la gestion des établissements en constituant une incitation à la rationalisation de l’offre de formation, recommandée par la Cour dans son rapport de 2015.

Les tenants de l’autonomie en matière de fixation des droits considèrent également qu’elle permettrait de leur conférer un rôle de « signal prix » quant à la qualité des formations, mesurée également par les indicateurs d’insertion professionnelle et de réussite académique.

Le surcroît de ressources propres généré pourrait être mobilisé au service d’objectifs concrets d’amélioration de la formation et des services aux étudiants, qui seraient précisés dans le cadre du contrat pluriannuel avec l’État. Un besoin en financement calculé pour chaque université et par elle-même présenterait par ailleurs l’avantage de ne pas aligner les droits sur un hypothétique besoin de financement national.

Enfin, la fixation d’un seuil et d’un plafond au niveau national permettrait de maintenir une harmonisation minimale des droits d’inscription, les universités restant libres de fixer des droits de scolarité à l’intérieur de cette fourchette.

3 - Une hypothèse exigeante

Le choix de l’autonomie des universités en matière de fixation des droits d’inscription nécessiterait un certain nombre de prérequis exigeants.

En premier lieu, cette mesure impliquerait l’adoption d’un nouveau texte législatif.

En outre, la fixation par chaque établissement de ses propres niveaux de droits nécessiterait la prise en compte de nombreux paramètres tels que l’origine sociale des étudiants, le coût réel des formations ou le niveau d’insertion propre à chaque diplôme. Ces opérations imposeraient aux universités de connaître précisément ces deux derniers types d’information, ce qui n’est pas encore entièrement le cas aujourd’hui179. L’activité des services financiers des établissements serait rendue plus complexe par le calcul de nombreux montants de droits pour les diplômes nationaux et par les tâches de recouvrement.

Par ailleurs, la différenciation des droits au niveau territorial imposerait de redéfinir les modalités de soutien financier aux étudiants. Elle pourrait impliquer une révision du dispositif des aides directes, dans le sens d’une délégation de la gestion des bourses au niveau local, que ce soit au niveau des universités ou au niveau des régions, qui gèrent déjà actuellement certaines aides aux étudiants. La différenciation des droits d’inscription au niveau territorial pourrait également remettre en cause le cadre national des formations en accentuant la polarisation de

178 L’État accrédite désormais les établissements d’enseignement supérieur à délivrer des diplômes nationaux (article L. 613-1 du code de l’éducation). Il appartient ensuite aux instances des établissements d’adopter le contenu des programmes et de définir les modes d’évaluation des performances. La procédure d’accréditation est mise en place progressivement, par vague contractuelle. Elle a jusqu’à présent concerné trois vagues contractuelles : la vague E (2015-2019), la vague A (2016-2020) et la vague B (2017-2021).

179 Voir l’annexe n° 12.

l’enseignement supérieur et pourrait soulever une question d’équité entre étudiants, les étudiants issus des classes populaires étant moins mobiles sur le plan géographique que la moyenne des étudiants180.

Enfin, selon les représentants des universités, l’autonomie des établissements dans la fixation des droits pourrait soulever la question des modalités d’allocation des moyens des universités, voire d’une éventuelle péréquation dans l’hypothèse d’une trop forte différenciation des recettes entre établissements. Cette compensation pourrait prendre la forme soit d’un reversement entre universités des recettes complémentaires tirées des droits (péréquation

« horizontale »), soit d’une modulation du financement budgétaire selon les établissements (péréquation « verticale »).

Cependant, une péréquation « horizontale » des moyens irait à l’encontre du principe d’autonomie des établissements et de l’objectif de dégager des recettes supplémentaires à leur profit. Quant à la péréquation « verticale », elle n’aurait de sens que dans le cas d’un fort écart entre le plancher et le plafond des montants de droits.

Au total, l’approfondissement de la notion d’autonomie des universités permettrait de mettre en œuvre une politique des droits d’inscription adaptée aux besoins de chaque université et de ses étudiants, mais supposerait des prérequis importants pour les universités, ainsi que pour la tutelle en termes de pilotage, d’accompagnement, de financement et d’évaluation de ses opérateurs.

___________________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________________

Les modèles étrangers ne fournissent pas d’indication claire sur le niveau optimal des droits d’inscription à l’université, notamment en raison de la diversité des modes d’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche selon les États. Le niveau des droits est étroitement dépendant du modèle d’enseignement supérieur existant et des pratiques admises dans chaque État en termes de financement des études.

Alors que l’ensemble des acteurs mettent en avant le « sous-financement de l’enseignement supérieur français », et particulièrement des universités, les droits d’inscription peuvent sembler, de prime abord, le levier le plus direct à utiliser pour augmenter les ressources des universités.

Le scénario d’un relèvement nécessiterait en premier lieu que la base légale des droits soit redéfinie et que le besoin de financement soit mieux établi, dans son calcul et sa répartition, ce qui suppose au préalable que les mesures d’efficience dans la gestion des établissements soient mises en œuvre.

L’hypothèse d’un relèvement des droits devrait également tenir compte de plusieurs contraintes.

180 Voir sur ce point la note d’analyse n° 36 de France Stratégie de novembre 2015 « La géographie de l’ascension sociale ».

En raison d’un niveau de départ très faible, les droits d’inscription ne pourraient représenter un levier de financement significatif qu’à condition d’accroître leur montant substantiellement, selon les hypothèses de modulation présentées ci-dessus et en appuyant les modulations sur des fondement objectifs tels que les perspectives d’insertion professionnelle.

Cette perspective reste toutefois contrainte par le principe juridique d’égal accès à l’enseignement supérieur.

Par ailleurs, les droits d’inscription ne peuvent être considérés uniquement sous l’angle des ressources propres des établissements. Leur niveau participe à l’équilibre d’autres circuits financiers (aides directes aux étudiants, compensation des exonérations par l’État, montant de la garantie par l’État des prêts étudiants, niveau de la subvention pour charges de service public) et influe sur l’arbitrage des étudiants entre études et activité rémunérée.

L’hypothèse consistant à faire porter l’augmentation des droits en priorité sur les étudiants étrangers rencontre des limites comparables, auxquelles s’ajoute la dimension d’attraction internationale de l’enseignement supérieur français.

Il resterait encore à établir quel serait le meilleur niveau administratif pour fixer les droits d’inscription, l’échelon central ou les universités dans le cadre d’un renforcement de leur autonomie.

L’usage éventuel des droits d’inscription nationaux comme levier de financement des universités modifierait une approche héritée de l’après-guerre et ne devrait intervenir qu’au terme d’une réflexion sur les priorités de l’enseignement supérieur. Ce n’est que dans la mesure où ils se traduiraient par une amélioration substantielle des services aux étudiants que les droits pourraient faire l’objet d’une réévaluation.

Au vu de ces constats, et dans l’hypothèse où un relèvement des droits d’inscription universitaires serait retenu, la Cour formule les recommandations suivantes :

5. (MESRI et autres ministères exerçant la tutelle d’établissements d’enseignement supérieur public) : moduler la hausse des droits en fonction des cycles universitaires, en faisant porter la différenciation en priorité sur le cycle master ;

6. (MESRI et autres ministères exerçant la tutelle d’établissements d’enseignement supérieur public) : établir un cadre juridique permettant de sécuriser la fixation des droits d’inscription ;

7. (Universités, MESRI) : renforcer substantiellement, dans le cadre de la démarche contractuelle rénovée avec l’État, l’engagement des établissements à améliorer les services rendus aux étudiants ;

8. (MESRI) : mettre en place un nouvel échelon zéro de bourses sur critères sociaux ouvrant droit uniquement à une exonération des droits d’inscription ;

9. (Bpifrance, Ministère de l’économie et des finances, MESRI) : procéder à une évaluation financière et d’impact socio-économique du dispositif de prêts étudiants garantis par l’État afin de déterminer l’opportunité de son extension.

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