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MOYEN ANCIEN

2. LES DEBUTS DU PALEOLITHIQUE MOYEN : ETAT DE LA QUESTION

La question de la « transition » entre Paléolithique inférieur et moyen concerne une période temporellement très longue (généralement entre les stades isotopiques 9 et 6) et la vaste zone géographique concernée renferme de nombreux particularismes régionaux. Cependant, les transformations dans les industries lithiques sont perceptibles à peu près au même moment en divers endroits. L’un des éléments phare est l’émergence de concepts de taille prédéterminés11, comme le Levallois, qui apparaissent autour de 350 ka en Europe (PICIN et al., 2013 ; PERETTO et al., 2016 ; PICIN, 2017 ; SORIANO ET VILLA, 2017), dans le Caucase (ADLER et al., 2014), au Proche-Orient (WENSTEIN-EVRON et al., 2012), en Inde (JAMES ET PETRAGLIA, 2009 ; AKHILESH et al., 2018) et en Afrique avec le Middle Stone Age (TRYON, 2006 ; BROOKS et al., 2018). Associée à l’avènement des débitages préparés, la diminution/disparition de la production bifaciale apparaît comme un des éléments clés.

Si l’idée d’un remplacement des traditions à bifaces par des traditions à débitages d’éclats préparés semble acquise, nous verrons que lorsque l’on se situe à une échelle plus régionale, les industries de cette période apparaissent comme beaucoup plus complexes et diversifiées.

De nombreuses questions sont ainsi associées à cette problématique :

- L’invention/innovation que constitue le débitage Levallois est-elle l’unique élément caractérisant l’émergence du Paléolithique moyen ?

- Les nouvelles traditions techniques sont-elles le résultat de convergences techniques et donc d’inventions indépendantes géographiquement ?

- Ou bien sont-elles le reflet d’une diffusion des idées/populations ?

- Quels sont les processus de changements et quels facteurs peuvent les expliquer ?

2.1. LES DONNEES DU REGISTRE ARCHEOLOGIQUE : ESSAI

DE SYNTHESE

Par rapport à la zone d’étude (le Sud de la France), cette synthèse sera focalisée principalement sur l’Europe de l’Ouest. On connait aujourd’hui plus de 250 assemblages lithiques12 en Europe compris entre les stades isotopiques 9 et 6 (MIS), dont plusieurs sites multi-stratifiés. De nombreuses appellations sont utilisées dans la littérature, rattachant les sites au Paléolithique inférieur, à une phase de transition ou au Paléolithique moyen ancien, surtout en fonction des caractéristiques techno-typologiques des assemblages.

11 Dans la littérature anglo-saxonne on parle de Prepared Core Technology (PCT).

2.1.1. Les données du Sud de l’Europe

2.1.1.1. La moitié Sud de la France

Le Sud-Est

Si les sites du Paléolithique moyen ancien sont plutôt rares dans le Sud-Est de la France, ces derniers ont livré de longues séquences avec plusieurs occupations. Il s’agit exclusivement de sites en grotte. Les sites sont chaque fois isolés, à l’exception des gisements d’Ardèche.

On retrouve au MIS 9 et au début du MIS 8 les plus anciennes occupations du Paléolithique moyen ancien à Orgnac 3, en Ardèche (Orgnac-l’Aven ; COMBIER, 1967 ; MONCEL, 1999 ; MICHEL et al., 2013). Au fil de la stratigraphie, on voit l’apparition du débitage Levallois (d’abord récurrent puis linéal dans le niveau 1) et sa supplantation des autres modes de débitage, associée à un nombre décroissant de bifaces. Les pratiques de chasse semblent elles aussi se standardiser au cours de la séquence (MOIGNE et MONCEL, 2005).

Toujours en Ardèche, le site de Payre (Rompon ; MONCEL et al., 1993 ; MONCEL

(DIR.), 2008 ; BAENA et al., 2017) a livré plusieurs occupations entre les MIS 8/7 et 6 (GRÜN

et al., 2008). Le débitage est Discoïde et orthogonal et quelques pièces bifaciales ont également été mises au jour (Fig. 4).

A Saint-Martin-d’Ardèche, la grotte du Ranc Pointu n°2 a livré une occupation datée du MIS 6 montrant l’occupation des gorges de l’Ardèche dès cette date (MONCEL et al., 2014). Le débitage y est Levallois récurrent et un biface a été exhumé dans les couches « c ».

A noter que le site d’Andance (Saint-Bauzile), localisé à moins de vingt kilomètres de Payre, ferait office de charnière entre Paléolithique moyen ancien et récent et serait daté antérieurement au MIS 5 (BERNARD-GUELLE et al., 2011). Le débitage est Discoïde et quelques pièces bifaciales ont été mises au jour. Le débitage Levallois est attesté en tant que débitage secondaire.

Le site de la Baume-Bonne (Quinson ; GAGNEPAIN et GAILLARD, 2003), a livré principalement des séries du Paléolithique moyen ancien et inférieur. Des assemblages à débitage Levallois seraient également présents à la fin du MIS 8, associés à des débitages algorithmiques (S.S.D.A.), des bifaces et à une production ramifiée (NOTTER, 2007 ; GAGNEPAIN et GAILLARD, 2003). Les matières premières sont essentiellement locales et constituées de silex. Toutefois, des matériaux allochtones distants d’une cinquantaine de kilomètres sont employés sporadiquement dès la fin du MIS 8 (en lien avec l’apparition du débitage Levallois). Leur fréquence devient plus importante au cours de la seconde moitié du MIS 6 (GAGNEPAIN et GAILLARD, 2003). Dans cette seconde partie du MIS 6, le débitage Levallois est alors pleinement employé (Levallois récurrent unipolaire).

Figure 4 – Matériel lithique de la couche Ga de Payre. Numérotation en noir, nucléus : 1, 4 et 5 sur éclat ; 2 et

3 Discoïde. Numérotation en gris, outils : 6 à 11 divers racloirs ; 12 bec (Photos : MONCEL (DIR.), 2008 ; Dessins : J.-G. Marcillaud in MONCEL, 2008).

Au MIS 7, dans le Vaucluse, les niveaux inférieur de la grotte du Bau de l’Aubesier (Monieux ; CARMIGNANI et al., 2017) montrent l’utilisation d’un débitage Levallois récurrent centripète et d’un débitage Laminaire volumétrique, dans ce cas sans pièces bifaciales.

La grotte de la Caune de l’Arago (Tautavel ; MATZANAS, 1995 ; DURAN, 2002), surtout connue pour ses occupations acheuléennes, a également livré des assemblages du MIS 7/6, entre 230 et 100 ka, au sommet de la séquence (FALGUERES et al., 2004). L’industrie est piégée dans des petites dépressions entre les planchers stalagmitiques. Le Levallois est présent mais il est faiblement utilisé (MATZANAS, 1995).

Les niveaux médians de la grotte d’Aldène, dans l’Hérault, font partie des rares occupations anciennes de la région (Cesseras ; ROSSONI-NOTTER et al., 2016a). Une séquence datée des MIS 13 à 5 a été mise au jour (FALGUERES et al., 1991). A partir du MIS 9, les assemblages se transforment avec une augmentation du nombre de bifaces et l’apparition du débitage Levallois. Ces tendances s’accroissent aux MIS 8/7, la part du débitage Levallois restant toutefois faible. Les auteurs qualifient ces industries d’acheuléennes. Enfin, un Moustérien est présent au MIS 6, associé à un débitage Levallois laminaire (ROSSONI-NOTTER

Dans la grotte du Lazaret, dans les Alpes-Maritimes (Nice ; LUMLEY et al., 2004), des assemblages lithiques datés du MIS 6 ont été mis au jour. Le façonnage bifacial sur calcaire y est prépondérant (VIALLET, 2016) et associé à un débitage Levallois sur matériaux siliceux (Fig. 5) L’approvisionnement en matières premières est majoritairement local. Toutefois, des silex des conglomérats éocènes de Ciotti, distants de 25 kilomètres, ont été utilisés. Les distances d’approvisionnement se distinguent de celles que l’on connait traditionnellement pour les autres sites de cette période puisque du jaspe de Ligurie est présent, attestant d’un déplacement d’au moins 120 kilomètres (LUMLEY (Dir.), 2004 ; CAUCHE, 2012 – Fig. 5, n°5).

La séquence de la grotte du Lazaret enregistre le passage de niveaux attribués à de l’Acheuléen supérieur riche en bifaces (LUMLEY (Dir.), 2004) à un Pré-moustérien sans bifaces dans les niveaux sommitaux (DARLAS, 1986). La disparition des bifaces est datée aux alentours de 120 ka (MICHEL et al., 2011). La présence très importante du cerf dans tous les niveaux et les nombreuses traces d’actions anthropiques associées (stries de découpe notamment) semblent indiquer une chasse préférentiellement orientée vers ce taxon (VALENSI, 1994).

La grotte de Rigabe (Artigues, Var), a également livré des assemblages attribués au « Prémoustérien », qui seraient datés du MIS 6 (ESCALON DE FONTON et LUMLEY, 1960 ; BONIFAY, 1965).

Figure 5 – Matériel lithique de

l'UA 27 du Lazaret. Biface, chopper, nucléus Levallois et

pièces retouchées (CAUCHE, 2012).