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Synthèse sur l’Europe centrale

2.2. Q UOI DE NEUF AU PALEOLITHIQUE MOYEN ?

2.2.1. Le concept Levallois

2.2.1.1. Modalités d’apparition du débitage Levallois en

Europe

Figure 24 – Sites où l'emploi du débitage Levallois est notablement attesté en Europe entre les MIS 11 et 8/7.

Le débitage Levallois apparaît un peu partout en Europe à des moments différents. On retrouve les premières manifestations de ce concept autour de 350-300 ka (VILLA, 2009 ; Fig. 24). D’après les données disponibles, il semble principalement se développer à partir des industries présentes localement. Ainsi, en Europe du Nord-Ouest, on considère qu’il apparaît sur un substrat de débitages simples unipolaires de type S.S.D.A., communs aux sites du Nord de l’Europe (WHITE et ASHTON, 2003 ; PICIN, 2017). Ces conceptions unipolaires seraient à l’origine des méthodes Levallois récurrentes mais aussi linéales (PICIN, 2017). En Angleterre,

le débitage Levallois apparaît très tôt, au MIS 11 à Rickson’s Pit (Swanscombe ; WHITE et al., 2011) ou au MIS 9 à Botany Pit (Purfleet ; WHITE et ASHTON, 2003).

En France, à Orgnac 3, le débitage Levallois apparaît graduellement au fil de la stratigraphie pour s’exprimer pleinement dans le niveau 1 (MONCEL, 1999 ; MONCEL et al., 2011). Cet exemple est également en faveur d’un développement local des débitages Levallois. Une évolution locale est aussi envisagée au MIS 8 pour la séquence d’Achenheim, en Alsace (JUNKMANSS, 1991, 1995). En Italie, à Sedia del Diavolo et Monte delle Gioie, une introduction du débitage Levallois depuis l’extérieur, ayant ensuite été intégré par les groupes humains, a été à l’inverse considérée (SORIANO et VILLA, 2017).

Ainsi, le débitage Levallois a pu apparaître indépendamment et en plusieurs points en Europe autour de 300 ka.

2.2.1.2. Les débitages Levallois hors d’Europe

Aux portes de l’Europe, le concept Levallois (sous ses formes récurrentes et linéales) est utilisé dans le Caucase sur le site de Nor Geghi 1 au MIS 9 (ADLER et al., 2014). Des bifaces et de nombreux racloirs ont aussi été mis au jour.

Le développement des Prepared Core Technologies en Inde a été interprété comme un développement graduel à partir du substrat acheuléen local19 (JAMES et PETRAGLIA, 2009 ; SHIPTON et al., 2013 ; AKHILESH et al., 2018). On passe alors d’industries acheuléennes à bifaces majoritairement réalisées en méta-quartzites à des industries du Paléolithique moyen associées au débitage d’éclats (PCT), à racloirs et pointes et réalisées sur chert. Quelques petits bifaces subsistent (PETRAGLIA et al., 2003).

Un débitage Levallois ancien à Attirampakkam a été récemment publié (AKHILESH et al., 2018). Plusieurs niveaux sont ainsi attribués pas les auteurs au Paléolithique moyen ancien, le plus vieux – le niveau 5 – ayant été daté par luminescence à 385±64 ka. L’industrie, en quartzite local, comprend des nucléus Levallois récurrents et préférentiels, des nucléus laminaires ainsi que quelques bifaces associés à des Large Flakes. Certains bifaces présentent des négatifs d’enlèvements envahissants, d’où l’hypothèse des auteurs d’une origine du débitage Levallois au sein des systèmes de façonnage bifaciaux (AKHILESH et al., 2018).

En Afrique et au Maghreb, au cours de la transition Early Stone Age/Middle Stone Age, on assiste à un remplacement des bifaces par des éclats et des lames produits par différentes méthodes hiérarchisées, majoritairement Levallois (TRYON et al., 2005).

Le débitage Levallois s’est apparemment développé à partir du substrat technique acheuléen. Certains auteurs voient ainsi un lien de conception entre la production de hachereaux et le débitage Levallois, de par la prédétermination que chacun implique (TRYON, 2006). Les éclats Levallois sont également utilisés comme supports pour les hachereaux (TIXIER, 1957 ; ALIMEN et ZUATEY ZUBER, 1978 ; CLARK, 2001).

L’utilisation de débitages tendant vers le Levallois au sein d’industries acheuléennes est attesté à Sidi-Abderrhamane-Extension (DEBENATH et al., 1984a ; RAYNAL et al., 2005). Toujours au Maroc, le site de Cap Chatelier montre que le débitage Levallois linéal est présent dans une série de l’Acheuléen supérieur, datée au moins à 370 ka. Il est associé à un

19 Des PCT ont été retrouvées occasionnellement dans les assemblages acheuléens, par exemple à Bhimbetka FIII-23 (MISRA, 1978) d’où cette hypothèse de développement du Paléolithique moyen d’après un substrat local.

débitage Discoïde, des bifaces et quelques rares hachereaux (DEBENATH et al., 1984b). Une industrie clairement dominée par le Levallois a été récemment re-datée de 315±34 ka à Jebel Irhoud (RICHTER et al., 2017).

Au Proche-Orient, le débitage Levallois apparait autour de 250 ka. On peut noter son utilisation dans la grotte effondrée de Misliya (Israël), où une riche séquence attribuée à du Moustérien et de l’Acheuléo-Yabroudien a été dégagée (WENSTEIN-EVRON et al., 2012).

2.2.1.3. Les hypothèses liées à l’invention/la diffusion des débitages

Levallois : invention locale versus diffusion par migration

Concernant l’apparition du débitage Levallois en Europe ou en Asie, deux hypothèses ont été avancées : une diffusion depuis l’Afrique ou une invention sur place depuis les substrats techniques locaux.

A la fin des années 1990, certains chercheurs ont pensé que la multiplication de l’usage du débitage Levallois en Europe était associée à l’expansion d’Homo sapiens archaïques hors d’Afrique (FOLEY et LAHR, 1997). Ainsi, la technique Levallois aurait été associée à une espèce humaine particulière. Cette hypothèse impliquait une rupture dans les assemblages lithiques et une apparition « brutale » et non pas graduelle du concept Levallois.

On a tendance aujourd’hui à considérer la seconde hypothèse, avec une apparition des débitages Levallois en mosaïque à partir d’industries locales (ROLLAND, 1995 ; TUFFREAU, 1995 ; PETRAGLIA et al., 2006 ; ADLER et al., 2014). Le débitage Levallois a ainsi pu apparaître plusieurs fois (invention) et disparaître (absence de phase d’innovation, e.g. propagation de l’invention et adoption par tous les groupes). Le modèle de convergence technique apparaît comme le plus probable en l’état des connaissances (BORDES, 1971a ; OTTE, 1995 ; VILLA, 2001). Si N. Rolland (1995) voyait deux foyers d’innovation, à savoir l’Afrique et l’Europe, il est en réalité possible que plus de foyers existent sur chacun des continents.

L’invention du débitage Levallois à partir du façonnage bifacial a également été envisagée (BREUIL ET KEELEY, 1956 ; BORDES, 1961 ; DEGORCE, 1992 ; LAMOTTE, 1992 TUFFREAU, 1995 ; DE BONOET GOREN-INBAR, 2001 ; LAUNAYET MOLINES, 2005 ; LAMOTTE

et TUFFREAU, 2016 ; AKHILESH et al., 2018). Breuil et Keeley ont ainsi noté des grands enlèvements depuis la base ou un bord latéral du biface à Cagny-la-Garenne dans la collection d’A. Vayson de Pradenne (BREUIL et KEELEY, 1956 ; Fig. 25). D’après cette hypothèse, il existerait un lien évolutif entre le façonnage bifacial et le débitage Levallois. Toutefois, ce lien n’est pas démontré partout, à l’instar d’Orgnac 3 (MONCEL et al., 2011).

Figure 25 – Bifaces de Cagny-la-Garenne issus de la collection d’A. Vayson de Pradenne. A : détachement

d’un grand éclat depuis un « talon à deux facette » depuis la base ; B : détachement d’un grand éclat depuis un « talon à facettes » depuis un bord (BREUIL et KEELEY, 1956).

Pour les sites du Middle Stone Age, c’est le lien avec les hachereaux qui a été envisagé (voir supra, TIXIER, 1957 ; ALIMEN et ZUATEY ZUBER, 1978). Une utilisation sporadique du débitage Levallois dès l’Acheuléen en Afrique à des périodes relativement anciennes et les données du registre archéologique vont vers un schéma d’apparition/disparition d’une invention au cours du temps long.