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DE L’INSTRUCTION POPULAIRE ET DES ÉCOLES NORMALES

Dans le document Vocation: régent, institutrice - RERO DOC (Page 58-65)

EN SUISSE ROMANDE AU 19

E

SIÈCLE

Le Québecois Magnan (1909), en tournée prospective en Europe, note qu’en Suisse, une grande latitude est laissée aux cantons quant à l’organisation de leur école publique, obligatoire et gratuite : « Le gouvernement de la Confédération n’intervient pas dans l’organisation de l’enseignement primaire. Plusieurs tentatives ont bien été faites dans ce sens, mais jusqu’ici les cantons se sont montrés jaloux de leur autonomie »(p. 177). Mais il relève l’univocité qui s’élève autour de la question morale à l’école, dans les cantons catholiques comme dans les régions protestantes : « Dans leurs revues et dans leurs livres, les auteurs suisses sont unanimes à admettre que l’éducation morale est plus importante que l’éducation intellectuelle […]. La presque totalité des instituteurs et professeurs suisses croient en la valeur unique de

la religion au point de vue de l’éducation morale. D’accord avec cette judicieuse théorie, tous les cantons facilitent l’enseignement religieux ». Et de citer les exemples de Fribourg où l’enseignement religieux est obligatoire, de Genève où, facultatif, il est donné par les ecclésiastiques des deux cultes et celui de Lucerne où « nous avons vu l’image du Christ dans toutes les écoles » (p. 182).

En 1922, Savary dresse un bilan de la formation du corps enseignant primaire en Suisse généralement confiée aux Écoles normales. Il relève l’exception de deux cantons presque exclusivement citadins : Bâle, catholique, et Genève, protestant, exigent de leurs futurs enseignants baccalauréat et diplôme de maturité.

L

E PARI DE LA CULTURE GÉNÉRALE

:

L

EXEMPLE DE

G

ENÈVE Hofstetter (1994, 1995, 1998) relève l’importance que revêt l’instruction populaire pour les élites dirigeantes genevoises. L'école du début du 19e siècle y

endosse un aspect certain d’instrument d’ « éducation morale solidement corsetée par des valeurs utilitaires »(1995, p. 158) au service d’un dualisme social. L’adoption de la démocratie et des perspectives égalisatrices ainsi générées la questionnent sans cesse. L’instruction publique est devenu un droit et un devoir pour le nouveau citoyen-souverain. L'État se veut enseignant et éducateur. Les pouvoirs publics, privés et spirituels se combattent et rivalisent sur le terrain des écoles. L’État lutte contre l’Église catholique, dont l’importance croît en nombre notamment avec l’annexion des nouveaux territoires au début du 19e siècle, puis contre l’Église protestante,

jalouse de ses prérogatives traditionnelles. Appuyée par les philanthropes, l’institution religieuse se porte garante de la moralité du peuple et de son salut par le savoir. L’État, lui, veut responsabiliser le futur citoyen selon sa condition. Il différencie les filières en miroir de la stratification sociale. A l’issue de ces luttes de pouvoir, l’école est laïcisée et la liberté religieuse maintenue. Mais le maintien de l’ordre social issu des siècles passés, embaumé par un esprit de bienfaisance, est confirmé, tout en s’ajustant aux nouvelles priorités de la société en voie d’industrialisation : la pauvreté, nécessaire à l’équilibre social, ne saurait être combattue. A chacun de recevoir selon sa naissance, sans espoir d’amélioration pour les défavorisés et dans la crainte du déclassement pour les nantis. A l’école populaire revient l’édification de citoyens utiles pour le peuple dans des valeurs de modestie. L’idéal de la vie laborieuse, d’amour du travail, le respect de l’ordre et de l’économie sont exaltés. L’école des notables initie les futures élites à leurs responsabilités citoyennes, sociales et philanthropiques.

La doctrine scolaire, pour Hutmacher (1981), comporte explicitement des éléments de contrôle moral et religieux des familles par l’intermédiaire des enfants scolarisés : les représentations et orientations normatives, issues de l’ethos protestant du travail comme voie privilégiée vers le salut dans l’au-delà, sont appuyées. Les débats parlementaires sur les principes fondamentaux de l’organisation de l’école (Mordapour, 1981), enjeu majeur de l’État au 19e siècle et au début du 20e, en sont

l’exacte transposition. Formellement fondée sur les principes démocratiques de l’égalité des individus et sur le respect de leurs droits, « l’éducation ne peut être que libérale » (Dottrens,1933, p. 59) : c’est un choix politique que l’État de Genève va mettre en œuvre, y compris dans sa politique en matière de formation des enseignants. Amour des enfants, mais aussi sens de sa mission sociale : la valeur morale personnelle du maître et son exigence dirigent la sélection des instituteurs dès leur entrée dans la profession.

L’État genevois n’organise guère de formation spécifique pour ses futurs enseignants : aucune École normale, « université du pauvreet du campagnard » (Savary, 1922, p. 189), n’est mise en place au début du 19e, même si, parfois,

quelques voix s’élèvent pour en réclamer. Jusqu’en 1835, aucun règlement ne prévoit de mode de formation pour les instituteurs. Ils sont « appelés soit par examen, soit par élection » (Dottrens, 1933, p. 40). A partir de 1836, ceux qui peuvent s’élever dans la carrière scolaire secondent leurs maîtres en tant qu’ « élèves-régents » ou « aides-régents » dès l’âge de 14 ans. Ils y sont appelés soit pour leurs capacités, soit pour leur zèle. Les connaissances exigées sont moindres que celles que doivent démontrer les régents entrés en fonction dès l’âge de 20 ans ; leur salaire est diminué en conséquence. Régulièrement surveillés par l’Inspecteur, les élèves-régents sont soumis à des examens réguliers et doivent démontrer l’instruction qu’ils ont acquise en autodidactes. Dès 1872, c’est un passage obligé pour pouvoir se présenter aux examens donnant le titre de régent, « garantie donnée aux jeunes gens se destinant à l’enseignement, le recrutement se limite « aux personnes ayant fait un apprentissage » (Dottrens, 1933, p. 50).

Les futurs instituteurs sont donc formés selon un principe original : l’État de Genève avance le pari qu’une bonne culture générale, non spécifique au métier, permettra d’accéder au métier d’enseignant. Le monde politique n’estime pas nécessaire de maîtriser globalement la formation des enseignants qui n’est ainsi pas institutionnalisée. Le principe des filières est donc établi. Cette formation initiale, nécessaire avant d’entrer en apprentissage sur le terrain, est dispensée dans l’une des deux sections pédagogiques, classiques ou non, créées au gymnase et réservées aux jeunes gens. Les jeunes filles se forment, elles, à la section pédagogique de leur école secondaire et supérieure créée en 1886. L’apprentissage, effectué en stage et placé sous la responsabilité des inspecteurs, dure un an au moins, deux ans au plus. Il est sanctionné par un examen. En 1923, la section pédagogique du collège est supprimée. La formation des instituteurs ressortit dès lors exclusivement à l’enseignement supérieur. Tous les candidats à l’enseignement doivent dès lors avoir achevé leurs études secondaires. Un nouveau règlement (1927) concernant les études pédagogiques, où les jeunes gens et jeunes filles sont admis sur concours, est instauré.

La mesure de l’exigence posée pour l’entrée dans le métier au 19e siècle et

dans les premières décennies du 20e siècle est ici définie : une formation générale

élevée jusque vers 17 ans – la même que pour ceux qui se destinent aux professions libérales – est exigée (Savary, 1922). Dans l’intention du moins, seuls les jeunes gens issus d’études secondaires ont accès à la charge de l’enseignement primaire, au contraire des autres cantons ou d’autres pays, où les instituteurs sont choisis parmi les enfants du peuple. Sont-ce simplement des exigences ajustées aux demandes sociales indigènes spécifiques, le canton fortement industrialisé connaissant au 19e

siècle déjà un taux de scolarisation remarquable par rapport aux cantons ruraux de Suisse ?

En 1933, une deuxième étape dans la construction d’une formation professionnelle supérieure des instituteurs apparaît, puisque, désormais, une partie de cette formation est confiée à l’université. La deuxième année d’études est en effet transférée à l’Institut des sciences de l’éducation (Hofstter & Schneuwly, 2000). Mais en 1996, les Études pédagogiques genevoises, semi-universitaires, disparaissent. Les enseignantes et enseignants de l’école enfantine et primaire sont alors entièrement

formés à l’université,27 devenant de ce fait entièrement autonomes des autorités

politiques du canton. Les instances genevoises, selon Perrenoud (1994b, p. 39), ont considéré ce transfert « comme une hypothèse forte compte tenu du défi posé par [les] sociétés européennes ». Dans le concert suisse romand des réformes de la formation des enseignants dans les Hautes Écoles Pédagogiques, l’exemple reste unique. Mais il obtient un statut de référence que consultent invariablement les acteurs des réformes cantonales.

L’

ÉMERGENCE DES

É

COLES NORMALES DANS LES CANTONS RÉFORMÉS DE

S

UISSE ROMANDE Pour Neuchâtel, Evrard (1994) relève que, sous l’Ancien Régime, la « commission d’État pour l’éducation publique avait institué une conférence annuelle des régents. Ces grand-messes laïques étaient dirigées par des ecclésiastiques qui trouvaient là un terrain propice pour démontrer l’omniprésence de la morale chrétienne. De 1832 à 1848, ces rencontres réservées aux hommes étaient la seule possibilité de formation collective, d’autant plus précieuse que l’on publiait ensuite les actes des rencontres » (p. 121). Si les conférences de cette période insistent sur la morale, leur connotation religieuse étant omniprésente et systématique, sous la République, les sujets commencent à se diversifier. L’hygiène des enfants, le matériel didactique, les soucis méthodologiques occupent désormais l’essentiel des débats. Pourtant, les régents sont toujours abandonnés à une formation autodidacte : seule l’obtention du brevet est soumise à un examen. Sa préparation reste entièrement soumise à leur appréciation. Mais certains députés s’inquiètent que les régents, trop peu nombreux, soient en outre faiblement instruits. D’autres redoutent que l’instruction fasse perdre « toute simplicité et toute fraîcheur aux élèves régents »: l’École normale prévue en 1860 est conçue pour concilier les deux points de vue. Elle devrait rester « modeste, appropriée aux besoins du pays » (p. 125).

Pourtant, c’est lors du débat sur la création d’une Académie que la formation des enseignants se structure : une section pédagogique y est créée et forme les futurs instituteurs dès 1865. Un système de bourses permet aux jeunes Neuchâtelois issus de familles pauvres d’y entrer. Les préfets, les commissions d’éducation locales et les instituteurs sont priés de débusquer « les jeunes gens doués d’une intelligence remarquable, d’un goût prononcé pour l’étude, possédant déjà une instruction générale assez étendue, et remplis du désir de continuer à s’instruire » (p. 126). Cette formule hybride voit cohabiter les futurs licenciés et les aspirants instituteurs, et elle ne satisfait pas. En 1873, une nouvelle loi partage l’enseignement supérieur et crée un gymnase pédagogique ; l’École normale reçoit une mission distincte de celle dévolue aux gymnases classiques et scientifiques : « Le programme du Gymnase pédagogique aura moins en vue d’étendre les connaissances des élèves que de préparer ceux-ci à l’enseignement » (p. 129). Les institutrices sont enfin admises en 1882 dans ces sections sises à La Chaux-de-Fonds, au Locle et à Fleurier.28 Et Evrard

de noter que « la première moitié du 20e siècle sera marquée par l’immobilisme, par

les querelles entre régions et par une politique divergente sur le sujet entre le Conseil

27 Voir : Maradan, 1997; Perrenoud, 1994b ; Stauffer, 1998 ; Visite guidée, licence en sciences de

l’éducation, mention « Enseignement », 1996-1997.

d’État et son législatif. Tous les ingrédients sont là pour un demi-siècle de batailles stériles en matière de formation et d’enseignement normal »(p. 131).

En mars 1947, une école cantonale est créée. La section pédagogique des gymnases est désormais chargée de dispenser la formation générale des candidats à l’enseignement, couronnée par un baccalauréat pédagogique. Les futurs instituteurs et institutrices se rendent ensuite à l’École normale de Neuchâtel afin d’y recevoir, le temps de trois semestres, leur formation professionnelle (loi du 2.6.1948). En 1974, l’École normale cantonale s’ouvre aux étudiants porteurs d’autres types de maturités. En 1985 enfin, la durée de l’École normale est portée à six semestres (loi du 18.12.1985). Mais cette séparation formelle des formations générale et professionnelle n’est pas l’état abouti de la formation des enseignants neuchâtelois. L’École normale, malgré son caractère de formation professionnelle dispensée sur trois ans, disparaît à la fin du 20e siècle pour faire place à une Haute école

pédagogique intercantonale à laquelle participent les cantons de la Berne francophone, du Jura et de Neuchâtel, la HEP – BEJUNE.29

Autre École normale évoluant dans un canton non catholique, l’École normale du canton de Vaud ouverte en 1833 est elle aussi le fruit d’une lente gestation et d’atermoiements politiques (Une école pour l’école, 1983). Plusieurs lois et décrets sont édictés au début du 19e. Ils tentent sans succès de l’instaurer. Pour être

instituteur, il suffit, essentiellement, de lire l’Écriture sainte et les prières de l’Église d’une manière convenable, ainsi que d’autres livres ordinaires écrits en prose. En 1833, l’École normale est instituée pour deux ans. La pédagogie y figure en première place, suivie de la religion, des branches classiques, des sciences physiques et naturelles. Une instruction religieuse particulière est prévue pour les élèves de religion catholique. Y sont admis, en tant qu’élèves régents, les Vaudois qui ont déjà « communié ». Et si l’enseignement de la religion n’y est pas prioritaire, l’autorisation de fréquenter l’École normale est soumise aux pasteurs et municipalités sous l’inspection desquels les candidats sont placés : un témoignage de bonnes mœurs doit être produit, en sus des résultats de l’examen portant sur les objets enseignés dans les écoles primaires.

Les buts de l’École normale sont explicites : donner des connaissances claires, précises et aussi étendues que nécessaires; former aux meilleures méthodes d’enseignement et d’éducation; développer l’amour de l’état d’instituteur ainsi que les sentiments et habitudes propres à assurer le succès des travaux entrepris et du bien-être personnel. Développer les facultés intellectuelles et morales des élèves, préparer les maîtres pour les écoles primaires, « c’est-à-dire pour le plus grand nombre et… ce serait une faute de se jeter dans un système d’idées trop élevé ou sans utilité pour les affaires ordinaires de la vie » (Gauthey, 1839, p. 75, cité par Chevallaz, 1933, p. 15) : pour ces raisons mêmes, le programme d’études n’est pas très étendu. Dans toutes les branches, les notions les plus essentielles et les plus applicables sont enseignées : la botanique l’est du point de vue agricole, le calcul est perçu à travers ses extensions pratiques possibles et la géométrie se borne à l’arpentage.

Aucun internat n’est organisé : un arrangement pour la pension et le logement est pris avec des familles honorables, approuvées par le Comité de l'École et au contact desquelles les futurs instituteurs peuvent gagner en savoir-vivre et en

éducation. En 1837, les premières institutrices sont admises dans une section particulière.

L’École normale se voit sérieusement remise en question vers la fin du 19e

siècle et traverse une crise de croissance (Chevallaz, 1933, p. 24) : les instituteurs eux-mêmes en votent la suppression en 1888 et souhaitent voir l’Académie se charger de leur formation. Réorganisée régulièrement, notamment en 1914 et 1933 suite à des difficultés qui la mettent en cause, elle s’augmente régulièrement de sections diverses (voir Savary, 1922, p. 182 et Chevallaz, 1933, p. 38). En 1980, elle effectue sa plus grande mue. L’augmentation accrue de compétences nécessaires à l’exercice de la profession pousse à dissocier formation générale et formation professionnelle. Désormais, les normaliennes et normaliens doivent avoir terminé leurs études générales (maturité ou école de degré diplôme) avant d’entreprendre des études professionnelles dans l’institution qui conserve cependant son nom d’École normale.

En 1998, la formation des enseignants vaudois est encore soumise à restructuration : un concept pour une formation en HEP est déposé, une loi est soumise au parlement.30 L’École normale vaudoise, organisée à Lausanne et dans les

sections spécifiques des deux gymnases (Yverdon et Burier), « exclusivement destinée à préparer pour le canton de Vaud les instituteurs et les institutrices dont il a besoin » (Savary, 1922), a elle aussi vécu.

Les travaux consultés et cités ici, pour les deux formations de Neuchâtel et de Vaud31, n’abordent guère les problématiques politiques et sociales liées à la mise en

place de leurs Écoles normales au début du 19e siècle. Difficile, pourtant, au vu de la

mission confiée à ces instituts de formation et des moyens octroyés, d’en inférer toute absence : au lendemain de leur accession au pouvoir et conformément à la Constitution fédérale de 1874, les gouvernements libéraux développent les écoles publiques dans la tradition des valeurs protestantes et en concomitance avec l’affirmation de leur souveraineté cantonale.32 Et, dans le cas du canton de Vaud au

moins, Bourquin (1998) démontre comment le pouvoir radical, ayant obtenu le contrôle de l’État, limite l’autonomie de l’institution scolaire. Un « quadrillage pratiquement intégral » du système scolaire est organisé, en écho à l’hégémonie politique presque absolue que connaît le canton durant plus d’un siècle à partir de 1845. Les Écoles normales ont aussi participé au « gouvernement des esprits ».

D

ANS LES CANTONS CATHOLIQUES DE

S

UISSE ROMANDE Les cantons traditionnellement catholiques de Suisse romande, eux aussi, utilisent les Écoles normales dans une visée de diffusion bien entendue d’une certaine éducation populaire.

Pour le Jura, Fleury (1995) s’interroge sur le sens de la création de l’École normale de Porrentruy, en 1837. A cette époque, le canton de Berne, protestant, auquel le Jura catholique vient d’être rattaché, achève sa révolution libérale. Dans ce

30 Voir : Département de la formation et de la jeunesse, 1998 ; Haute école pédagogique VD, direction du

projet, 1998 ; Maradan, 1997 ; Stauffer, 1998.

31 Pour Vaud, voir aussi Bober, 1989.

contexte, l’institution de l’École normale du Jura constitue un enjeu politique majeur dans la mise en place de la République libérale et de l’assise du pouvoir de Berne, canton germanophone et réformé, sur l’ancienne principauté jurassienne, francophone et mixte sur le plan confessionnel.

La proximité géopolitique du Jura avec la France donne au premier l’expérience législative du second. Lors de la création de l’École normale, ses acteurs sont formés pour la plupart à Strasbourg. Les forces libérales s’inspirent de l’école de Guizot : elles cherchent à « doter le Jura d’une instruction publique utile, qui favorise le développement économique et qui permette aux nouvelles élites de prendre les destinées du pays en main » (Fleury, 1995, p. 1). Ainsi, non sans combats, l’école jurassienne échappe aux Églises réformée et catholique, et à leur système basé sur la charité, garant du maintien de la place que la naissance a déterminée. Paradoxalement, l’école devient un outil républicain au service de l’unité jurassienne, soutenu par les majorités politiques libérales puis radicales. D’après Fleury, cet outil unificateur aura si bien fonctionné que, dans la seconde moitié du 20e siècle, le Jura obtiendra son autonomie cantonale.

Pourtant, l’historien relève la présence des pédagogues éclairés impliqués dans la création de l’École normale. Leur souci incontestable d’améliorer les connaissances de l’ensemble du peuple jurassien laisse indéterminée l’identification des projets qui présidèrent prioritairement à la création de l’institut de formation des instituteurs jurassiens : « ceux qui relèvent de la course au pouvoir ou ceux qui ont un caractère altruiste et heuristique ? » Mais, note-t-il, « une proposition cependant s’affirme : à cette époque, pour une république naissante, l’instruction publique est une condition nécessaire de survie » (Fleury, 1995, p. 91).

La loi du 26 mai 1982 sur la formation du corps enseignant jurassien supprime la méritante École normale. Les candidats à l’enseignement dans les écoles primaires doivent justifier d’une formation générale attestée par un baccalauréat avant d’accéder à l’Institut pédagogique. Ce dernier forme désormais sur trois ans les instituteurs du canton, et son siège demeure à Porrentruy. Mais, comme pour les enseignants de Neuchâtel, cette mutation charge l’École normale d’une mission uniquement professionnelle sans achever son processus de transformation : le 21e

siècle naissant les verra se former dans la Haute école pédagogique de l’espace intercantonal HEP – BEJUNE.33

En ce qui concerne Fribourg, autre canton catholique de la Suisse romande, son École normale, sise à Hauterive et réservée aux jeunes gens, est ouverte en 1859. D’après Jelk (1984, 1988/1989), des enjeux politiques, sociaux et religieux la fondent. Lieu d’une mobilité sociale dans la campagne, sa mission est claire : créer des hommes nouveaux au service de cet État profondément catholique et conservateur, les façonner en utilisant tout un ensemble de techniques éducatives, dont la plus visible est le système disciplinaire mis en place par les religieux

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