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DANS LA BELLE PROVINCE D’OUTRE-ATLANTIQUE D ES É COLES NORMALES À L ’U NIVERSITÉ : UNE HISTOIRE DE LA

Dans le document Vocation: régent, institutrice - RERO DOC (Page 46-50)

LAÏCISATION DE LA SOCIÉTÉ CATHOLIQUE ET FRANCOPHONE DU

C

ANADA

Suite à l’abolition des Écoles normales, Thérèse Hamel (1995) interroge un siècle de formation des maîtres au Québec de 1836 à 1939 et étudie l’image du maître et la conception du métier que le transfert aux universités transforme fondamentalement, dans une interrogation « du passé pour mieux cerner l’avenir ». L’enseignement y est appréhendé comme une construction sociale. Les paramètres et modèles d’enseignement adéquats y sont adjoints. Des maîtres ambulants aux maîtres universitaires, le cadre institutionnel dans lequel s’effectue la formation des enseignants a forcément son importance. Le bureau central des examinateurs du début du 19e précède le déploiement des Écoles normales qui s’effectue dès 1839.

L’expansion du réseau de ces dernières correspond à l’expansion et à la colonisation de nouveaux territoires, à la programmation de savoirs essentiels qu’elles sont en demeure de transmettre mais aussi à la fragmentation du système de formation des

maîtres au Québec, selon les critères sexuels, ethniques, politiques et religieux. Les Écoles normales du Québec vont se développer et perdurer jusqu’en 1969, date à laquelle elles sont transférées à l’université, selon une dynamique propre à l’autonomie et aux spécificités culturelles de la Belle province. En effet, le Canada anglophone et protestant ainsi que le secteur anglo-protestant du Québec forment dès 1939 leurs instituteurs et institutrices à l’Université, abandonnant la formation en École normale.

L’après-guerre voit s’accroître l’industrialisation et l’urbanisation du Québec : la scolarisation s’universalise. La formation des enseignants francophones continue cependant à être caractérisée par le contrôle global de l’Église catholique sur l’appareil scolaire et par les conceptions pédagogiques différentes selon l’appartenance sexuelle des candidates et candidats au métier. L'État et l’Église définissent leurs rôles respectifs : au premier échoit la responsabilité économique de la formation des instituteurs laïcs24, à la seconde l’organisation et le financement de

la formation des institutrices ainsi que de celle des religieux et religieuses. Hamel souligne l’importance du contrôle, général et institutionnel, de la formation, c’est-à- dire « la définition des grandes orientations de l’enseignement, l’approbation des programmes et l’évaluation des critères de qualification et de certification » et «l’opérationnalisation des modalités de transmission des normes et à leur interprétation par les acteurs sociaux travaillant à l’intérieur des institutions de formation des maîtres » :

En effet, les forces sociales tentent de contrôler la formation des maîtres pour lui donner un visage qui corresponde à leurs intérêts, à leur conception de l’enseignement, elle-même tributaire de leurs places dans les rapports sociaux, des conditions de formation et de la pratique de l’enseignement existantes à une période historique donnée (pp. 32-33).

Le clergé et la petite bourgeoisie conservatrice ont chacun des intérêts bien précis à défendre dans cette société rurale en voie d’industrialisation. Leur concomitance permet à l’Église d’obtenir une marge de manœuvre importante dans l’organisation de l’appareil scolaire. La classe politique recueille, en échange, un appui clérical bienvenu. Un consensus entre libéraux dont la vision politique est sensiblement différente et conservateurs catholiques se crée également autour de la formation des institutrices vu les conceptions similaires de l’éducation des filles et du rôle que peuvent y jouer les congrégations religieuses. La montée de la scolarisation après 1945 va fondamentalement remettre en cause le discours du sacerdoce laïque et induire, chez les maîtres eux-mêmes, une transformation de la conception de leur formation, entraînant de nouveaux rapports au métier : la zone d’influence de l’Église et des communautés religieuses est dès lors combattue.

Mellouki (1989) poursuit l’analyse socio-politique posée par Hamel en étudiant la formation des enseignants dès les années 1930. Dans ce pays bilingue et biculturel, il interroge le savoir enseignant et l’idéologie réformiste de la formation

24 Les Écoles normales d’instituteurs sont pourtant elles aussi engagées religieusement. L’histoire de l’École

normale de Laval que nous laisse Bertrand (1957) est à ce propos explicite. Sa lecture, nous dit le responsable de la société d’histoire du Québec qui la publie, devrait remplir de fierté les normaliens : « Vous vous sentirez ensuite plus fiers d’appartenir à cette phalange d’hommes qui ont su, par leur travail et leurs activités syndicales, élever les maîtres d’école à la hauteur d’une profession libérale dans la province du Québec » (p. 4). L’accent est mis sur l’honneur de la richesse de la vie sacerdotale de ses professeurs : « La contribution de l’École normale de Laval à la vie canadienne demeure considérable. Cent cinq prêtres sont sortis de ses rangs en moins d’un siècle, dont beaucoup furent décorés du canonicat ou de la prélature romaine » (p. 41).

des maîtres jusqu’en 1964, au moment de son universitarisation. Les conflits entre la minorité francophone, rurale et catholique et la majorité anglophone, industrialisée et protestante, se portent dans la formation des enseignants. Dès les années 1930, il identifie les germes d’une « pensée et une conscience sociale critique à l’endroit non seulement de l’exploitation économique dont faisaient l’objet les Canadiens français, mais aussi des idéologies traditionalistes et des institutions qui la soutenaient » (p. 396). Des luttes entre idéologies réformistes et traditionalistes sont engagées. Pour lui, le maître traditionnel, issu des Écoles normales, « doit maîtriser les matières d’enseignement, posséder une culture générale et consacrer la plupart de son temps à l’exercice du métier et à l’accomplissement de son rôle dans la cité » (p. 296), dans une vision statique de l’humain, de l’enfant, du maître et de son rôle. Le discours réformiste soutient, pour sa part, que le maître soit « un guide qui dirige les pas de son enfant, lui prépare une ambiance stimulante, répond à ses questions, s’interroge avec lui, apprend de lui » (p. 297). Dès lors, la psychologie, la didactique, la docimologie et la pédagogie occupent de bonnes places dans son cursus de formation. Plus aucune vérité absolue n’a cours dans cette vision du monde, plus d’immuabilité. Aucun chemin unique n’y mène. Les connaissances humaines paraissent désormais éclatées, les démarches multiples : tels sont les principaux points présents dans le discours des intellectuels libéraux et modernistes qui combattent l’École normale et sa formation traditionnelle. Ils auront raison d’elles dès 1969.

L’

ÉDUCATION ET L

INSTRUCTION

:

DES QUESTIONS FÉMININES L’issue du combat gagné par les modernes est entérinée dès 1969 : Hamel (1991) s’interroge sur ce « déracinement des Écoles normales ». A-t-on suffisamment mesuré l’importance et l’ampleur de cette transformation structurelle sans précédent dans l’histoire de l’éducation québécoise ? S’est-on inquiété des abrupts changements de trajectoire imposés au personnel des anciennes Écoles normales ? Pour Hamel, en haut lieu, il n’a pas été fait grand cas des individus.

Dans un autre travail (1993), Hamel dénonce le peu de cas fait de l’expérience des religieuses en particulier « qui ont souvent eu le sentiment de ne pas être écoutées, entendues, respectées » (p. 165) lors de la fermeture des Écoles normales. Les transformations intérieures déjà entreprises ont été ignorées : « Tout se passe comme si aucune discussion, aucune prise de position, aucune transformation de l’intérieur ne pouvait empêcher le train de l’abolition des Écoles normales de poursuivre sa marche dévastatrice, en ne leur donnant pas le temps d’expérimenter jusqu’au bout certaines réformes importantes à leurs yeux » (p. 165). Pour elle, à travers le Rapport de la commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (1963) dit Rapport Parent (du nom de son président Mgr Parent), les réformateurs du système scolaire québécois ont visé spécialement les Écoles normales et cherché à les faire disparaître, sans aucun respect pour leur histoire, leur évolution, leur réaction et leur adaptation immédiate à la demande sociale. Elles étaient destinées à disparaître. « De toute façon, [ils]n’avaient prévu aucune place, aucun espace à la fois pour les Écoles normales, mêmes réformées, et pour les communautés enseignantes de femmes » (p. 166). Un combat total gagné contre un archétype : la tradition.

Létourneau (1981) note qu’en 1960, de nouvelles réalités sociales provoquent l’examen fondamental de la question scolaire dont est issu le Rapport Parent. L’Église,

non sans regrets, cède son monopole séculaire et l’État reprend ses droits et responsabilités, établissant enfin un ministère de l’éducation. L’avènement des Écoles normales de jeunes filles s’achève à l’avènement de la « Révolution tranquille ». L’historienne relève que cette date marque « la fin d’une époque, celle d’une alliance de fait entre l’Église et l'État, une période où l’Église a contrôlé les institutions de bienfaisance sociale et les institutions scolaires par l’intermédiaire du clergé et des communautés religieuses d’hommes et de femmes » (p. 193). Le climat clérical qui a régné dans le pays au 19e siècle jusqu’au milieu du 20e est « solidaire, non seulement

de l’atmosphère religieuse, mais aussi des conditions socio-économiques et démographiques de cette époque. Grâce à l’établissement d’institutions appropriées au Québec, la qualité de la formation des maîtres s’est améliorée notablement; elle a correspondu à un lent processus qui a suivi la courbe sinueuse du développement d’ensemble de la société québécoise »(p. 194).

La question féminine dans ses rapports avec l’éducation est encore au cœur de deux études québécoises. A partir de l’assertion de S. de Beauvoir « On ne naît pas femme, on le devient », Fahmy-Eid et Dumont (1983) font le bilan d’une recherche sur les rapports femmes / famille / éducation au Québec, dans la famille puis à l’école, les deux instances socialisatrices où s’accomplit le devenir de la femme. La famille, en tant qu’institution en rapport avec l'État, l’Église et l'École, est un lieu de reproduction biologique, matérielle et idéologique. L’éducation dispensée vise la formation du cœur et de l’esprit, voire de l’âme de l’enfant, ce futur adulte : l’importance et l’instrumentation de l’instruction et de l’éducation des femmes sur lesquelles repose cette responsabilité, y sont analysées. Ailleurs, Dumont et Fahmy- Eid (1986) étudient plus spécifiquement les processus et procédures d’éducation et d’instruction des « couventines », ces jeunes filles instruites en internat par les communautés religieuses de 1840 à 1960, seules instances habilitées à leur délivrer une instruction supérieure et « formation académique d’un certain calibre ». Le discours éducatif, l’instruction et l’éducation sont analysés, en tant qu’instruments de formation de la personnalité. Lever au petit jour, messe quotidienne, silence absolu dans toute la maison, hygiène rapide, courrier censuré, séparation d’avec la famille pendant de longs mois, lectures dirigées, savoir modeste en relation avec le rôle traditionnel des femmes : tout concourt à éduquer strictement les jeunes filles dans le cadre traditionnel et à les y acculturer très exactement. Le contrôle social qui régit leur vie, leur conduite et même leurs pensées s’exerce de manière subtile quoique explicite : credo, thèmes et couplets sur le service et le dévouement des rôles féminins, engagement chrétien persistant dans les amicales qui ramènent les couventines à l’Alma Mater. Le devoir, la souffrance et l’abnégation sont poussés à l’extrême. Les auteurs révèlent que les couventines en ont gardé des souvenirs duels : propos abrasifs ou nostalgiques, le passé de chacune a été vécu et perçu à sa manière. Ce modèle de pensionnat éclate en 1960, alors que toute la société entreprend sa « Révolution tranquille » et se laïcise.

Si l’histoire de la formation des enseignants du Québec n’a guère eu d’influence sur l’objet de notre travail, soit la situation valaisanne, la similitude des questions abordées, des représentations sociales de la formation en École normale et le vécu des jeunes couventines, proche de celui des normaliennes que nous rencontrerons pour notre étude, laissent songeur quant à la permanence et la fidélité à leurs principes traditionnels de ces deux sociétés catholiques rurales qu’un océan sépare géographiquement. L’absence apparente de collusions et de réseaux décisionnels ne peut masquer la force du courant clérical catholique et la remarquable convergence des moyens éducatifs mis en œuvre en fidélité absolue

avec les préceptes de la doctrine politique et sociale définie par la hiérarchie romaine.

Dans le document Vocation: régent, institutrice - RERO DOC (Page 46-50)

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