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De l’ancien au nouveau : la gestation d’un mythe ?

12 L’imaginaire que tissent les mots de Vallès autour de la Commune, y compris dans le temps même de son déroulement, est étroitement imbriqué à l’endroit où émerge, se développe, se concentre et s’achève l’insurrection. Il s’agit de Paris, capitale révolutionnaire, dont l’écrivain mobilise volontiers le potentiel mythique. Parfois, la grandeur de l’événement semble se confondre avec celle de la capitale française, qui est l’une des métonymies privilégiées de l’insurrection, à savoir «  Paris, l’insurrection capitale 77  », ce

« bivouac de la Révolution 78   » dont elle tire son honneur et son salut. Outre la périphrase redondante de « la grande ville, la grande ruche 79   », c’est ce que montre bien l’apostrophe exclamative et intensément lyrique que Vallès emploie dans son article du 28 mars :

« Ô grand Paris 80   !  » Il s’agit de se réconcilier joyeusement avec une ville ressuscitée, dont les combats faubouriens ont ravivé la flamme révolutionnaire et les élections communales ont rehaussé le prestige. Cette expression est redoublée significativement dans l’article du 6  avril, lorsque l’insurgé exprime ses convictions révolutionnaires, dignes de confiance et porteuses d’espoir : « Je ne crois qu’à toi, ô Révolution 81 . » Puis le mythe urbain continue de prospérer à travers une rhétorique très classique, dans l’article du 7 avril, qui recourt à l’emphase d’une gradation ternaire  : «  Noble Paris  ! fière cité  ! cohue de héros 82   !  » Plus largement, le

journaliste reprend en partie à son compte le mythe littéraire de Paris, né du choc des « Trois Glorieuses » :

Juillet 1830 fut une renaissance. En s’insurgeant comme un seul homme contre les velléités politiques de Charles X – Charles le Simple, comme le disait le poète (parisien) Béranger – la ville devint à ce moment même, et du jour au lendemain, mais durablement cette fois-ci, la capitale mythique et mondiale de la révolution,

« notre mère 83 ».

13 En témoigne l’association récurrente de l’onomastique parisienne au principe de liberté dans trois de ses articles de la période mars-avril.

L’apposition « Paris, ville libre » donne d’abord son titre à l’article du 22  mars, où elle revient ensuite trois fois, parmi lesquelles deux occurrences ressortent en lettres capitales 84 . Cette formule-clé montre le souci d’efficacité médiatique d’un journal insurrectionnel, en prise directe sur les événements contemporains. Elle se retrouve dans l’article du 6 avril, qui l’utilise par ailleurs à deux reprises, au même titre que l’article suivant, sous une forme plus ramassée  :

«  PARIS LIBRE 85   ». L’écriture en capitales attire l’attention du lecteur sur le rapprochement ultime du nom propre et de son adjectif qualificatif à valeur laudative, qui réclament pour ainsi dire une fusion à la fois syntaxique et sémantique. Ce leitmotiv qui émaille voire scande littéralement plusieurs textes n’est pas sans évoquer l’allégorie fameuse de « la liberté guidant le peuple ». Il est cependant repris à nouveaux frais par l’article du 22 mars, à visée pragmatique, où Vallès appuie les revendications autonomistes de son confrère Pierre Denis, dans un contexte électoral qui passionne et divise la population en deux camps distincts. Le Cri du peuple se place du côté de ceux qui pensent qu’il faut organiser des élections communales tout de suite, sans le concours ni l’aval de l’Assemblée.

Comme eux, Vallès est partisan d’une certaine forme d’autonomie ; il aimerait que Paris proclame son indépendance vis-à-vis du pouvoir central. Bien au-delà d’un banal dimanche d’élections, le 26  mars

assoit solidement la révolution du 18  mars et inaugure «  une ère nouvelle de Liberté et de Justice 86  ». La « plume d’or 87  » de Vallès s’efforce d’immortaliser cette journée dans l’article majeur du 28 mars, empreint d’un grand lyrisme révolutionnaire. Le motif de la

«  liberté guidant le peuple  » y est alors revitalisé à travers l’incarnation mythique du gamin de Paris :

Embrasse-moi, camarade, qui as, comme moi, les cheveux gris ! Et toi, marmot, qui joues aux billes derrière les barricades, viens que je t’embrasse aussi !

Le 18 mars te l’a sauvé belle, gamin !

Tu pouvais, comme nous, grandir dans le brouillard, patauger dans la boue, couler dans le sang, crever de faim et crever de honte, avoir l’indicible douleur des déshonorés !

C’est fini 88 !

14 Au cœur du Second Empire, Vallès déplorait l’absence dominicale de la vie insufflée par le « gamin de Paris, cette sauterelle de la rue […]

jetant au vent son coup de sifflet et sa chanson 89  ». Digne héritier du Gavroche hugolien – né dans Les Misérables 90 en 1862 – et futur

« camarade » – qui sera un homme libre –, le « marmot » de Vallès est ici l’incarnation emblématique d’un Paris populaire et insurrectionnel. Mort dans la fiction littéraire, en récupérant des cartouches de soldats ayant péri au combat, le gamin reprend vie dans la réalité que reconstruit le journal, en jouant aux billes derrière les barricades. Sous la plume du militant Vallès, il est

«  sauvé  » au sens fort, dans la mesure où la Commune offre à un peuple de souffrants et de « vaincus » une revanche salutaire sur le

«  traumatisme de Juin 91   », les injustices du coup d’État et du Second Empire, puis les trahisons de la Troisième République. Le mythe du gamin de Paris est donc ici nettement retravaillé par les souffrances fondatrices 92 des Journées de Juin, « l’alpha et l’oméga de l’insurrection 93  » selon Dolf Oehler.

15 Au sein de ses articles pour Le Cri du peuple comme dans sa production plus générale, Vallès s’approprie le mythe de Paris

révoltée, sans vraiment l’appuyer sur les Trois Glorieuses, qu’il occulte soigneusement et réduit plutôt à une réaction bourgeoise, politique et journalistique, aux antipodes d’une réalisation populaire de la révolution. Il ne se laisse pas éblouir par « l’éclair de Juillet 94   », porteur d’un romantisme dangereux qui a essaimé sous des formes variées, tout au long du XIXe siècle. Son écriture ne s’intéresse pas davantage à l’insurrection républicaine des 5 et 6 juin 1832, qui exerce pourtant une influence déterminante sur sa pensée politique

95 . Vallès privilégie pour sa part les « flambées d’espoir 96  » que fait naître la révolution communarde après l’extinction cuisante du

« brasier de Juin 97  ». Et, au-delà de 1848, la Commune s’inscrit bien plus sûrement dans la filiation de la première Révolution française de 1789-1792. Les événements électoraux de 1871 constituent pour ainsi dire le digne lendemain d’un hier où « l’Assemblée du tiers-état était pleine d’hommes qui firent ce que le monde appelle la Révolution française 98   ». En avril  1870, le rédacteur de La Rue délaissait les «  grands événements  » historiques tels que la Révolution française  –  tant scrutée par l’histoire micheletiste  –  ou même Juin 1848, pour se concentrer sur les tribulations quotidiennes de ses contemporains et les grèves de l’actualité récente. Dans Le Cri du peuple de mars-avril 1871, la Commune est un présent tourné vers l’avenir, qui fait en même temps ressurgir le passé de la Révolution française, cet événement par excellence, par lequel la modernité est entrée dans un nouveau « régime d’historicité 99  », et dont le XIXe siècle serait un « augmentateur logique 100  ». Avant la Commune, Vallès soulignait la « force propulsive 101  » de 1789, mais rejetait l’autoritarisme de la Terreur, la dictature de 1793, « CEPOINT CULMINANT

DE LHISTOIRE 102   », selon une périphrase ironique du Bachelier. Le journaliste exploite ici ce référent historique dans une composante beaucoup plus populaire mais aussi en partie légendaire, qui mêle

« les hommes de 92 103  » au « tambour de Santerre 104  », lequel aurait couvert la voix de Louis XVI sur la guillotine, en 1793. À l’aune de l’insurrection communarde, Vallès saisit plus fondamentalement la grande Révolution au travers du Peuple, force vive qui se définit pour l’essentiel par sa propension à se révolter. Ce faisant, la plume de l’écrivain-journaliste vérifie le statut d’objet historique exceptionnel de la Révolution française, «  en réécriture constante

105   » et «  actualisable presque à l’infini 106   », dès le XIXe siècle.

L’écriture communarde de Vallès emprunte aussi à l’allégorisation républicaine, directement issue de la première Révolution lorsqu’elle honore « l’armée victorieuse des Républicains 107  ». Toutefois, elle ne saurait en aucun cas céder aveuglément à la mystique trompeuse du « catéchisme 108   » républicain, qui a influencé Robespierre au sein même des événements. Elle reprend en même temps qu’elle tient à distance le symbole à la fois historique et politique de Marianne :

[L]e buste de la République, qui se détachait blanche sur la tenture rouge, regardait, impassible, reluire cette moisson de baïonnettes étincelantes, au milieu de laquelle frissonnaient les drapeaux et les guidons aux couleurs éclatantes, tandis que montaient dans l’air le bourdonnement de la cité, les bruits du cuivre et de la peau d’âne, les salves et les acclamations 109 .

16 Marianne est comme figée : sa pâleur maladive et son immobilité à l’allure indifférente contrastent sensiblement avec les couleurs chatoyantes et la vivacité revigorante des communards, dont les revendications sont politiques mais aussi sociales. Le réfractaire voit en effet dans la Commune une occasion inouïe d’unir la Marianne et la Sociale : « La Révolution sociale est en marche, nul ne lui barrera le chemin 110  », proclame-t-il dans son article du 3 avril. C’est aussi l’une des significations implicites que revêt la féminisation de la Commune dans l’article du 30  mars  : «  C’est aujourd’hui la fête nuptiale de l’idée et de la Révolution.  /  Demain, citoyens-soldats pour féconder la Commune acclamée et épousée la veille, il faudra

reprendre, toujours fiers, maintenant libres, sa place à l’atelier et au comptoir 111 .  » Il semble alors que l’insurrection ne puisse être fécondée que par des avancées effectives en faveur de l’égalitarisme et de la justice sociale, en même temps qu’elle est inséparable du travail, recréé dans sa capacité à émanciper les individus, et non plus vecteur d’aliénation.

17 Enfin, bien qu’hostile au culte du «  grand homme  » ainsi qu’au fardeau du «  haut fait  », qui se polarise autour de valeurs trompeuses et envahissantes telles que la gloire, l’héroïsme et l’exploit 112 , Vallès se laisse ici emporter par l’envergure guerrière des luttes communardes, qui acquièrent par là une dignité à la fois historique et une ampleur mythique. Avec une exaltation insistante, il brandit l’étendard du drapeau rouge, bannière parisienne de la fraternité populaire, symbole d’émancipation et de nouveauté qu’il oppose à l’ancien monde de la monarchie, matérialisé par le drapeau blanc :

Le drapeau blanc contre le drapeau rouge : le vieux monde contre le nouveau ! La dernière étreinte  ! Qui triomphera, des neveux de Hoche ou des petits-fils de Cathelineau ?

C’est le drapeau blanc qui a couvert les soldats infâmes. Le drapeau rouge qu’ont défendu les soldats honnêtes !

Le drapeau rouge  : il flotte au-dessus de deux cents bataillons fédérés, vainqueurs dans Paris 113.

18 L’article du 22  mars conditionne ponctuellement l’historicité des résolutions communales en les rattachant au dépassement digne et glorieux des circonstances guerrières où le pays se trouve encore empêtré  : «  décision qui ne sera bonne et n’aura sa date dans l’histoire que si elle évite la guerre civile et le retour de la guerre avec Bismarck vainqueur 114  ». Enfin, l’article du 14 avril consacré aux « Bellevillois » développe un récit circonstancié, où les combats de certains bataillons communards sont volontiers érigés en hauts faits historiques, avant même que ce quartier ne constitue le dernier

îlot de l’ultime combat, à la fin mai 115 . Vallès y précise à plusieurs reprises la reconnaissance et la gratitude que les membres de la Commune éprouvent vis-à-vis de ces combattants  : ces nouveaux

«  grands hommes  » sont chaleureusement reçus, félicités et remerciés. Revient également sous une forme légèrement déplacée le symbole du drapeau rouge, qui érige à certains égards ces soldats de la Commune en nouveaux martyrs  : le 191e  bataillon rapporte

«  comme trophée une couverture rouge, qui lui avait servi de drapeau, et était toute criblée de balles, de mitrailles 116  ». S’ajoute à cela un épisode au plus-que-parfait, qui étire dans le temps certains actes de bravoure accomplis par les Bellevillois, en rehausse le prestige historique  :  «  Déjà le 114e  bataillon, du dix-neuvième arrondissement, avait, au rond-point de Neuilly, pendant trois jours et trois nuits, montré l’exemple de la fermeté et du courage civil 117 .  » Enfin, comme l’atteste déjà cette phrase consacrée au 114e  bataillon, Vallès reprend abondemment à son compte un lexique mélioratif de l’admiration, pour se prosterner à son tour devant les res gestae de ses camarades communards, envisagés tant dans leur intimité que dans leurs actions publiques : « Il était beau de voir ces gardes venant se reposer au sein de leur famille, et tous prêts à répondre à un nouvel appel de la Commune. / […] Honneur à ces bataillons. / Belleville prouve par ses actes son courage civique et son dévouement à la Commune 118 .  » Vallès fait ainsi de la Commune une fédération glorieuse des douleurs, qui prolonge et venge la « sombre bataille 119  » de 48.

Conclusion

19 Éclairée par le prisme du regard vallésien, la Commune de 1871 illustre exemplairement une définition double de l’événement

comme «  construction subjective  », à la croisée de l’histoire, de la presse et de la littérature. Depuis lors jusqu’à nos jours, elle porte très lourdement « l’ambiguïté et l’énigme du mot événement 120   ».

D’un côté, elle a été non seulement critiquée, méprisée, diabolisée

121 , mais aussi diluée, voire niée, dans sa force d’événement historique :

[E]lle est censée n’avoir pas vraiment existé comme événement et comme révolution, avoir peut-être seulement existé comme catastrophe intemporelle, et avoir eu la destruction comme but et comme mot d’ordre. Elle est historiquement, existentiellement, moralement condamnée à mort 122 .

20 Bien qu’ayant suscité de nombreuses études d’ordre historique, politique, militaire, juridique, institutionnel, économique ou social –   auxquelles il faut ajouter des biographies et une «  importante littérature de circonstances ou de témoignage 123   »  –  elle semble même avoir été en partie occultée, chez les artistes favorables à sa cause comme chez ses ennemis 124 . D’un autre côté, cette brève mais intense insurrection constitue une date majeure – éminemment féconde –, en particulier dans le parcours et l’œuvre de Vallès, lui-même exilé et condamné à mort par contumace, à cause de son engagement très concret dans le mouvement du printemps  1871.

Rédacteur militant de L’Affiche rouge et du Cri du peuple, ce dernier l’a impulsée, soutenue et portée pendant comme après les faits 125 . Dès 1872, il lui a consacré, avec son drame historique La Commune de Paris, une « œuvre apologétique 126  » qui s’ouvre sur les journées de Juin et se termine par la répression à Satory. Enfin, sa trilogie autofictionnelle montre comment sa révolte individuelle s’est résolue dans une «  révolution  » collective, dont L’Insurgé propose une saisie originale et stimulante, car profondément impliquée, affective, sensible, mais aussi partielle et discontinue, aux antipodes d’une vision surplombante de l’événement. Somme toute, la Commune s’avère déterminante dans la trajectoire vallésienne.

Selon Roger Bellet, elle est aussi bien le «  rachat d’un passé douloureux 127   » qu’une «  sorte d’éternel futur antérieur, qui impliquera l’avenir 128   ». Ainsi vérifie-t-elle une définition bivalente de l’événement, que reprend François Dosse  : résultat et commencement, dénouement et ouverture de possibles 129 . Jacques Migozzi la décrit comme « l’expérience historique nourricière 130  » d’une écriture novatrice. Vallès lui-même la considère peu ou prou comme le « couronnement de sa vie 131  », qui marque à la fois un aboutissement et une rupture. Roger Bellet en fait «  l’événement-avènement 132  ».

21 Dans le cadre d’une modernité médiatique – issue de 1836 133 puis sensiblement renouvelée au cœur du Second Empire 134  –, la presse entame une « relation internalisée avec l’événement qui se produit

135   ». Bien avant l’«  hyperbolisation du présent 136   »  –  qu’exacerberont à la fin du XXe siècle les médias de masse et leurs flux continus d’informations 137   –, l’événement journalistique du

XIXe siècle tend à se constituer en temps réel, d’où un « télescopage des temporalités 138  » propre à la saisie de ce qu’est un événement historique. Somme toute, c’est probablement dans la mesure où il s’emploie à faire l’événement que l’«  écrivain-journaliste 139   » s’avère le meilleur truchement pour définir ce grand «  enjeu des sociétés contemporaines 140  ». Les articles de Vallès dans Le Cri du peuple de mars-avril  1871 permettent de vérifier cette hypothèse, qu’ils enrichissent de leurs caractéristiques propres.

22 D’une part, à travers l’exaltation d’une fédération libératoire et joyeuse, le journaliste reprend à son compte une conception de

« l’agir historique 141  » portée par Michelet, où l’histoire n’est plus une « simple collection de faits 142  » mais se veut « la somme des actes humains qui s’engendrent les uns les autres pour former un monde commun et égalitaire 143  ». Avant Nietzche puis Foucault, il

promeut de manière plus ou moins explicite une approche discontinuiste du temps, où «  [l]’histoire effective fait ressurgir l’événement dans ce qu’il peut avoir d’unique et d’agir 144   ». À l’inverse des personnages de Perec qui rêveront au XXe siècle de

« névénement […] hors du temps de l’Histoire 145  », il semble donc aspirer à des événements fondateurs, qui entraînent sur le plan politique un «  changement des rapports entre le possible et l’impossible 146   ». Son écriture s’inscrit dans un «  devenir 147   » irruptif, au sens deleuzien du terme  ; elle est traversée par une utopie libératrice, qui «  empêche l’horizon d’attente de fusionner avec le champ d’expérience 148   ». Vallès pense depuis longtemps que les bouleversements socio-politiques sont inséparables d’une révolution culturelle  ; pour lui, il ne s’agit donc en aucun cas de prôner, comme Zola et d’autres naturalistes, l’autonomie du champ littéraire par rapport à la politique. C’est aussi pourquoi il est transfiguré par cet événement nourricier : avant la Commune, il peut encore avoir la réputation d’être un polémiste voire un « brasseur de vent » (façon Barbey ou Bloy) ; après 1871, il révèle pleinement sa vocation d’écrivain politique.

23 D’autre part, bien que Vallès conçoive souvent le mythe comme un instrument d’aliénation idéologique 149 , la Commune acquiert sous sa plume une ampleur mythique, qui s’adosse notamment sur une mythologie de la capitale, dès lors lyrique et symbolique. Peu adepte des images romantiques et des métaphores grandiloquentes, surtout avant 1871, il va même ici jusqu’à célébrer le gamin de Paris, avant que l’échec de la Commune ne « tue 150  » réellement le mythique Gavroche 151  : « la force du mythe vient de l’Histoire même 152  ».

Il inscrit par ailleurs l’insurrection communarde dans une filiation historique, sans pour autant qu’elle apparaisse comme une simple répétition de la révolution primordiale devenue archétypale 153 .

Enfin, il érige un « haut fait » à nouveaux frais, en louant habilement les exploits militants voire «  guerriers  » de ses camarades communards. Sous sa plume, la Commune semble alors être le dernier avatar du mythe de Paris au XIXe siècle.

24 Ce faisant, ses espoirs révolutionnaires posent et creusent  –  sans résoudre  –  la question de la violence concrète comme outil très problématique d’émancipation et de répression 154 . Or, puisque les actions destinées à subvertir les pouvoirs en place s’avèrent dangereuses et risquées, ne faut-il pas transposer la violence à une parole audacieuse, engagée  ? À maints égards, le militantisme de Vallès prône et utilise un langage-action, résolument pragmatique et performatif. C’est en quoi son journal Le Cri du peuple expérimente davantage que le « Livre » des « modes d’action 155  » sur le réel et devient, par sa virulence féconde, une contre-histoire à part entière.

BIBLIOGRAPHIE

Corpus primaire Vallès Jules,

– Le Cri du peuple, 1871 (Gallica) : – « La passion politique », 26 février – « Paris, ville libre », 22 mars – « Les Élections », 23 mars – « Le 26 mars », 28 mars – « Le Scrutin », 29 mars – « La Fête », 30 mars – « Décidez-vous », 3 avril

– « Il faut choisir », 6 avril Corpus secondaire

XIX e siècle

Hugo Victor, Actes et paroles. 1870-1871-1872, Paris, Michel Lévy frères, 1872, 220 p.

Marx Karl, La Guerre civile en France, 1871, Paris, Éditions sociales, 1953, 358 p.

Michelet Jules, Œuvres complètes. IV. Histoire de France, Paris, Flammarion, 1974 [1893-1898], 869 p.

Vallès Jules,

– La Commune de Paris [1969], préface et notes de Marie-Claire Bancquart et Lucien Scheler, Paris, Les Éditeurs Français Réunis, 1970, 377 p.

– La Commune de Paris [1969], préface et notes de Marie-Claire Bancquart et Lucien Scheler, Paris, Les Éditeurs Français Réunis, 1970, 377 p.