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L’apparent unanimisme diplomatique

4 En termes diplomatiques, la réception internationale s’aligne clairement sur celle de la France. Le 21 mars, annonçant le soulèvement parisien, Jules Favre avait minimisé les faits en évoquant de «  déplorables évènements  » qui ne «  tarderont pas à rentrer dans l’ordre 7  ». Trois mois plus tard, le ton des circulaires des 26 mai, 6 et 23 juin envoyées aux quatre coins du monde via les ambassades est tout autre. Celle du 6 juin évoque «  la formidable insurrection que la vaillance de notre armée vient de vaincre, [qui] a tenu le monde entier dans de telles anxiétés 8  ». Sans doute entre les deux dates Jules Favre a-t-il pris conscience de l’importance du mouvement communard. Mais les choix stratégiques sont également essentiels  : en juin, la Commune et l’AIT, son instigateur désigné, doivent apparaître comme une menace pour les nations « civilisées » du monde entier.

5 Cet appel a été entendu, parfois même précédé, dès les débuts de la reconquête de Paris. En Grande-Bretagne, Robert Peel fait une déclaration à la Chambre des Communes le 25 mai dans laquelle il exprime sa sympathie à la France, «  quelle que soit la forme de gouvernement », devant des faits « sans précédents dans l’histoire ».

Il demande au gouvernement de réagir. Conservant la distance de rigueur, le premier ministre libéral Gladstone confirme qu’« il n’y a aucune épithète qui à aucun degré ne puisse donner satisfaction aux sentiments qui oppressent le cœur de tout homme 9 . » Se méfiant toujours d’un possible relèvement du vaincu, le chancelier allemand

Bismarck n’en appelle pas moins le 7 juin à «  la solidarité contre l’Europe socialiste  ». Une dépêche du 13 juillet affirme que l’Allemagne soutiendra la France « comme les autres  »,  «  dans l’intérêt de la paix commune et de progrès général de la civilisation européenne 10  ». De son côté l’Empereur austro-hongrois François-Joseph, lui aussi conservateur, fait envoyer le 26 mai une adresse de sympathie à Thiers et ses félicitations pour le rétablissement de l’ordre 11 . Le tsar russe en fait de même, tandis que le Roi et le gouvernement espagnols félicitent le chef de l’État français « pour l’énergie avec laquelle il a sauvé la France et l’Europe 12   ». À la Chambre espagnole, le ministre de l’Intérieur libéral Sagasta condamne avec vigueur «  les actes que la France pleure, dont l’humanité a honte et que l’histoire enregistrera avec indignation

13   ». Même expression publique de regrets, quoique moins vigoureuse, dans les parlements italien, belge, ou grec. Les États-Unis ne sont pas en reste. Plus au sud, le ministre de la Confédération argentine félicite le 12 juin le chef de l’exécutif français. Le gouvernement conservateur du Brésil apporte lui aussi son soutien.

Alors qu’ils sont divisés autour de la question de l’abolition de l’esclavage, le Sénat et la Chambre adoptent une résolution officielle commune qui exprime le «  sentiment d’horreur que lui inspire l’anarchie qui a réussi la détruire la plus belle partie de la grande capitale de Paris se félicite de la victoire de la cause de la civilisation et des principes du christianisme 14  ». Plus discret, le Sultan turc prend note du relèvement de la situation à Paris. Sur le continent asiatique, le souverain du Siam envoie une lettre à Jules Favre le 28 mai. La réponse du ministre des affaires étrangères (la missive n’est pas conservée), en évoquant l’impossibilité «  d’exprimer dans des formes plus nobles des pensées plus élevées », laisse entendre le ton élogieux de la missive.

6 Les soutiens officiels ou publics sont nombreux. Les raisons en sont évidemment plurielles : au Siam, la prise de position vise à renouer le contact après les tensions des mois précédents. En Espagne, au Brésil, les manifestations d’adhésion s’adressent également aux oppositions intérieures, républicaines ou libérales. N’oublions pas enfin que du fait de l’éloignement géographique, du décalage de préoccupations ou des tensions intérieures (en Colombie), des pays ou régions entières ne réagissent pas : en Chine, Favre puis Rémusat font preuve d’une très grande prudence. Aucune mention non plus dans la correspondance diplomatique japonaise, égyptienne ou marocaine (qui n’évoque que la fin de l’insurrection kabyle). Mais le fait frappant reste l’ampleur et l’apparent unanimisme des réactions.

7 En 1849-1850, après le printemps des peuples, les réactions avaient en effet été plus prudentes, compte-tenu des trajectoires décalées des pays : certains étaient écrasés par la Réaction, d’autres travaillés par des reprises révolutionnaires, d’autres divisés par des luttes politiques… En 1871, les limites et la brièveté de l’évènement favorisent la convergence, d’autant que le caractère spectaculaire des incendies rend possible une dénonciation manichéenne et ne s’encombrant pas de détails de la sauvagerie des insurgés. Les idéaux invoqués à l’appui de ces soutiens sont nombreux. Ce sont parfois le christianisme, le patriotisme ou «  la véritable liberté  ». Le terme récurrent  est toutefois celui de «  civilisation  » ou de «  civilisation européenne. » La notion, et sa relation tumultueuse à la barbarie, a fait l’objet d’abondants travaux 15 . Elle irrigue depuis le XVIIIe siècle le langage diplomatique et le phénomène ne cesse par la suite de se conforter 16 . En 1871, elle apparaît en tous cas, dans une remarquable homogénéité, comme le plus petit dénominateur commun du langage diplomatique à ces échelles continentales et intercontinentales. La révolte parisienne est généralement décrite

comme une atteinte à cette civilisation qu’il convient bien sûr, langage de circonstance oblige, de préserver.

À la une : incendies et massacres à la