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Les Larive et Fleury, quÕils soient destinŽs au grand public ou aux Žcoliers, poursuivront leur carrire jusquÕen 1927. Mais lÕinnovation vient dÕailleurs ; en 1905 para”t le Petit Larousse illustrŽ datŽ de 1906, publiŽ sous la direction de Claude AugŽ. Il est issu du Nouveau dictionnaire de la langue franaise de 1856, sous-titrŽ

Quatre dictionnaires en un seul. LÕouvrage de 1905 (par tradition, le Larousse porte le millŽsime de lÕannŽe qui suit sa mise en vente) en conserve trois : un dictionnaire de mots (ou dictionnaire de langue), un dictionnaire de noms propres, et un rŽpertoire de locutions latines, les fameuses Ç pages roses È ; les Ç notes

Žtymologiques, scientifiques, historiques et littŽraires È de 1856 ont disparu. Le Petit Larousse donne une large place ˆ lÕillustration, dans le sillage des iconophores du GDU ; maniable, bon marchŽ, il trouvera immŽdiatement son public, para”tra tous les ans, sous des titres divers, parfois profondŽment modifiŽ, parfois seulement actualisŽ, et deviendra une institution.

E-1 : un univers concurrentiel

Au dŽbut du XXe sicle, Larousse nÕest pas seul sur le marchŽ ; entre 1900 et 1920, on compte une dizaine de concurrents (voir annexe 4). Conus entre 1860 et 1890, les Larive et Fleury, lÕabrŽgŽ du LittrŽ par Beaujean, les ouvrages de BŽnard, de Blanc, de Gazier et de GuŽrard et Sardou courent sur leur erre. Ils sont rejoints par quelques Ïuvres anonymes, et par celles de Flammarion (le menu Dictionnaire encyclopŽdique complet pour les bibliothquesÉ), Grimblot, Crommelin et Rittier, et Keller, qui ne disent plus rien ˆ personne, bien que certains dÕentre eux aient eu un

Žnorme succs (les BŽnard et les Gazier, notamment).

Les dernires gerbes de ce Ç feu dÕartifice Žditorial È, pour reprendre lÕexpression de Jean Pruvost, ont ŽtŽ tirŽes dans les annŽes 20.

Ç Ce nÕest quÕaprs la deuxime Ždition du Petit Larousse illustrŽ en 1924, que lÕentreprise Larousse distancera, puis Žliminera presque tous les autres du paysage Žditorial. È (2005, J.-Cl.

Boulanger, Ç Le panthŽon des dictionnaires scolaires modernes È, in Les Dictionnaires Larousse, gense et Žvolution, p. 105).

Cette hŽgŽmonie est due, certes, ˆ la qualitŽ des dictionnaires Larousse, mais aussi Ð et beaucoup Ð ˆ lÕattitude de Sophie LittrŽ qui a refusŽ ˆ deux reprises (1918 et 1922) quÕon touch‰t ˆ un seul signe de lÕÏuvre paternelle, la transformant ainsi nous lÕavons vu, dÕobjet marchand en ouvrage dՎrudition confinŽ dans les bibliothques.

a : un acteur inattendu

Dans le monde policŽ des respectables maisons dՎdition dÕancienne rŽputation (les Larousse, Hachette, Delagrave, Belin, FlammarionÉ) surgit au dŽbut du XXe sicle un personnage atypique, un adolescent orphelin, de milieu plus que modeste, peu scolarisŽ et juste guŽri dÕune tuberculose pulmonaire. Ë sa sortie du sanatorium de Berck, trop jeune pour fonder une entreprise (il a dix-huit ans, la majoritŽ est alors ˆ vingt-et-un ans), Aristide Quillet sÕassocie, en 1898, ˆ un garon plus ‰gŽ pour monter un rŽseau de vente directe de cartes postales. Autodidacte (saute-ruisseau, ˆ quatorze ans, dans une librairie, il en avait dŽvorŽ tous les livres), socialiste (il fut lՎditeur de la revue socialiste FlorŽal de 1919 au Congrs de Tours), passionnŽ par la diffusion du savoir, il sÕattache

Ç tout particulirement au problme de lÕinstruction des ÒisolŽsÒ et ˆ diffuser les connaissances dans des ouvrages ˆ caractre encyclopŽdique. È (1986, Dictionnaire encyclopŽdique Quillet, tome 8, p. 5612).

Il lance, en 1910, sur le marchŽ de la vente directe une sŽrie d'ouvrages groupŽs sous le titre Mon professeur, avec, en sous-titre, Grande EncyclopŽdie autodidactique moderne illustrŽe, l'Žcole chez soi sans ma”tre. Devenue EncyclopŽdie autodidactique Quillet, remaniŽe ˆ diverses reprises, elle a ŽtŽ diffusŽe sans interruption jusquՈ la fin du sicle dernier.

LՎditeur, qui sÕest donnŽ pour devise Ç Bien moudre et pour tous È, confie ˆ Raoul Mortier, spŽcialiste de lÕenseignement technique et professionnel, la conception du Dictionnaire encyclopŽdique Quillet qui para”t en 1934. Ces six gros volumes in 4¡,

copieusement illustrŽs en noir et en couleurs, sÕintŽressent aux Ç choses È plus quÕaux Ç mots È, pour reprendre une opposition peu satisfaisante, mais expressive ; les sujets jugŽs importants sont traitŽs sous forme de Ç tableaux È, en rŽalitŽ de gros dossiers dont certains atteignent la taille dÕun Ç Que sais-je ? È, aux thmes les plus divers, de la minŽralogie aux religions, de la botanique ˆ lÕoptique. OriginalitŽ

supplŽmentaire : la prŽsence de fac-similŽs de manuscrits (lettres, traitŽs, etc.).

RemaniŽ, complŽtŽ, actualisŽ, assorti de supplŽments, lÕouvrage sera diffusŽ par courtage jusquÕen 2000.

b : des initiatives dispersŽes

TŽtanisŽe par la toute-puissance de Larousse, la profession de dictionnariste se porte mal dans les annŽes 30 et 40. Ë peine voit-on surgir de petits dictionnaires dÕapprentissage de modeste diffusion, dont les auteurs se nomment Azed (joli pseudonyme), Normand, Rozoy, MartiniÉ ou personne (le dictionnaire Mame est anonyme). Ë part le dictionnaire Hatier (le Dictionnaire essentiel dÕAzed), ils nÕont pas survŽcu ˆ la Deuxime Guerre mondiale.

En ce qui concerne les dictionnaires de langue destinŽs ˆ un public adulte indiffŽrenciŽ, le seul ouvrage dÕimportance est le Dictionnaire Quillet de la langue franaise publiŽ en 1946 sous la responsabilitŽ de Raoul Mortier. Cet imposant opus (3 volumes in 8¡) est le premier dictionnaire de langue illustrŽ. Il conna”tra plusieurs avatars, sous plusieurs titres, avec des auteurs divers ; publiŽ quelque temps en coŽdition par Quillet et Flammarion, il sera totalement repris par Flammarion avant de dispara”tre du marchŽ dans les annŽes 2000.

E-2 : le Ç demi-sicle dÕor È

Nous empruntons ce titre ˆ Jean Pruvost (2006, Les dictionnaires franais, outils dÕune langue et dÕune culture, p. 83).

CÕest en effet entre 1950 (premier fascicule) et 1964 que paraissent les six volumes du Dictionnaire alphabŽtique et analogique de la langue franaise de Paul Robert, qui

Ç sÕinscrit dans la mme dynamique littŽraire que celui de LittrŽ, ne nŽgligeant donc ni la part de lexique culturel passif susceptible dՐtre activŽ, ni une tolŽrance prudente pour les nŽologismes. È (2002, J. Pruvost, Les dictionnaires de langue franaise, p. 69).

Ce dictionnaire ouvre une re de renouveau linguistique particulirement fŽconde. Il donnera naissance au Petit Robert en un volume, rŽalisŽ sous la direction dÕAlain Rey, qui sŽduira presque immŽdiatement un public dÕaficionados prompts ˆ le surnommer Petit Bob en tŽmoignage dÕaffection et dÕallŽgeance. Il sÕinstalle

Ç dans un tandem de dictionnaires en un volume faisant rŽfŽrence et perus comme complŽmentaires, avec dÕun c™tŽ le Petit Larousse, dictionnaire encyclopŽdique reprŽsentant aussi la langue, et de lÕautre c™tŽ le Petit Robert, dictionnaire de langue assorti de citations lui confŽrant une dimension littŽraire. È (2002, J. Pruvost, op.cit., p. 71).

Trs diffŽrente est la monumentale entreprise dirigŽe par Paul Imbs, puis par Bernard Quemada, entre 1957 et 1994. LÕidŽe na”t en 1957 au cours dÕun colloque ˆ

grand dictionnaire national. LՎvolution technique rendant possible le recours (au moins partiel) ˆ lÕinformatique, un gros ordinateur est, en 1961, installŽ ˆ Nancy sous lՎgide de Paul Imbs, depuis peu recteur de lÕUniversitŽ. Les seize volumes in 4¡ du TrŽsor de la langue franaise des XIXe et XXe sicles, dont le titre Žvoque les T[h]resor dÕautrefois, para”tront entre 1971 et 1994. Ce TrŽsor

Ç met en Ïuvre une conception et une mŽthodologie nouvelles. Premier ouvrage de lexicographie historique ˆ tre assistŽ par ordinateur, il a pu ma”triser une richesse documentaire encore sans exemple et affiner notablement les analyses et la distribution des sens et des emplois. È (2002, B. Quemada, article Ç Dictionnaire È in Encyclop¾dia Universalis tome 7, p. 296.)

Sorti des presses la mme annŽe que le tome 1 du TrŽsor de la langue franaise (ou TLF), le tome 1 du Grand Larousse de la langue franaise rejoint le club trs fermŽ

des gros dictionnaires de langue. Le dernier des 7 volumes para”tra en 1978.

Aprs 1994, il nÕy aura plus dÕouvrages de ce type. Ils seront tous les trois informatisŽs. Et, si les Robert ont encore des versions papier mises ˆ jour, le Larousse nÕa pas ŽtŽ rŽŽditŽ et plusieurs volumes du TLF sont ŽpuisŽs ; lÕouvrage devait tre suivi dÕun supplŽment, qui nÕa pas ŽtŽ imprimŽ, mais intŽgrŽ dans la version numŽrique.

E-3 : le marchŽ du numŽrique

Les dictionnaires papier voient inexorablement se rŽduire leur clientle ; on cherche aujourdÕhui lÕinformation sur son ordinateur. La frappe des touches du clavier et le clic de souris ont remplacŽ la manipulation dÕobjets encombrants et le geste prŽcis du doigt qui feuillette les pages.

On peut naviguer du texte ˆ l'image et au son en construisant son propre parcours indŽpendamment des pages imprimŽes auxquelles on avait l'habitude de se rŽfŽrer.

Ç De nouvelles manires de lire sont en train de s'inventer. [...] Elles s'Žlaborent comme des arborescences, se dŽveloppent de carrefour en bifurcation, de manire le plus souvent alŽatoire È. (1995, R.-P. Droit, Ç La nouvelle capture des savoirs È, in le Monde des Livres, 15 septembre 1995, p. VIII).

Ces manires de lire ne modifient pas seulement les formes d'acquisition du savoir, mais le savoir lui-mme, qui doit se plier ˆ de nouvelles rgles d'exposition, d'explication, de corrŽlation. Ce qui est important, ce sont la rapiditŽ et l'accessibilitŽ ; le patient apprentissage, la lente consultation de lourds volumes, sources de maturation, passent au second plan, alors que d'originales et fŽcondes mises en relation sont rendues non seulement possibles, mais faciles.

AujourdÕhui, des bases de donnŽes rassemblent des informations linguistiques venues de nombreux pays francophones dÕAfrique, dÕAmŽrique et dÕEurope, de manire ˆ offrir sur Internet un panorama non pas du franais, mais des franais, langue quÕont en partage plus de 150 millions dÕhommes et de femmes ˆ travers le monde. LÕinformatique, qui a transformŽ en profondeur les modalitŽs de consultation du dictionnaire, en a Žgalement transformŽ les techniques de rŽalisation, et, par lˆ

mme, le travail de conception. Les industries de la langue, comme il est convenu de

les appeler, sont encore dans les limbes, mais les travaux se poursuivent et tout laisse ˆ penser quÕils aboutiront ˆ des productions satisfaisantes.

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