DE LA LANGUE FRANAISE ! ;
C. La cohrence
La cohrence nÕest pas toujours irrprochable, tant pour les renvois que pour les dfinitions qui font appel dÕautres mots, absents ou mal dfinis ou dont un autre sens est dfini, ce qui aboutit des culs-de-sac.
Nous nous attacherons dÕabord quelques dfauts rcurrents, partir dÕexemples repris dans la nomenclature, sans critre particulier, puis une srie de mots appartenant un domaine trs prsent dans le dictionnaire, celui de la religion chrtienne.
C-1 : les renvois
a : renvois non honors
ABE ou BE, s.f. ouverture par laquelle coule lÕeau qui fait mouvoir un moulin.
COMTAT, s.m. comt.
MLéZE ou LARIX, s.m. arbre rsineux.
TZAR, v. czar.
Pour abe, on nÕa pas be [dans ce sens] B. Comtat renvoie comt, qui manque, et mlze larix, qui manque aussi. Et si tzar renvoie czar, les mots drivs de czar (czarienne, czarine, czarowitz) ne figurent quÕavec la graphie cz.
b : renvois omis
Il sÕagit de mots (composs ou non) qui figurent deux reprises, parfois avec des dfinitions diffrentes.
BARBEAU ou BLEUET, s.m. petite fleur qui vient dans les bls.
PETITE-VROLE, s.f. maladie cutane, pidmique et dangereuse.
ROSE-TRMIéRE, s.f. plante bisannuelle ; fleur, sorte de mauve.
On a aussi :
BLEUET ou BARBEAU, s.m. fleur des champs.
TRMIéRE, adj.f. rose , fleurs par tages.
VROLE (petite), s.f. maladie dangereuse qui couvre la peau de pustules, et dont la vaccine est le prservatif.
Les deux dfinitions ne sont pas identiques ; sans tre fondamentalement diffrentes, elles sont globalement exactes, mais ne mettent pas en avant les mmes caractristiques de lÕobjet dfini.
C-2 : quelques balbutiements
Dans un ensemble de mots se rfrant un thme donn, le traitement des entres peut tre ondoyant et divers. Nous avons pris deux exemples : la srie des formats de livres imprims (par ordre de taille) et celle des points cardinaux.
IN-FOLIO, s.m. (inv. au pl.) livre dont chaque feuille forme deux feuillets.
IN-QUARTO, s.m. livre dont chaque feuille plie forme 4 feuillets.
IN OCTAVO, s.m., livre dont chaque feuille plie forme huit feuillets.
IN-DOUZE, s.m. livre dont les feuilles sont plies en douze feuillets.
IN-SEIZE s.m. livre dont chaque feuille plie forme 16 feuillets.
IN-DIX-HUIT, s.m. livre dont chaque feuille est plie en dix-huit feuillets.
IN VINGT-QUATRE, s.m. livre dont chaque feuille est plie en 24 feuillets.
IN-TRENTE-DEUX, s.m. livre dont chaque feuille est plie en trente-deux feuillets.
IN-TRENTE-SIX, s.m. livre dont chaque feuille est plie en trente-six feuillets.
La srie est donc complte ; mais nous avons aussi :
FOLIO, s.m. numro dÕune page ; in-folio, s.m. livre dont les feuilles ne sont plies quÕen deux.
QUARTO (pr. koua), s.m.inv. dont les feuilles sont plies en quatre.
OCTAVO (in), s.m.inv. livre dont chaque feuille est plie en huit.
Dans les points cardinaux, on a :
SUD, s.m. midi, vent du midi ; , partie du monde oppose au nord ; est, point entre le sud et lÕest ; vent qui en vient.
SUD-OUEST, s.m. point entre le sud et lÕouest ; vent qui en vient.
NORD, s.m. septentrion, ple arctique.
Donc : ni nord-est, ni nord-ouest nord, ni sud-ouest sud, mais sud-est sud (et non trait part), et sud-ouest, lÕinverse, trait uniquement part.
C-3 : traitement des entres de lÕensemble Ç christianisme È
Bien que lÕexistence lgale du protestantisme ait t affirme par lÕdit de tolrance de 1787 rendant lÕtat civil aux rforms, lÕadquation christianisme=catholicisme est absolue dans le dictionnaire. Ë Th. Soulice il parat impossible quÕon puisse tre chrtien sans tre catholique, comme en tmoigne la squence suivante :
CHRTIEN, NNE, s. et adj. qui professe la religion catholique ; qui appartient cette religion (h ne se pron. pas).
CHRTIENT, s.f. tous les pays o la religion catholique est professe.
CHRISTIANISME, n.m. religion chrtienne.
DÕautres confessions chrtiennes sont voques, sans rfrence au christianisme. Ë anglican, on a Ç qui professe la religion dominante en Angleterre È. LÕadjectif chrtien ne figure pas non plus dans la dfinition dÕanglicanisme, Ç religion protestante de lÕtat en Angleterre. È Et si lÕon consulte lÕensemble protestant, protestantisme, on ignore toujours de quoi il sÕagit. On a Ç PROTESTANT, E, s. nom donn dÕabord aux luthriens, ensuite aux calvinistes et aux anglicans [ce qui est un bel exemple de cercle vicieux : lÕanglicanisme est une religion protestante, et le nom de protestant est donn aux anglicans]. È, et Ç PROTESTANTISME, s.m. croyance des protestants È. On pourrait esprer en savoir plus avec les entres calviniste et luthrien. Peine perdue : le luthranisme est la doctrine de Luther et le luthrien, un sectateur de Luther. Allons voir du ct de Calvin : le calvinisme est dfini comme Ç secte religieuse, opinion des calvinistes È et le calviniste est celui Ç qui a adopt la doctrine religieuse de Calvin È. On nÕen saura pas plus, le dictionnaire ne comportant pas de noms de personnes. Quant au christianisme orthodoxe, lÕouvrage lÕignore, ne relevant, pour orthodoxe, que le sens : Ç conforme la saine doctrine en matire de religion È.
Notre propos se limitera donc au catholicisme et nous tudierons dÕabord ce qui concerne le Christ, puis ce qui est dit des ftes religieuses, ici nombreuses.
Le Christ figure bien dans la nomenclature :
CHRIST, s.m. le Messie (le s et le t se prononcent).
MESSIE, s.m. le Christ promis dans lÕancien Testament.
Il nÕest pas nomm Jsus, mot qui, cependant, figure dans le dictionnaire :
JSUS, s.m. sorte de papier de grand format.
Trois lignes plus haut, nous avons :
JSUITE, s.m. membre de la socit de Jsus.
Donc, littralement, les jsuites appartiennent la socit dÕun format de papier.
Cette absence de la personne Jsus rend obscures bien dÕautres dfinitions.
INCARNATION, s.f. union du fils de Dieu avec la nature humaine.
Il sÕagit donc de Dieu, le Dieu unique, et non dÕun dieu, et cÕest pourtant dfini comme un nom commun (s.m.). Passons. Dans incarnation, il est question du Ç fils de Dieu È, mais, Dieu, Dieu nÕa pas de fils. Et comme nÕapparaissent dans cette entre incarnation ni Jsus, ni le Christ, ni le Messie, impossible de savoir qui tait ce fils que Dieu (si lÕon se rfre lÕentre) nÕa pas.
En ce qui concerne les ftes, lÕinformation encyclopdique a quelques rats. Certains articles sont irrprochables :
ANNONCIATON, s.f. message de lÕange Gabriel la Vierge pour lui annoncer lÕincarnation ; jour o lÕglise clbre ce mystre.
ASCENSION, s.f. lvation, action de monter ; fte en mmoire de lÕascension de J.-C. au ciel.
ASSOMPTION, s.f. fte de lÕglise catholique en mmoire de lÕenlvement de la Vierge au ciel ; jour o on clbre cette fte.
PåQUE, s.f. fte annuelle des juifs en mmoire de leur sortie dÕgypte ; pques, s.f.pl. fte annuelle de lÕglise en mmoire de la rsurrection de J.-C.
PENTECïTE, s. f. fte solennelle en mmoire de la descente du Saint Esprit.
TOUSSAINT (la), s.f. fte de tous les Saints, le 1er novembre.
Notons que, si le dogme de lÕAssomption nÕa t proclam quÕen 1950, ce miracle est ft en Orient depuis le VIe sicle ; comme pour lÕimmacule Conception, la formulation du dogme a t devance par la pit populaire.
DÕautres entres nÕappellent pas le mme loge. Nous ne reviendrons pas sur les mots circoncision et conception, et nous nous en tiendrons aux exemples ci-dessous, sans nous appesantir sur la question des sigles, aborde infra.
CHANDELEUR, s.f. fte de lÕglise catholique en commmoration de la prsentation de J.-C.
au temple et de la purification de la Vierge.
PIPHANIE, s.f. fte catholique, le jour des Rois.
FæTE-DIEU, s.f. fte du Saint-Sacrement.
NATIVIT, s.f. terme consacr pour la naissance de N.-S., de la Ste-Vierge, et de quelques saints.
NOèL, s.m. fte de la nativit de J.-C. ; cantiques sur cette fte.
PRSENTATION, s.f. action de prsenter. de la Vierge : fte en mmoire de ce que la sainte Vierge fut prsente au temple.
VISITATION, s.f. fte en mmoire de la visite que la Vierge rendit lisabeth
En lÕabsence, dans le dictionnaire, dÕentre consacre lÕhtesse de la Vierge, lÕarticle Visitation est peu clair. Ë Chandeleur, on voque la prsentation de Jsus au temple, alors que lÕentre prsentation ne fait allusion quÕ celle de sa mre.
LÕpiphanie est bien le jour des Rois, mais on nÕy trouve aucune allusion lÕentre roi, qui ignore les rois mages ; et lÕon ne sait ni qui sont ces rois, ni pourquoi ils sont fts. La Fte-Dieu est la fte du Saint-Sacrement, mais on ne trouve ce syntagme ni
saint, ni sacrement (SACREMENT, s.m. signe visible dÕune grce invisible, institu par Dieu pour la sanctification des hommes). Bien que cette dfinition soit excellente, ce qui est rare, il est impossible de savoir ce quÕon fte le jour de la Fte-Dieu. Nol renvoie, fort justement, nativit, mais on donne ce dernier mot un sens
tendu, puisquÕil ne sÕapplique pas seulement la naissance de Jsus, mais celle de Marie et de Ç quelques saints È. Ne nous en tonnons pas, cette prcision (qui nÕen est pas une, le syntagme Ç et de quelques saints È) figure dans tous les dictionnaires antrieurs et contemporains. Si Nicot ne dfinit pas le mot, se bornant
en donner plusieurs traductions latines suivies dÕexemples, galement latins, le dictionnaire de lÕAcadmie franaise (1694) est plus disert. On y lit :
Ç NATIVIT s.f. Naissance. Il ne se dit guere en ce sens quÕen parlant de la Naissance de nostre Seigneur & de celle de la Vierge & de quelques Saints. La Nativit de nostre Seigneur, la Nativit de la Vierge, la Nativit de saint Jean Baptiste. È
Ce Ç quelques saints È, que lÕon retrouve dans de trs rcents ouvrages (le grand Robert version lectronique de 1994, par exemple), est pure invention :
Ç Avec Jsus et Marie, Jean [le Baptiste] est le seul dont lÕglise clbre la naissance (nativitas) È. (1967, G. Marsot, in Catholicisme, hier, aujourdÕhui, demain, tome 6, col. 374).
LÕemploi de sigles (J.-C. ; N.-S.) ajoute la difficult. Ë nativit nous avons N.-S., sans quÕon puisse savoir que cÕest le sigle de Notre-Seigneur, syntagme que lÕon trouvera (sans trait dÕunion) la fin de lÕentre seigneur (Ç le Seigneur : Dieu, notre seigneur J.-C. È). Ce J.-C. cach, notamment, dans nativit et dans seigneur se rencontre ailleurs :
NAZAREN, ENNE, adj. sectaire juif qui honorait J.-C. comme un homme juste et saint.
Outre que la dfinition est trs trange, outre le fait quÕun adjectif est dfini par un nom, impossible de savoir QUI honorait ce sectaire, puisque la signification du sigle nÕest nulle part donne.
Si nous nous sommes tendus sur le vocabulaire des chrtiens, cÕest parce quÕil est trs prsent dans le dictionnaire. Il lÕest aussi, naturellement, dans les autres dictionnaires contemporains : la France est catholique 90%. Mais on ne retrouve pas ailleurs lÕadquation chrtien = catholique. Le recensement des ftes liturgiques y est moins complet, le S.-P.& D. nglige la Circoncision du Christ (le substantif est dfini de manire elliptique), la Conception (de la Vierge) et la Fte-Dieu, qui est
galement laisse de ct par Landais. On ignore les raisons de lÕabondance de ce vocabulaire. CÕest peut-tre une marque personnelle de lÕauteur, dont la bibliographie comporte des ouvrages dÕdification pour la jeunesse ; il a, en effet, adapt les Considrations sur les Ïuvres de Dieu dans la nature et dans la Providence, crit apologtique du pasteur luthrien Christoph Christian Sturm (1740-1786) qui eut un immense succs (y compris dans les milieux catholiques qui en modifirent quelques dtails) jusquÕ la fin du XIXe sicle.