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Chapitre 4 : Démarche méthodologique

4.5. La méthode d’analyse thématique mobilisée

4.5.2 Déroulé de la méthode

Combinant le codage multinomial à la méthode de Gioia & al. (2013), notre méthode se déroule en plusieurs temps. Cette méthode utilise comme bases de fonctionnement, en plus des conditions de validité d’usage citées plus haut, un matériel composé d’au moins une question de recherche (dans notre cas, c’est notre problématique) et, lorsqu’elle s’adresse à un corpus d’entretiens (type de corpus pour lequel la méthode a été conçue au départ), d’un guide d’entretien. En plus de notre grille de lecture issue de la théorie de l'acteur-réseau (destinée à porter un regard processuel sur le matériau étudié) ces éléments serviront de guide.

Notre méthode d'analyse est phasée en plusieurs temps. Son principe essentiel consiste à élaborer une liste de thématiques de terrain qui seront ensuite confrontées à la théorie.

Comme précisé précédemment, notre méthode commence par une première étape de codage qui consiste à identifier des unités de sens dans le texte et à les nommer. Nous appellerons cette partie de la démarche analyse de premier ordre (reprenant ainsi les termes de Gioia & al., 2013). Il s’agit d’effectuer un codage des données en « collant » le plus possible aux termes utilisés par les répondants du corpus. Il s'agit d'un classement des thèmes abordés par les répondants avec leur vocabulaire, pas avec celui du chercheur. Cela permet au chercheur de minimiser le risque de perdre un concept important aux yeux de l’auteur du corpus mais peu ou pas anticipable d’un point de vue théorique. Toutefois, comme précisé plus haut, afin de cadrer l'analyse sans la prédéfinir, nous ajoutons aux codes émergeants un code issu du modèle de construction d'un réseau sociotechnique défini par Latour (2006) : chaque code émergeant sera précédé d'un chiffre correspondant à la phase de construction du réseau à laquelle ce code se réfère (chiffre de 1 à 6).

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Tableau 21: Liste des étapes de la performation d'un réseau sociotechnique d'après la théorie de l'acteur-réseau Code Phase de référence

1 L'identification des acteurs humains et non-humains

2 L'identification des porte-paroles de chaque actant du réseau 3 Processus d'intéressement

4 La simplification du réseau

5 L'enrôlement et la mobilisation des acteurs 6 Consolidation et pérennisation du réseau

Les thèmes sont les concepts et relations des répondants, obtenus en identifiant précisément les unités de sens du texte. Dans cette étape, le nombre de ces thèmes peut très facilement exploser, ce qui rendra indispensable un premier classement des termes utilisés dans le texte support. C'est pourquoi nous avons opté pour ce système hybride doté d'un classement binominal.

Outre la phase à laquelle les thèmes se rapportent, nous classerons les thèmes selon les similarités et différences afin de rendre le nombre de catégories gérable (une trentaine maximum). C’est ce que Strauss appelle le codage axial. Il faudra ensuite donner des noms à ces catégories, de préférence avec les mots des répondants, sous forme d’une phrase ou d’une phrase nominale. En effet, conceptualiser dès cette étape risquerait de nous faire perdre de l’information intéressante (Gioia & al., 2013). Un regroupement des thèmes identifiés en macro-thèmes peut être possible, mais à condition de ne pas perdre d’information. Il faut également songer à observer si une structure plus profonde et implicite existe dans nos catégories.

C’est là que l’analyse de plusieurs types de supports différents peut nous aider dans le cas que nous étudions, de même que l’analyse lexicale que nous conduisons en parallèle : c’est à la fin de cette étape qu’elle permettra de réaliser une première confrontation de résultats inter-analyses. Ceci marquera la fin de notre analyse de premier ordre.

Dans l’analyse dite de second ordre, le chercheur est amené à prendre du recul vis-à-vis de son terrain : il s’agit de la migration vers la théorie. Il s’agit pour lui de se demander ce qui se passe, en termes théoriques, dans le jeu de catégories conceptuelles dont il dispose à partir du terrain. Il va falloir essayer de trouver des liens entre les concepts libellés dans le langage du corpus et des concepts pertinents dans notre champ théorique, sous la forme d’une réflexion de type « Gestalt ». Ainsi, c'est essentiellement à la théorie des méta-organisations, à la théorie des biens communs et, dans une moindre mesure, à la théorie de l'acteur-réseau que nous confronterons les thématiques issues du codage. Une attention toute particulière sera apportée aux thèmes issus du terrain qui ne

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trouvent pas leur pendant dans la théorie : ils vont certainement nous permettre de faire des apports à la théorie existante.

Après l’analyse de second ordre, nous avons une liste d’éléments conceptuels théoriques à notre disposition. Il s’agit de savoir si nos concepts de premier ordre suggèrent des concepts théoriques susceptibles de nous être utiles par la suite. Toutefois, il ne s’agit que d’une simple énumération de concepts présentés dans le désordre, sans liens entre eux et par conséquent extrêmement peu capables de véhiculer du sens en l’état. Il va falloir transformer la simple liste de concepts en modèle conceptuel. Pour ce faire, nous allons procéder à une agrégation : une fois que le chercheur a atteint la saturation du second ordre (on a trouvé tous les thèmes théoriques émergeants), il va agréger les thèmes en familles qui constitueront les dimensions du modèle théorique, et ce jusqu’à l’obtention d’une saturation des dimensions (trop de différences entre les macro-thèmes pour permettre une agrégation).

Une fois les données codées agrégées (dans la mesure du possible), le chercheur va déterminer la structure de données (data structure), le chercheur va schématiser graphiquement avec des boîtes et des flèches le cheminement précédent afin de fournir une représentation visuelle de la démarche depuis les données brutes. Cela permet d'insister sur la rigueur du travail et de le rendre nettement plus facile à comprendre pour le lecteur.

Ensuite, le chercheur devra effectuer des allers-retours de comparaison avec la littérature : il s’agira de faire un point sur les apports (étude de la pertinence du modèle conceptuel trouvé par rapport aux lacunes de la littérature). Cela a un léger aspect abductif, puisque nous nous demandons non seulement ce que notre terrain apporte à la littérature, mais aussi quel est l’impact de ces apports sur notre terrain et quel impact ce dernier peut renvoyer à la théorie compte tenu de cela.

La structure de données que nous avons pu obtenir constitue un schéma important mais qui reste statique. A ce stade, la dynamique du phénomène organisationnel étudié demande encore à être abordée. C’est pourquoi le chercheur doit effectuer une « analyse des relations », qui réalisera la mise en mouvement. Il s'agit de capturer les expériences phénoménologiques des informants sous forme d’articulations théoriques. Il faut identifier les mouvements entre les concepts émergeant du terrain qui décrivent ou expliquent le phénomène organisationnel auquel on s’intéresse grâce aux liens entre données et théorie (Gioia, 2013). Le résultat de cette analyse doit de préférence être représenté graphiquement. La différence avec la représentation graphique de la structure de données, c’est qu’à cette étape, des relations dynamiques (sous forme de flèches étiquetées par exemple) relient les briques conceptuelles finales obtenues à l’aide de la structure de données,

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enrichie par les allers-retours théorie-terrain qui ont éventuellement pu être effectués, dans la mesure du possible.

Sur le plan de l’enrichissement de la méthode, nous proposons de mettre au profit de cette méthodologie un élément majeur de notre terrain : le caractère fortement contextualisé des corridors logistico-portuaires en raison de leurs caractéristiques géographiques, caractéristiques qui, usuellement, sont au premier plan lorsque le corridor est traité par des géographes, mais qui passent au second plan dès lors que c’est sous l’angle des sciences de gestion que l’on aborde le corridor. En effet, nous souhaitons avoir une vision élargie sur plusieurs corridors de contextes et localisations différents. En outre, nous souhaitons signaler que la méthode initiale de Gioia & al. (2013) est à l’origine prévue pour un support constitué par des entretiens, et que nous proposons ici de l’appliquer également à des documents officiels afin de compléter l’analyse.