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Chapitre 1 : La théorie des réseaux

1.2. Comparatif des principales formes de réseaux inter-organisationnels

1.2.1. Cadre de comparaison

Cette partie va procéder à une comparaison des différentes formes de structures en réseau afin d'en inventorier les caractéristiques. Nous utiliserons un cadre de comparaison dérivé des travaux de Mintzberg (1983, 1987, 1998), Garrabé (2007, 2008), Chabault (2009) et Lemieux (2015), qui fournissent des éléments permettant de qualifier les attributs d'un réseau.

Mintzberg (1983), s'est fortement penché sur le pouvoir dans les organisations. Il s’est non seulement intéressé au pouvoir à l'intérieur des organisations, mais il s'est également penché sur les relations de pouvoir entre organisations, notamment lorsqu'il aborde la notion de coalition externe. La coalition externe se rapporte aux rapports de force entre l'organisation et les entités qui l'entourent au sein des réseaux auxquels elle est liée (Mintzberg regarde le réseau depuis une organisation membre précise à laquelle s'intéresse le chercheur). Lorsqu'il aborde la notion de coalition externe, il identifie la répartition du pouvoir comme moyen de classer les coalitions externes, et par conséquent les réseaux inter-organisationnels. Il distingue principalement la coalition dite "dominée" dans laquelle le pouvoir est concentré entre les mains d'un acteur disposant d'un pouvoir plus important que les autres, la coalition dite "divisée" lorsque le pouvoir d'action sur l'organisation d'intérêt est regroupé entre les mains de plusieurs acteurs indépendants, et la coalition dite "passive", dans laquelle les acteurs se désintéressent de l'exercice du pouvoir. Cette classification des coalitions externes de l'organisation par Mintzberg incite à tenir compte du degré de centrage du pouvoir de gouvernance comme critère de catégorisation des réseaux inter- organisationnels.

La gouvernance des réseaux est également abordée par Garrabé (2007, 2008), qui se concentre sur la manière dont le réseau accumule du capital institutionnel. Garrabé (2008) définit le capital institutionnel comme "un réseau dynamique d'institutions formelles et informelles complémentaires et articulées, qui constituent la structure incitative organisant les relations entre les individus ou entre les organisations au sein de processus de production économiques et sociaux". L'accumulation du capital institutionnel est le processus de construction de ce système d'institutions coordonnées au sein d'un réseau. Sur ce plan, Garrabé distingue plusieurs catégories de réseaux : ceux où le capital institutionnel est constitué par un mimétisme au sein des membres du réseau,

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ceux où les institutions s'harmonisent au fil du temps, ceux où il y a une véritable innovation par invention d'institutions d'un type nouveau, et ceux dans lesquels on observe la transformation de comportements informels préexistants en institutions formelles. L'accumulation de capital institutionnel est plus ou moins apparente de l'extérieur d'un réseau à l'autre. L'évocation des institutions formelles et informelles par Garrabé nous permet également de remarquer que le caractère formel ou informel de la gouvernance d'un réseau peut également servir de critère de classification. L'importance de la distinction des entités réticulaires selon ce critère est renforcée par les travaux de Gadille & al. (2013) et Dumez (2008).

Chabault (2009) met en valeur le lien entre réseau et territoire, qui sert également de critère de classification : un réseau peut être concentré sur un territoire donné, comme c'est le cas pour les pôles de compétitivité, ou étendu à une échelle très large comme c'est le cas de certaines fédérations sportives internationales. Il porte également une attention non négligeable à la genèse du réseau, a fortiori en ce qui concerne son caractère émergeant ou délibéré, résultant d'une volonté.

Chabault (2009) et Gadille (2013) mettent également en valeur l'autonomie des membres d'une entité réticulaire comme un élément clé de leur caractérisation. En effet, la gouvernance d'une telle entité et ses réactions peuvent varier selon que les acteurs conservent une forte indépendance les uns vis-à-vis des autres ou qu’ils soient fortement dépendants d'un ou plusieurs autres acteurs du réseau : ils deviennent alors tributaires de l'autorité réticulaire ou de leurs partenaires.

Lemieux (2015) utilise plusieurs axes de classification des réseaux. Il structure son ouvrage "Les réseaux d'acteurs sociaux" selon différentes catégories de réseaux : réseaux marchands, de communication, de parenté, d'affinité, de soutien, d'entreprises, de clientélisme et de politiques publiques. Nous observons dans cette structuration la présence d'un élément non négligeable de distinction des réseaux : leurs objectifs, leur raison d'être. Nous pouvons déterminer plusieurs catégories de raison d'être, mais plus globalement, il peut s'agir de développer une innovation, une coopération, une collaboration, de réduire des coûts, de diffuser un produit, d'influer sur les décisions prises par la sphère politique ou encore de soutenir une cause à défendre. Mintzberg met également en valeur l'importance de l'objectif stratégique pour une organisation. La structure utilisée par Lemieux dans son ouvrage fait également penser à la nature des acteurs constituant le réseau : il peut s'agir de familles, d'entreprises, d'associations ou encore d'entités politiques telles que des Etats, des régions ou des communes. Une simplification de classification possible pourrait consister à classer les acteurs selon leur caractère public ou privé. Une notion connexe à la nature des acteurs est l'homogénéité de cette dernière, qui peut influer sur le fonctionnement du réseau du fait des différences d'objectifs individuels des membres (Olson, 1965).

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Dans la dernière partie de son ouvrage, Lemieux (2015) propose également d'autres critères de classification basés sur leurs caractéristiques dites "systémiques" : les frontières du réseau, ses connexions (avec qui ? quelle variété ? quelle structure ?), le capital social (ce qui rejoint de près le capital institutionnel évoqué par Garrabé) et la transmission/propagation des ressources au sein du réseau. Il s'agit d'éléments de classification fortement liés à la gouvernance du réseau ainsi qu'à ses acteurs constitutifs.

Ces différentes visions peuvent être résumées en un faible nombre de thématiques. Afin de synthétiser ces différents critères de classification des organisations, nous proposons un cadre de classement dans le tableau 1. Ce cadre est divisé en cinq critères de classement principaux (Genèse du réseau, objectifs, mode de gouvernance, acteurs constitutifs et délimitation territoriale) dont certains sont divisés en sous-critères.

Tableau 1 : Trame de comparaison des différentes catégories d'entités réticulaires

Critère de comparaison Sous-critères Modalités

Genèse Spontanée ou délibérée.

Objectifs du réseau Développer une innovation,

Développer une coopération, Réduire des coûts, obtenir un statut, influer sur les décisions politiques

Mode de gouvernance Type de leadership Avec ou sans entité focale

(présence d'un noyau) Mode d'accumulation du capital

institutionnel

Mimétisme, Harmonisation, Innovation institutionnelle, transformation de l'informel en formel

Formalisation des relations de gouvernance

Gouvernance formelle, semi- formelle ou informelle. Existence ou non d'une structure de gouvernance.

Acteurs constitutifs Homogénéité Homogène ou hétérogène

Autonomie Forte, moyenne, faible, aucune

Caractère public ou privé des membres

Privés, privés et publics, publics Mode de partage des ressources Présence ou absence d'un capital

commun, mise à disposition d'un capital clé par un membre.

Délimitation territoriale Localisé sur un territoire ou non

A l'aide de ce cadre d'étude, nous allons analyser dans les parties qui suivent les principales catégories d'entités réticulaires que sont les écosystèmes d'affaires (Moore, 1993), les clusters (Porter, 1998), les districts marshalliens (Marshall, 1890) et italiens (Beccattini, 1979, cité par Becattini, 2002), les systèmes productifs localisés (Levesque & al., 1998), les réseaux territorialisés d'organisations (Chabaud & al., 2006) et les méta-organisations (Ahrne & Brunsson, 2005).

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