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Démonstration holophonique 132!

Chapitre 3 : Modes d’exploration et d’observation du paysage 124!

3.2. La centralité de la technique de la « plongée » 130!

3.2.1. Démonstration holophonique 132!

Nous avons soumis la plongée à une vérification scientifique. Le rapport « Dessins sonores » du 15 mai 2012, établi par Jean-Louis Gutzwiller (chercheur spécialisé en images hyper spectrales, codeur 3D par arbres), Stéphane Rossignol (chercheur spécialisé en modélisation et mesures des signaux, notamment de la voix) et Jean-Baptiste Tavernier (ingénieur spécialisé en traitement du signal) de Centrale Supélec en témoigne136. Le but était de comprendre si elle s’appuyait effectivement sur un mode cognitif, c’est-à-dire un mode qui s’ancre dans un fonctionnement d’ordre commun. Comme nous avions pour projet de retraduire nos dessins en son, nous avons également voulu vérifier si notre manière de travailler pouvait convenir à la modélisation. L’enquête avait donc trois vocations, s’assurer

135 Dictionnaire Larousse en ligne, consulté le 14 juillet 2015 136 Rapport complet in CD en annexe de cette thèse

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de la justesse de notre écoute, s’assurer de l’efficacité de notre technique exploratoire, s’assurer de la validité de nos restitutions. L’analyse s’est effectuée dans une smartroom, dotée d’une plateforme spécialisée en holophonie (simulation sonore en 3D), où les chercheurs réfléchissent sur la connexion entre objets sonores dynamiques et corps. Équipé d’un holoplayer [fig.18], qui peut jouer 16 sources en simultané sur 76 haut-parleurs, « […] permettant de diffuser des sons donnant l'impression de provenir de n'importe quel endroit de l'espace », ce dispositif permet de « recréer virtuellement des paysages sonores réalistes137 ».

Figure 18

Le protocole expérimental consistait à mesurer notre écoute, les effets de nos postures corporelles. Pour ce faire, nous avons procédé par plusieurs étapes. Il s’agissait de :

1. diffuser une banque sonore sans que nous connaissions ni l’ordre d’apparition des sons, ni leur positionnement ou leur orientation dans la salle, ni les directions que les sons allaient prendre dans le temps, exactement comme dans une situation réelle, hormis le fait que devant le paysage naturel, nous sélectionnons nos « zones d’écoute » selon des critères plus riches que les simples effets acoustiques, des liens donc à la seule forme construite;

2. enregistrer simultanément les mouvements d’un crayon numérique, grâce à une tablette graphique;

3. étudier la « […] la relation entre ces mouvements et la position de la ou des sources sonores138 ».

L’ensemble des enregistrements a été « […] marqué temporellement afin de faire coïncider les mouvements du crayon avec les mouvements de la source sonore139 ». L’expérience a été menée sur deux enregistrements : « Une source continue dans le temps qui se déplace tout autour du point central de la pièce ; Un chant d’oiseau, qui est joué plusieurs fois à des endroits différents (pour une reproduction du chant, la source se trouve à une position fixe)140 ». Dans un premier temps il s’agissait d’étalonner la manipulation et de « […] vérifier que le programme d'analyse donne les bons résultats ». Ce travail était effectué par des ingénieurs/chercheurs. L'expérimentateur [ici d’abord Jean-Louis Gutzwiller] s'est attaché à reproduire graphiquement la position exacte de la source, « […] ce qui était d'autant plus facile que ce dernier connaissait les positions programmées ». Les collègues/ chercheurs ont « […] tracé les courbes représentant les positions angulaires successives, à la

137 GUTZWILLER Jean-Louis, ROSSIGNOL Stéphane, TAVERNIER Jean-Baptiste, Dessins sonores, Rapport scientifique, Metz, Centrale Supélec, 15 mai 2012, p. 3. Notons reproduisons le rapport complet in CD en annexe.

138 Ibid. p. 3 139 Ibid. p. 3 140 Ibid. p. 3

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fois de la source et du crayon141 ». Dans un second temps il s’agissait de procéder à nos propres manipulations sur le même protocole. C’est cette seconde phase que nous reproduisons ci-dessous.

Il y a eu trois séries de manipulations :

Dans la première série, il nous a été demandé de dessiner la position du son (d’où vient le son), sans que nous bougions la tête.

Figure 19

Source tournante (En rouge position angulaire de la source, en bleu position du crayon) Remarquons ici un « trou » entre20/2 et 40/4 :

Il correspond à l’interruption de la série des HP due à la présence de la porte de la salle

Figure 20 Image obtenue

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Figure 21

Source jouée à des positions successives

(En rouge position angulaire de la source, en bleu position du crayon)

Figure 22 Image obtenue

On constate sur cette série un effet de miroir. « Par rapport à la position de la personne, les sources se trouvant derrière elle sont perçues comme étant devant elle (miroir par rapport au plan latéral). Ce phénomène est normal si l'expérimentateur (ici nous-mêmes) ne bouge pas la tête : le déphasage induit par les sons provenant de l'arrière sont les mêmes que pour le déphasage induit par les sons provenant de l'avant en position miroir142 ».

Les chercheurs nous ont ensuite suggéré de « […] bouger la tête pour mieux positionner la provenance des sons143 ». La série suivante se réalise dans ces conditions.

142 Op.cit. GUTZWILLER Jean-Louis, ROSSIGNOL Stéphane, TAVERNIER Jean-Baptiste, Dessins sonores, p. 8 143 Ibid. p. 8

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Seconde série, où nous nous penchons légèrement en avant, tête baissée vers la gauche, posture qui nous permet d’ajuster la position de nos oreilles :

Figure 23 Source tournante

(En rouge position angulaire de la source, en bleu position du crayon) Remarquons toujours le même « trou » entre20/2 et 40/4 évoqué par la figure 18, p. 59

Figure 24 Image obtenue

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Figure 25

Source jouée à des positions successives,

(En rouge position angulaire de la source, en bleu position du crayon)

Figure 26 Image obtenue

« On constate la disparition de l'effet miroir. Les sources de l'arrière sont maintenant bien situées à l'arrière144 ».

138 Troisième série : Nous dessinons notre ressenti

Il y eu deux écoutes successives avec la source qui tourne. Entre les deux écoutes, nous nous sommes retournée (tourner à 180°). Notons, que la tablette a également subi le retournement. Les angles pour la deuxième partie sont décalés de 180°.

Figure 27 Source tournante

(En rouge position angulaire de la source, en bleu position du crayon)

Remarquons ici le « bougé d’apparence du « trou » originairement entre 20/2 et 40/4 : il commence au même endroit, mais finit plus loin. Cela pourrait traduire la présence d’un obstacle à l’intérieur de la salle (un corps qui passe, une chaise), un changement climatique (déviation des sons par une climatisation par exemple) ou alors un effet d’apprentissage. Au lieu de nous intéresser aux seuls emplacements des sons, nous-nous sommes soudain focalisés sur autre chose (par exemple sur le dernier son écouté, parce qu’il est plus prégnant que celui qui se joue là à l’instant ; ou bien parce que nous guettions une combinatoire de sons pour nous repérer. Cette sollicitation nouvelle a retardé notre réaction, nous dessinions l’emplacement des sons avec un certain retard (nous appellerions cela un « effet de temps de freinage », en faisant allusion au temps de freinage dans la conduite automobile). Remarquons encore le décalage des points bleus sur le second dessin : alors qu’en bas, 140- 160/2, on est dans une image/miroir, en haut ce miroir s’est dissout, bien que pas complètement, ce qui veut dire que nous avons changé de position. Nous ne sommes plus au centre de la salle, (le report de la porte se fait autrement), nous-nous sommes légèrement tournés et baissés après retournement de la tablette (la perceptibilité de l’effet holophonique se joue beaucoup sur l’horizontale et à hauteur des oreilles).

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Figure 28 Image obtenue

« On observe à nouveau l'effet miroir, bien qu'il soit, selon les zones, absent ou présent. Le manipulateur a indiqué qu'il a hésité du fait de sa connaissance préalable du paysage sonore. Dans la figure ci-dessous, les angles des traits au crayon ont été replacés dans leur position logique, en tenant compte de la rotation de position entre les deux manipulations145 ».

Figure 29 Source tournante

(En rouge position angulaire de la source, en bleu position du crayon)

Première conclusion :

Les ingénieurs ont mis du temps pour comprendre l’exercice de la plongée. Lorsque nous parlions du « bouger » de notre tête, ils avaient conclu qu’il s’agissait là de mouvements gauche/droite, haut/bas manifestes. En réalité ces mouvements d’ajustement et de calage sont minuscules, voire à peine visibles, parce que ledit bouger est bien plus qu’un mouvement corporel discret : il est surtout un sentir tout en mouvement, un tendre subtilement vers quelque chose que nous avons appelé la « playing aura ». Comme cette dernière n’est pas exclusivement sonore, qu’elle réunit un ensemble de gestes ambiants, cela nécessite que nous engagions tous nos sens sensoriels, esthétiques et sensibles. Cela nous permet non seulement de raffiner nos perceptions, mais de retrouver nos « motifs » avec précision.

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Nous retenons de cette expérience, que le basculement vers le micro (micro perceptions/ mouvements) n’était pas évident pour les ingénieurs. Ils étaient d’autant plus surpris de la précision de notre écoute. Les mesures établies valident notre technique exploratoire (la plongée) en tant que réponse appropriée à une réalité cognitive. Elles valident encore notre manière de « stabiliser » notre perception. « Stabiliser » veut dire gérer notre rapport à l’horizon, gérer l’endroit-même où la perception frontale (première perception) et de dos (seconde perception) se rejoignent et s’équilibrent pour former une « somme esthétique ». La notion d’horizon n’a rien à voir avec l’horizontalité de la salle, mais correspond à la ligne binaurale (ligne entre nos deux oreilles), dont l’ajustement (calage de la tête et du corps) nous sert pour comparer, puis harmoniser la première avec la seconde perception. « Stabiliser » veut dire encore compenser le déphasage induit par les sons provenant de l'arrière et de l’avant. Les mesures permettent donc aussi de valider notre tourner à 180°, notre tourner progressif à 360°, notre représenter par paires et/ou panoramas superposés.

Figure 30 Figure 31

De gauche à droite : Salle holophonique en cours de construction ; Notre position lors de la première série (Vue depuis la porte d’entrée de la salle) copyright Jean-Baptiste Tavernier 2009, 2012

TRADUIRE LES JACQUARDS EN SONOSCÈNE

Évaluons maintenant ce qui s’est passé sur le plan de notre projet de retraduction des dessins d’écoute Jacquards en son (fiche N°2 de notre catalogue raisonné). L’expérience scientifique remonte à l’année 2013. Afin de reconstruire notre écoute du paysage sous forme de sonoscène, nous avons sollicité les ingénieurs pour traduire nos visualisations en son. Ce sont les « Jacquards » (cf. fiche N° 2 du catalogue raisonné), que nous souhaitions utiliser comme notation. Cela a posé un certain nombre de problèmes au niveau de l’interprétation de l’image, de la compréhension de la notion-même de paysage ainsi qu’au niveau de la prise en charge des effets sensibles et de la « grammaire spatiale spécifique » à mettre en place pour la construction. Voici les difficultés auxquelles nous nous sommes confrontés. Nous les exposerons sous forme d’enjeu fonctionnel et culturel. Cela nous permettra de mieux rendre compte des rapports étroits entre perceptions et représentations. CLICHÉS CULTURELS

Les ingénieurs avaient d’abord un certain mal à comprendre la complexité cartographique des Jacquards. Comme nous sommes artiste, ils relayaient l’image à l’idée qu’ils se faisaient de l’art et en particulier de la peinture paysagère. Ainsi l’interprétaient-ils comme picturale, plutôt impressionniste (le caractère « flou » à l’appui). Alors que ce « flou », c’est-à-dire la dilution des points, le débordement des lignes du carré (traces de pinceau), nous permettaient à nous, artiste, de désigner, ce qui « […] dans l’espace échappe à l’inertie,

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l’énergie potentielle, qui couve dans la matière sous son apparente immobilité146 », ce même « flou » revêtait pour les ingénieurs un « effet » artistique, c’est-à-dire imprécis à leurs yeux. Ce qu’ils pensaient être de l’imprécision était justement le contraire. Comme les sons, effets de la forme construite, effets climatiques, se formaient, se transformaient tout en s’emboîtant, nous procédions par nuancements. La grille nous permettait de localiser ces phénomènes, de traiter leur voisinage immédiat, c’est-à-dire de marquer leurs micro- glissements. Ces derniers relevaient de notre posture d’écoute, du léger bouger de notre corps, lui même suivant le glissement minime des phénomènes sensibles d’un point [A] vers un point [B].

CONSÉQUENCES SUR LA LECTURE ET LA MODÉLISATION

Pendant que nous lisions donc notre carte selon un ordre immersif, les ingénieurs la lisaient comme un système oui/non, point par point, ligne par ligne, de gauche à droite, du haut vers le bas. Pendant que nous cherchions à reproduire la somme ressentie de ce qui faisait scène (soit : l’anachronisme des phénomènes, leur géométrie variable, leur décentrement — et le dispositif holophonique nous laissait imaginer un « jouer » simultané, continu de sons de même nature —), afin de dévoiler la physionomie extrêmement fine de l’ensemble (teneur plastique, intensités des émergences et disparitions, dissimulation des vides et de pleins dans le tout), les ingénieurs, eux, se consacraient essentiellement à la reproduction des mouvements, dont l’apparition/disparition franche des phénomènes sous forme de séquences ponctuellement rehaussées d’évènements instantanées. Alors que nous aurions pu nous rencontrer, en raffinant par exemple l’approche extensive par une gestion nuancée des intensités sonores, nous butions sur la question du jeu simultané et continu de sons de même nature, qui, selon les ingénieurs ne permettait plus d’entendre les trajectoires avec précision. Pendant que nous cherchions à générer une structure durable, localement dense et animée et ponctuellement confuse pour rendre lisible le décentrement de la « forme » globale (cf. la plongée, qui fonctionne sur des repères non orthonormés), ils ne songeaient qu’à garantir la plus grande lisibilité des signaux, la plus grande clarté des provenances et des distances. Rapportons ici deux anecdotes pour mieux encore comprendre ce qui nous séparait. Pendant nos toutes premières séances d’écoute (familiarisation avec l’outil), nous avions eu envie de savoir si lorsque nous diffusions des fréquences pures — notons que le dispositif impose l’usage de sons mono-sources afin d’y appliquer des effets de réverbération nécessaires à la simulation des trajectoires sonores, les fréquences semblaient donc y correspondre par excellence — nous parvenions déjà à produire un relief plastique, c’est-à-dire une seule et unique masse sonore à variations morphologiques. Notre hypothèse s’est confirmée, au grand dam des ingénieurs, parce que l’on ne reconnaissait plus aucune trajectoire. Lors d’une seconde séance, où nous mixions des fréquences pures avec des sons mono-sources préparées par les ingénieurs (du type sons de la nature) nous constations un effet de « dôme », phénomène d’autant plus étonnant que la diffusion était sensée être parfaitement horizontale. Les ingénieurs, d’abord incrédules, ont tout de même vérifié le dispositif. À leur grande surprise, ils ont trouvé un défaut de réglage, qu’ils ont tout aussitôt corrigé sans

146 BISSON Frédéric in Eléments d’arithmétique, Le rythme selon Whitehead et Deleuze, paru in Rhutmos, « Un numéro de la revue la Part de l’œil sur la relation « Formes et forces » et sur les « Topologies de l’individuation, Deleuze, Simodon », Paris, Ruthmos, 12 octobre 2013 en ligne, http://ruthmos.eu/spip.php?article 1008, p. 166

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toutefois « consigner » l’erreur comme potentiellement propice à la simulation d’une structure plus verticale. Voilà que se dévoile non seulement un fonctionnement, mais une écoute, qui, tout en étant aussi précise pour les uns et les autres, ne se revendique pas des mêmes critères, parce qu’elle ne poursuit ni les mêmes buts, ni les mêmes vocations.

AFFILIATIONS

Leur incompréhension à l’égard de notre projet s’explique. L’holophonie étudie la mécanique acoustique en 3D. Tout en se basant sur l’hypothèse que la cochlée détecte et analyse l’objet en 3 dimensions comme s'il s'agissait d'un hologramme acoustique, elle reproduit les différences interaurales, (moment d'arrivée et d'amplitude entre les deux oreilles) les compense et crée l'illusion que les sons produits dans la membrane d'un haut- parleur émanent de directions spécifiques précises. La "head-related transfer function" (HRTF) se base donc sur l’isolement excessif d’objets virtuels, dont les trajectoires sont sensées imiter le déphasage interaural. Ce système fonctionne lorsque l’espace est parfaitement géométrique et seulement si les émissions sonores se font depuis des lignes de haut-parleurs étroitement ordonnancées, ce qui rend les repères orthonormés si importants. Cela conditionne le rapport des ingénieurs à l’espace et à l’outil, parce que cela nécessite une attention particulière au réglage du dispositif spatial et donc à ses propres liens causaux fondamentaux. Ancrés dans le physicalisme classique (l’acoustique étant considérée comme un sous-domaine de la physique), qui assimile en effet les sons à des ondes dans un milieu qui inclut un objet (chose, voix) résonnant, ces derniers assument l’idée que le son ne serait autre chose qu’un certain tremblement de l’air, qui tout en frappant nos oreilles se transforme en objet d’écoute. L’ouïe ne rapporterait à notre pensée rien d’autre que le mouvement des parties d’air qui tremblent. La vraie image de cet objet serait son mouvement [René Descartes]147.

Nous l’avons déjà évoqué plus haut, ce modèle s’accompagne de l’idée de localisation et de provenance, mais aussi de distance. Le dispositif holophonique s’en inspire d’ailleurs par trois fois. Il place les sources de diffusion, les oriente, puis simule des sources provenant de 20m derrière le mur. Il faut y associer l’invention du casque dans les années 1970, qui cherche à compenser la question de la distance (plus aucune distance physique, l’effacement de la distance physique va de paire avec l’invention d’une distance artificielle. Notons au passage que le port du casque nous coupe du monde extérieur), pour comprendre ce qui pose concept au niveau de la modélisation et ce qui devient culture professionnelle, la double représentation du paysage à la fois réel et virtuel, leur rassemblement en un seul et unique espace (intérieur pour le casque, extérieur pour le dispositif holophonique). C’est bien cette géographie nouvelle, qui occupe les ingénieurs. Comme elle redimensionne les paramètres de l’espace (mélange réel/virtuel), paramètres qui peuvent d’ailleurs à l’occasion conduire à une désorientation perceptive de l’auditeur (le virtuel étant généralement associé à l’espace intérieur se trouve ici faisant partie de l’espace extérieur, l’auditeur cherche donc « […] inconsciemment à localiser la provenance des sons comme pour mieux intégrer la réalité acoustique148 »), les ingénieurs se consacrent presque exclusivement à la gouvernance des

147 DESCARTES René, Œuvres philosophiques, Paris, Éditions Garnier 1963, p. 317

148 PECQUET Frank, Espace et représentation sonore in CHOUVEL Jean Marc & SOLOMOS Makis, L’espace : Musique/Philosophie, Paris, Éditions l’Harmattan, 1998, p. 194

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distances réelles et artificielles mélangées, d’où la priorité donnée aux valeurs extensives. Pour remédier à la contingence du dispositif au niveau de la rediffusion (alignement des haut-parleurs à l’horizontale, faible dimension verticale, faibles ellipses), ils se servent de la psycho acoustique appliquée (construction des phases de réverbération par exemple). Au lieu d’incorporer les « défauts » du dispositif (cf. notre anecdote au sujet de l’effet de dôme »), ils n’ont de cesse de corriger les paramètres technologiques. Aussi ont-ils réglé, une fois pour toutes, l’acoustique de la salle et ne se servent plus vraiment des panneaux acoustiques absorbants et réfléchissant prévus pour gérer la pertinence de la salle. Ce qui se passe donc en marge (par exemple la présence de nouveaux meubles, de machines supplémentaires, d’objets quelconques et/ou des variations du nombre de personnes présentes dans la salle, qui modifient eux-aussi l’acoustique) semble ne correspondre ni à leur univers, ni à leur logique.

OBSTACLES

Le concept de l’espace « parfait » et donc « mathématique » aux yeux des ingénieurs, parce qu’il saurait mesurer n’importe quelle réalité spatio-temporelle, n’importe quel point dans l’espace, explique et justifie l’attitude systémique et hiérarchique des ingénieurs. Elle est cependant parfaitement paradoxale à l’égard du projet scientifique qu’ils poursuivent : la préparation d’habitats solidaires. Il faut savoir qu’une partie de leurs études est consacrée à l’amélioration du confort de personnes à mobilité réduite, précisément sur le plan des gestes habitants. Ainsi disposent-ils également d’un appartement/témoin (cuisine et salon) équipé d’un dispositif de « reconnaissance des signaux » (détection de la provenance de commandes vocales), outils qui leur permettent de tester/analyser différents types de situations de la vie de tous les jours, afin de programmer des taches (assistance fonctionnelle). Les sources sont toujours pensées comme locales. Cela permet en effet de détecter des commandes vocales, de les localiser sur des trajectoires bien déterminées (du point par point, de [A] à [B], à [C]). Notons que le réglage du dispositif holophonique et de l’appartement/témoin est au centre de la recherche des ingénieurs. La déambulation sert seulement pour tester les sources mouvantes dans salle holophonique; elle devient source à détecter dans l’appartement/témoin (duo corps/voix).

Bien que les ingénieurs cherchent à anticiper toutes sortes de situations fonctionnelles, et