• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Méthodologie

3.2 Démarche ethnographique

Ce travail s’inscrit dans une démarche ethnographique utilisant la recherche qualitative et inductive comme dynamiques de recherche. Les raisonnements partagés sont issus de participations prolongées à la vie quotidienne et aux temps rituels pratiqués au sein de milieux significatifs quant à mon sujet de recherche. De par mon intérêt et ma sympathie pour les communautés rastafaries, j’ai résonné et cultivé une compréhension des discours et des

45 Le terme stigmate étant ici utilisé sans portée péjorative à la suite de Goffman en tant que terme analytique d’une révélation (portée à la vue) de (ce qui était jusqu’alors) l’invisible (révélation symptomatique).

59

représentations culturelles locales46 du complexe symbolique particulier (Yawney, 1978) par lequel les participants balisent leurs relations tant aux communautés rastafaries qu’à la culture dominante. Mon approche s’appuie ainsi sur le principe d’ « une observation directe, par imprégnation lente et continue, de groupes humains […] avec lesquels nous entretenons un rapport personnel » (Laplantine, 2001, p.17) et s’enrichit d’une perspective dialectique quant au matérialisme symbolique tel que décrit précédemment.

La démarche ethnographique réside dans le fait que le chercheur est son principal outil de mesure, outils qu’il aiguillonne en développant des contacts étroits et privilégiés avec un milieu donné, milieu qu’il tente de comprendre par la façon dont les membres du groupe interprètent les évènements de la vie, par les substances de leurs représentations, par les narratifs de leurs rapports aux normes et aux temps. C’est par des relations de confiance et de proximité développées au sein d’une communauté de pratique, de l’observation sur le temps long ainsi qu’une bonne dose d’autoréflexion que j’ai acquis une connaissance particulière des phénomènes que je réfléchis en tant qu’objets de recherche.

Cette recherche est caractérisée par un fort investissement personnel où ma subjectivité et mes intuitions terrains ont été documentées et analysées. Pour contrer le biais de ma

46 La distinction entre émic et étic est remise en question par Olivier de Sardan (1998) dans son texte

Émique. In: L'Homme, tome 38 n°147. Alliance, rites et mythes. pp. 151-166 Ma compréhension serait émique mais pour d’autres auteurs elle serait étique. En effet, pour Pike , “l’émic est centré sur le recueil de significations culturelles anthropologiques liées au point de vue des acteurs alors que l’étic repose sur des observations externes indépendantes de significations portées par les acteurs et relève d’une observation quasi ethnologique des comportements humains “ (Olivier de Sardan 1998: p 153). Par ailleurs, “dans le monde des sciences sociales anglophones, émic est devenu synonyme de point de vue de l’indigène, des représentations populaires de significations culturelles locales alors que étic se référerait plutôt au point de vue externe, à l’interprétation de l’anthropologue, au discours savant” (p 157). Enfin, pour Olivier de Sardan, l’émic englobe 4 niveaux (données discursives, représentations des sujets, codes et structures) qui renvoie à une distinction entre le sens commun (émic) et le sens savant (étic) et entre données discursives-représentations (émic) et données d’observation et recension (étic) Ainsi, il affirme “l’attention méticuleuse portée aux discours et plus largement aux représentations des acteurs est au cœur de toute démarche émic qui entend rendre compte du point de vue indigène” (p 159). Ma position est plus près de cette dernière

60

subjectivité, j’étais l’observateur observé par moi-même tentant de mettre une distance entre ce qui m’appartient en propre et ce qui appartient au terrain (Bastien, 2007). Auprès des rastafaris ascendants vers l’Afrique, je donnai libre cours à mon ascendant rastafari et je pratiquai au meilleur des possibles le vœux de nazaréat47 : Je portai des dreadlocks de plus

d’un mètre de long ainsi qu’une barbe de plusieurs mois. Je m’exprimai en Iyaric, suivis un régime Ital (végétarien) et ordonnai les narratifs quotidiens depuis l’horizon du monde de vécu rastafari et son complexe symbolique corollaire.

J’ai médité mon terrain et mes ressentis avec des tierces personnes aux réflexions fertiles tel des collègues et professeurs de l’University of West Indies, mon directeur de thèse, les artistes et activistes avec qui j’ai œuvré durant mon séjour ainsi qu’avec ma communauté intellectuelle montréalaise.

Ma démarche rencontre les principes fondamentaux de la recherche ethnographique (Angers, 2000; Olivier De Sardan, 2004).

• J’ai eu un contact direct et prolongé avec une communauté cognitive faisant effet de culture sur son propre territoire.

• J’ai étudié et discuté les influences constituantes du phénomène auquel j’ai pris part, cherchant ainsi à enrichir et stimuler la connaissance propre et relative au milieu choisi.

• J’ai cherché à saisir les multiples dimensions du phénomène analysé et de rendre compte de la complexité dans laquelle le phénomène s’inscrit et acquiert sa signification.

47 « Parle aux enfants d'Israël, et dis-leur: Lorsqu'un homme ou une femme se sera mis à part en faisant vœu de Nazaréat (séparation) pour se consacrer à l'Éternel, […]Pendant tout le temps de son vœu de Nazaréat, le rasoir ne passera point sur sa tête; jusqu'à ce que les jours, pour lesquels il s'est voué à l'Éternel, soient accomplis, il sera consacré, il laissera croître les cheveux de sa tête. » Bible. Le Livre des Nombres : 6 :1.

61

• J’ai tenu compte de ma subjectivité en tant que chercheur comme élément s’intégrant dans la méthodologie et l’analyse

• J’ai développé une série de pactes interprétatifs (Olivier De Sardan, 2004)48 me permettant de lier en un tout cohérent mon implication simultanée auprès de divers milieux, rendant possible et crédible la conduite de mes activités tant pour l’université d’où émerge cette recherche que pour les acteurs sociaux avec qui j’ai œuvré en Jamaïque49.

Mon analyse du symbolisme rastafari a été balisée en tenant compte des éléments soulignés en tant que symboles clefs par Ortner (1973). Selon cette auteure, le chercheur observe quelque chose qui semble être un objet d’intérêt culturel et tente de valider la nature de l’objet en tant que symbole. Pour aller au-delà de l’intuition, cette auteure propose les indicateurs suivants :

• Les membres de la population étudiée nous disent que X est culturellement important pour eux.

• Les membres de la population étudiée semblent positivement ou négativement en accord avec X, plutôt que simplement indifférents.

• X se déploie dans plusieurs contextes. Ces contextes peuvent être comportemental ou systémique. X apparait dans différentes sortes d’action, de situation ou de

48 Selon Olivier de Sardan (2004), d’une certaine façon, l’anthropologue scelle avec son lecteur ce qu’on pourrait appeler un « pacte ethnographique » qui assure de notre sérieux et de notre professionnalisme : ce que je vous décris est réellement arrivé, les propos que je vous rapporte ont réellement été tenus, le réel dont je vous parle n’est pas un réel de fiction, ni le produit de mes fantasmes.

49 Voici ma série de pactes : 1- Pacte avec le département d’Anthropologie de l’Université de Montréal puisque je provenais d’étude en sociologie à l’UQÀM et que les cultures épistémologiques y ont leurs différents ; 2-Pacte avec le comité d’éthique pour parvenir à répondre à leur critère sans ruiner mes possibilités d’approches auprès du milieu rastafari ;3- Pacte avec les rastafaris de Jamaïque et l’Ordre du Nyabinghi en tant qu’étranger assistant aux Assemblées ;4- Pacte en tant qu’étranger mandaté par l’Ordre du Nyabinghi de documenter les assemblés et de faire office de messager outre-mer.

62

conversation. X apparait dans différents domaines symboliques (mythe, rituel, art, rhétorique, etc.).

• Il y a un plus grand investissement culturel autour de X c'est-à-dire élaboration de vocabulaire, ou élaboration de l’essence de X, comparativement à un phénomène similaire dans la culture.

• Il y a plusieurs restrictions culturelles autour de X soit en terme de règles ou de sanctions.

Ainsi, la culture rastafarie déploie des manifestations symboliques à travers ses assemblées Nyabinhgi, ses chants et son langage. Ceci sera davantage explicité dans la section des résultats.