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Délinquance et criminalité dans les villes françaises en

L’évolution des volumes et des formes de la délinquance et de la criminalité nourrissent l’inquiétude sécuritaire. Mais les volumes importants de crimes et délits dans les villes ne sont pas les seuls faits qui nourrissent cette inquiétude, les phénomènes de violence urbaine alimentent également les peurs des citadins.

1.4.4. Violences urbaines, de nouvelles formes de transgression de la norme ?

Rappelons tout d’abord que, si l’on considère les normes sociales, celles-ci n’étant pas exprimées explicitement, il est difficile d’évaluer l’évolution des transgressions. Ainsi tout le discours sur l’augmentation des comportements incivils s’est développé sans reposer sur des informations concrètes quant au nombre d’actes d’incivilité.

Mais s’il est difficile de prendre la mesure de l’évolution du phénomène des incivilités, les violences urbaines ont fait l’objet d’un recensement et d’une analyse. Ce sont les Renseignements Généraux qui ont été à l’origine de ces études.

Nous reviendrons plus loin (cf. § 2) sur les modalités précises d’enregistrement des phénomènes de violence urbaine. Pour comprendre quelles données les violences urbaines recouvrent, indiquons ici que les violences urbaines ont été analysées par les Renseignements Généraux afin d’anticiper les périodes de crise, c’est-à-dire les émeutes urbaines. « Les émeutes ne se produisent pas ex-nihilo, mais plongent leurs racines dans une petite délinquance juvénile collective, ouverte et provocatrice, qui passe par différentes formes se succédant toujours dans le même ordre. » [Bui Trong L., 1993, p. 235].

Cependant cette « petite délinquance juvénile », n’est pas répertoriée dans les statistiques de la criminalité et de la délinquance, car elle fait rarement l’objet de plainte (faible préjudice, crainte de représailles, actions collectives…). Pourtant elle génère un fort sentiment d’insécurité, amplifié par la visibilité des actes et l’arrogance de leurs auteurs. Au début des années 1990, les Renseignements Généraux ont étudié quartier par quartier, dans près de 800 zones dites "sensibles" la nature exacte des violences qui s'y déroulaient. Ils ont ainsi mis en évidence un certain nombre de comportements provocateurs. Ces comportements ont été placés sur une échelle selon la gravité de l’atteinte à l’ordre public et du défi lancé aux institutions (Figure I-5).

Le degré 1 n’a pas de caractère anti-institutionnel mais constitue une sorte de "bruit de fond" sur lequel peuvent venir s’accrocher des événements plus graves. Le degré 4 est un seuil décisif, à partir de ce niveau les évènements traduisent une certaine solidarité de groupe. Les degrés 7 et 8, peu fréquents, constituent des réactions émotionnelles. Réactions "à chaud", elles sont plus ou moins graves selon le degré de violence enregistré au quotidien.

Les lieux et les acteurs sont les mêmes entre le niveau 1 et les autres niveaux. Les données sont enregistrées par quartier. « Un quartier est catalogué sur l’échelon le plus élevé qui a été atteint au moins 5 fois au cours de l’année écoulée, sachant que les incidents de degrés élevés s’ajoutent toujours à des incidents moins élevés sur l’échelle. » [Bui Trong, 2000b, p. 128].

L’hypothèse d’une escalade progressive des faits de violences urbaines selon les degrés de l’échelle est illustrée par les chiffres suivants [Bui Trong L., 1998] :

8 % des quartiers de degré1 connaissent des évènements de degrés 7 ou 8 16 % des quartiers de degré2 connaissent des évènements de degrés 7 ou 8 27,1 % des quartiers de degré3 connaissent des évènements de degrés 7 ou 8 56,7 % des quartiers de degré4 connaissent des évènements de degrés 7 ou 8 83,8 % des quartiers de degré 5 ou 6 connaissent des évènements de degrés 7 ou 8 Il est difficile d’évaluer de manière quantitative l’évolution des phénomènes de violences urbaines. En effet, le nombre de quartiers observés (qu’ils enregistrent ou non des phénomènes de violence urbaine) varie au fil des années. Ainsi de 800 quartiers étudiés en 1991, on est passé à 1200 en 1999. D’autre part le recensement des faits par les services territoriaux s’est affiné au fur et à mesure des années.

Les quartiers touchés par les phénomènes de violences urbaines sont passés de 106 en 1991 à 818 en 1999. Le nombre d’événements enregistrés est passé lui de 3 000 à 29 000. Mais ces mesures sont peu significatives, étant donnés les progrès faits dans la collecte de l’information par les services d’observation du terrain.

En 1999, 60% des quartiers (soit 486) n’étaient affectés que par le degré 1. Cette proportion était inférieure à 40% en 1993. De l’ensemble des faits caractéristiques de ce degré 1, 70% étaient des incendies. Les quartiers de degré 2 sont plus nombreux, notamment à cause du développement des faits de violences contre les porteurs représentants d’une institution, que

de degré 6 est croissant, en revanche les quartiers de degré 7 et 8 sont en recul. Il y a, avec le temps, un "tassement" des quartiers vers le bas de l’échelle. Mais ce phénomène peut signifier le passage d’une violence d’expression (émeute comme contestation de l’institution) à une véritable délinquance, liée notamment au trafic de drogues. Le développement, depuis 1997, des affrontements et rixes entre bandes de quartiers différents relève de ce même phénomène. Pour Lucienne Bui Trong [2000a, p. 151] « tout se passe comme si la violence urbaine était un phénomène biologique soumis à différentes phases : elle commence par une phase juvénile et ludique, monte jusqu’à une phase franchement explosive, puis redescend jusqu’au tassement final après être passée par une phase de maturation et de transformation interne. Autrement dit, la violence urbaine n’augmente pas indéfiniment, elle a ses propres limites ».

1.4.4.1. La persistance des quartiers sensibles comme le retour au calme peuvent masquer le développement d’une économie parallèle.

Sur les 818 quartiers touchés par la violence urbaine en 1999, 355 font partie des 483 quartiers déjà recensés en 1993. Il y aurait donc un "noyau dur" de quartiers sensibles.

En revanche, les 128 quartiers qui ont cessé d’attirer l’attention, ont soit vu leur situation s’améliorer réellement (restructuration du quartier, encadrement socio-éducatif), soit connu le développement du "business" et de l’économie souterraine liée à la drogue. Dans ces quartiers les violences de degré 1 observées relèvent de la délinquance crapuleuse et des trafics illégaux. Les rixes deviennent « des affrontement armés en vue de règlement de compte, dans le cadre des contentieux des commerces illicites. » [Bui Trong L., 2000a, p. 247]. D’autre part les trafiquants s’arrangent pour que les jeunes « évitent d’attirer l'attention par leurs comportements anti-institutionnels provocateurs. » [ibid, p. 247].

Dans ces quartiers, les violences collectives ou émeutes, correspondraient à des interpellations multiples et simultanées dans le cadre d’enquêtes ciblées sur les réseaux.

1.4.4.2. La « petite délinquance juvénile » ne s’exprime pas seulement dans les quartiers.

La géographie de la violence ne peut se réduire aux seuls territoires de la banlieue. Aujourd’hui, une dialectique complexe s’établit entre les zones périphériques et les autres quartiers [Joly J., 1995]. Depuis le milieu des années 1990, le phénomène de "violence urbaine", déborde des quartiers d’origine vers d’autres lieux.

Les jeunes se déplacent en groupe et se sentent, de ce fait, invulnérables. Ils adoptent des comportements arrogants, s’approprient certains espaces publics. Ainsi certaines lignes de bus, de train, des centres commerciaux deviennent-ils des sites sensibles. Certaines

circonstances de leur vie sociale (école, villégiature, armée, centre de détention), amènent les jeunes à se retrouver ensemble en dehors du quartier, comme à l’occasion de certains évènements nationaux, rassemblant les foules (manifestations lycéennes, fêtes de la coupe du Monde par exemple). Les "violences urbaines" deviennent alors visibles par tous et peuvent faire naître un sentiment d’insécurité.

1.4.4.3. En France : Opposition le long d’une ligne Caen-Marseille

La répartition géographique des actes de violence urbaine recoupe les traits de la carte de l'urbanisation française. A l’exception de quelques grandes agglomérations (comme Nantes, Angers, Bordeaux, ou Toulouse), l'ouest, le sud-ouest, et le centre du pays sont épargnés ou peu ou pas marqués par cette situation. En revanche à l’est d’une ligne de partage de Caen à Marseille, se situent aujourd’hui l’essentiel des quartiers enregistrant des violences urbaines (Carte I-4). L’agglomération parisienne, qui peut s’étendre jusqu’à 50 km au delà des limites de la ville de Paris, compte à elle seule plus de 200 quartiers sensibles.

Carte I-4 : Les quartiers ayant connu des violences urbaines, par agglomération, en France, en 1996

La Carte I-4 figure les données sur les violences urbaines telles qu’elle sont recensées par les Renseignements Généraux. Mais la même répartition peut également se lire dans les

l’autorité (Carte I-5) constituent des infractions définies par le Code pénal qui peuvent se rattacher aux phénomènes de violences urbaines.

Carte I-5 : Les atteintes à la "paix publique" dans les départements français en 1993

Si l’on s’intéresse aux violences urbaines, c’est-à-dire aux quartiers classés en degré 4, 5 ou 6, la répartition géographique oppose moins radicalement ouest-"calme" et est-"agité", mais présente des spécificités locales plus nombreuses (Carte I-6).

Une première zone se dessine du département du Nord aux Alpes-Maritimes, regroupant les départements du Rhône, de l’Ain, des Bouches-du-Rhône et du Var. Ces départements ont un nombre important de quartiers enregistrant des violences urbaines, mais seul un petit nombre d’entre eux (1 sur 5 en moyenne) connaît des phénomènes de violences urbaines anti- policières (Carte I-6 et Figure I-6). Ces quartiers peuvent être marqués par un retour au calme, dû parfois au développement d’une économie parallèle comme nous l’avons dit plus haut. En ce qui concerne les émeutes (Figure I-7), certains départements comme le Rhône en ont enregistré un nombre particulièrement entre 1982 et 1999. À l’inverse, les Bouches-du-Rhône semblent avoir un potentiel émeutier faible, ceci pouvant être dû au développement d’une délinquance violente à visées lucratives.

Carte I-6 : Nombre de quartiers touchés par les violences urbaines et part des quartiers touchés par les violences à caractère anti-institutionnel marqué, dans les départements français en 1999 Figure I-6 : Relation entre le nombre de quartiers touchés par les violences à caractère anti-institutionnel

et le nombre total de quartiers touchés par les violences urbaines, dans les départements français en 1999

À l’Est de cette zone de calme relatif, les départements des Ardennes, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin paraissent avoir un potentiel explosif important. En effet, dans ces départements, plus d’un tiers des quartiers sont classés en degrés 4, 5 ou 6. Plus au Sud et à l’Ouest, le département de la Loire présente le même profil (Carte I-6 et Figure I-6). Le Bas-Rhin enregistre un nombre particulièrement élevé d’émeutes (degrés 7 ou 8) entre 1982 et 1999 (Figure I-7). Les événements qui se reproduisent chaque année au moment de la Saint- Sylvestre expliquent certainement ce chiffre élevé.

L’Ile-de-France compte 274 quartiers marqués par la violence urbaine, soit plus d’un tiers des quartiers de l’ensemble de la France. En ce qui concerne les violences anti- institutionnelles, l’Ile-de-France regroupe prés de 40% de l’ensemble des quartiers classés en degrés 4, 5 ou 6 en France, soit une légère sur-représentation. Mais il faut nuancer localement ces chiffres.

• À l’Est, dans les départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et de la Seine- et-Marne, seuls un quart des quartiers connaissent régulièrement des actes anti- institutionnels (Carte I-6 et Figure I-6). En Seine-Saint-Denis, département où 61 quartiers connaissent des violences urbaines, seul un quartier sur dix est classé dans un degré supérieur à 4. Pour Lucienne Bui Trong [2000b], la Seine-Saint-Denis apparaît comme l’exemple type d’une zone affectée de longue date par des violences au quotidien, qui ont fini par perdre leur aspect "émeutier", au profit d’une délinquance violente à visées lucratives, sur fond général d’une culture de banlieue exerçant son emprise sur de nombreux esprits, mais en restant cantonnée dans la logique de "business" et de ses règlements de compte.

• À l’Ouest (Hauts-de-Seine, Val d’Oise, Yvelines, Essonne), plus d’un quart des quartiers connaît des violences anti-institutionnelles (Carte I-6 et Figure I-6). En outre les départements de grande couronne ont un fort potentiel émeutier (Figure I-7). Ce caractère explosif est certainement à mettre en relation avec la "nouveauté" de la violence urbaine dans ces départements, où les services locaux sont peu habitués à traiter ce genre de phénomènes.

• Paris, enfin présente une situation particulière. En effet, pour des raisons d’organisation administrative, aucun quartier sensible n’est recensé dans Paris intra-muros. En revanche, le nombre d’émeutes y est élevé (9 entre 1982 et 1999). Celles-ci ont certainement eu lieu à l’occasion de grands rassemblements dont nous avons déjà parlé (manifestations, coupe du monde…).

On notera enfin que dans certains départements de l’Ouest (Haute-Garonne, Eure, Charente-Maritime, Pyrénées-Atlantiques), si le nombre de quartiers enregistrant des violences urbaines est faible, les quartiers sont majoritairement affectés par des violences à caractère anti-policier (Carte I-6 et Figure I-6), et ont, dans le cas des Pyrénées-Atlantiques, un fort potentiel émeutier (Figure I-7).

1.4.5. Evolution des profils des "transgresseurs"

Dans les phénomènes liés à la délinquance qui inquiètent la société, revient régulièrement la question de la délinquance des mineurs.

Si la part des mineurs mis en cause30 reste minoritaire par rapport à celle des majeurs, qui représentent les 4/5 des personnes mises en cause, elle ne cesse d’augmenter depuis 1972. De moins de 10% des mis en cause en 1972, les mineurs représentaient 16% en 1995, dépassent les 21% en 1998 et se stabilisent à près de 20% en 2002.

Le sociologue Hugues Lagrange [1998] a tenté d’analyser cette évolution de la délinquance des mineurs. Pour lui il faut décomposer cette augmentation, car elle relève de phénomènes de différentes natures :

Des causes liées à la nature de la délinquance :

• augmentation du nombre de jeunes délinquants

• augmentation du taux de réitération (nombre de mises en cause par mineur dans l’année)

• augmentation des actes délinquants commis en groupe Des causes liées à la réaction des institutions pénales :

• transformation d’un certain nombre d’enregistrements de main courante de police en signalements formels (sous forme de procès verbaux), due notamment à une attention nouvelle portée par les parquets, comme en témoigne la mise en place de la médiation-réparation.

• transformation en procédures pénales de ce qui était auparavant signalé au titre de l’enfance en danger.

30 « Il faut entendre par personne mises en cause celles à l’encontre desquelles sont recueillis par les services de

La part des mineurs mis en cause varie selon les types d’infractions. Leur participation aux faits de délinquance de voie publique31 est particulièrement importante puisqu’ils

représentent, pour ces infractions, un tiers des personnes mises en cause. Or la délinquance de voie publique regroupe les infractions dont les populations souffrent le plus au quotidien : les vols à main armée, les cambriolages, les vols d’automobiles, les vols à la roulotte et les destructions et dégradations, ce qui accentue la sensibilité à la délinquance des mineurs. Pour le sociologue Laurent Mucchielli [2001] les infractions en augmentation forte chez les mineurs, concernent des « infractions dont la découverte et la répression relèvent directement des rapports au quotidien entre les jeunes et la police, par le biais des contrôles sur la voie publique. Par conséquent on peut se demander si cette hausse n’atteste pas avant tout de la dégradation des relations entre ces deux catégories d’acteurs… ».

Le discours associé également à la délinquance des jeunes, est celui d’un rajeunissement. Selon une étude de Denis Farrigton [1986], « le phénomène délinquant apparaît vers l’âge de 8-10 ans, s’accélère vers 12-13 ans, se maintient (voire atteint un nouveau pic) jusqu’au milieu de l’adolescence (15-16 ans) puis décroît fortement par la suite pour disparaître presque complètement passé le milieu de la trentaine. » [Mucchielli L., 2001, p. 82]. Pour le sociologue Laurent Mucchielli, il n’y a ainsi pas d’avancée de l’âge de la délinquance, mais un "rajeunissement apparent" dû à une plus grande visibilité.

Si l’on considère les violences urbaines qui sont associées, notamment dans les discours médiatiques, aux jeunes , force est de constater qu’elles ne sont pas exclusivement le fait des mineurs. Ainsi, 52,88% des individus interpellés par la Sécurité Publique, de janvier à octobre 1999, dans le cadre de faits de violences urbaines, étaient mineurs. (2,40% avaient moins de 13 ans, 26,98% avaient de 13 à 16 ans, 70,62% avaient de 16 à 18 ans) ; 47,12% d’interpellés étaient majeurs (91,90% avaient entre 18 et 24 ans et 8,10% avaient plus de 25 ans).

L’inquiétude sécuritaire qui est retranscrite dans la plupart des sondages recouvre à la fois la peur d’être une victime et la préoccupation sur l’avenir de la société. Les phénomènes auxquels elle renvoie sont complexes et se traduisent par un foisonnement de termes souvent

31 La délinquance de voie publique regroupe les vols à main armée, les vols avec violences, les cambriolages, les

vols à la tire, les vols d'automobiles et de véhicules avec fret, les vols de véhicules motorisés à deux roues, les vols à la roulotte et vols d'accessoires, les destructions et dégradations. Ces infractions représentent plus de la moitié des infractions (56,3% en 2002).

utilisés à tort et à travers. Il faut cependant noter que, bien que relativisées par l’évolution de la norme et de la société, les transgressions existent et de ce fait participent à l’inquiétude sécuritaire. C’est la raison pour laquelle il convient de s’arrêter maintenant sur les possibilités offertes pour mesurer ces phénomènes.

2.

Q

UELS MOYENS AVONS

-

NOUS D

APPRECIER CES PHENOMENES

?

Les statistiques tiennent une très grande place dans le débat sur la sécurité et la délinquance en France. Elles sont censées mesurer l’évolution de ce phénomène et ainsi évaluer l’efficacité des politiques publiques dans ce domaine.

Les questions multiples liées à la transgression de la norme évoquées précédemment laissent entrevoir les difficultés pour mesurer l’évolution de la transgression des normes sociales (cas de certaines incivilités par exemple). Bien des questions restent posées pour le recensement des crimes et délits, comme le soulignent dans leur préface les auteurs de l’ouvrage « Les comptes du crime » [Robert P. et al., 1994] : « Délinquance et insécurité occupent le débat public ; elles suscitent de plus en plus de déclarations, d’essais et aussi de recherches. Mais le relief de ces préoccupations contraste cruellement avec l’état des sources d’information. Les statistiques notamment auxquelles on fait sans cesse appel, sont dispersées, d’accès malaisé, difficiles à comprendre. Du coup les chiffres volent, mais leur signification reste souvent douteuse ».

L’enregistrement des phénomènes délinquants tel qu’il est réalisé aujourd’hui en France pose de nombreuses questions. Les statistiques du ministère de l’Intérieur couvrent uniquement mais non exhaustivement le cadre des crimes et délits tels que les définit le Code pénal. Différentes tentatives ont été faites pour mesurer de nouvelles formes de déviance comme les "violences urbaines" ou les incivilités. Ces essais de recensement vont être également ici analysés et critiqués.

2.1. La délinquance et la criminalité

2.1.1. L’Etat 4001 – Méthode d’enregistrement

Autrefois élaborées en France par le système judiciaire (Compte général de l’administration de la justice criminelle, publié pour la première fois en 1825), les statistiques de la délinquance sont aujourd’hui établies par la police et la gendarmerie d’après les statistiques de police judiciaire.

A partir de son étatisation en 1941, la police commence à établir une statistique générale des faits constatés par infraction. Outil interne de mesure de l’activité à l’origine, elle devient suite à une réforme méthodologique importante en 1972, et en intégrant les chiffres de la gendarmerie et de la sécurité publique, une référence publique en matière d’évaluation de la criminalité. Elle est appelée couramment "Etat 4001", on y fait parfois référence sous

l’appellation STIC-FCE32, nom de l’application interne qui permet d’enregistrer les données issues des procédures traitées par les officiers de police judiciaire.

Le système statistique 4001 est présenté en annexe de toutes les publications annuelles du ministère de l’Intérieur sur les « crimes et délits constatés en France par les services de police et les unités de gendarmerie ». Les informations fondamentales sont reprises dans l’encadré ci-après (Encadré I-1).

Encadré I-1 : Méthodologie des statistiques des crimes et délits constatés