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3-2 B La délimitation des unités sémantiques : la granularité la plus fine de l'analyse

CHAPITRE III ETUDE DES PROCESSUS DE COMPREHENSION ET D’ACTION LORS DE DYSFONCTIONNEMENTS DE SYSTEMES AUTOMATISES

IV. 3-2 B La délimitation des unités sémantiques : la granularité la plus fine de l'analyse

Une unité sémantique est alors définie comme un segment dans un message (une prise de parole) d'un locuteur où les trois composants de la communication sont constants. Si, dans le même message, une évaluation est portée sur les objets de l'action, une information est donnée sur un moyen et une interrogation porte sur l'action à exécuter, il y aura en tout, trois unités sémantiques : < !eS >, < !iM > et < ?aA >.

Lorsque la composition ou les fonctions dans le collectif ne sont pas fixées a priori, une autre entité pertinente est le dispositif opérationnel lui-même (la structure des fonctions et des acteurs). Deux autres entités particulières sont le locuteur et le destinataire de la communication.

On peut spécifier les entités à divers niveaux de description, ce qui modifie la granularité du niveau d'analyse de la communication opérative, et la définition des unités sémantiques. Ainsi, l'activation de trois actions touchant à la navigation (un cap, une altitude et une fréquence ATC) peut être codée comme une unité sémantique (activation d'une action composée) ou trois unités sémantiques (trois activations d'actions distinctes). Nous avons choisi pour l'analyse des interactions dans le cockpit de ne pas coder les entités de manière détaillée, mais de définir des unités sémantiques différentes lorsque la communication visait la donnée de plusieurs informations ou la réalisation de plusieurs actions.

Tableau 4 : Les composants des unités sémantiques : fonctions (orientation

x

nature), et arguments (entités)

Composants Définitions codes

orientation :

centrifuge centripète

L'orientation diffère selon l'interlocuteur qui est visé comme "objet" ou comme "médiateur" de la

transformation :

- si le locuteur vise l'autre, on qualifie l'orientation de

centrifuge.

- si la visée du locuteur est lui-même (il veut que sa représentation soit modifiée, ou être le médiateur d'une transformation) l'orientation est centripète.

! ? Nature activation information proposition

La nature de la communication est relative à ce que vise la transformation : objets du monde de l'action ou acteurs.

- si la communication vise la transformation des objets du monde de l'action, la nature est une activation - si l'acte de parole vise la transformation des représentations d'un acteur, la nature de la communication sera l'information, codée i.

La proposition a une nature particulière, et implique à la fois objets du monde de l'action et prise de position des acteurs. Elle est codée p.

a i p Entités situation action moyens

Les entités en jeu dans la communication dans le cockpit relèvent de trois grandes classes :

- la situation à gérer - l'action,

- les moyens (documentation, dispositifs d'affichage..) Les entités peuvent êtres considérés comme des arguments des fonctions définies par la combinaison "orientation x nature".

S A M

IV.3-2 C Unités sémantiques "méta"

Il existe par ailleurs des unités sémantiques qui portent sur l'activité elle-même, donc sur des entités "méta" par rapport aux objets de l'action : (1) l'action individuelle ou collective, en termes de distribution des tâches < dist >, d'organisation < orga >, d'évaluation < éval > ; (2) la communication elle-même : son "ouverture" < opC >, ("écoute!"), sa fermeture < feC > ("au revoir"), et plus généralement sa gestion : < gest > ("vous avez suivi ?", “attente by”, etc.).

On code également spécifiquement la gestion de l’accord, en distinguant les cas où il y a reprise du contenu du message de l’autre : un collationnement, codé < & >, et les cas où il y a simple acquiescement, codé < @ > (“oui”, “comme tu veux”, “ok”, etc.). La réalisation d'une action est une forme implicite d'accord.

Le tableau 10 ci-dessous détaille la mise en œuvre de la définition et du codage des unités sémantiques, pour le cas de gestion d'une panne d'auto-manettes (ATHR) qui survient en fin de phase de croisière du scénario 1, au moment où l'équipage va commencer la préparation de la phase d'approche, avant atterrissage. L'exemple est retenu pour sa richesse, à la fois dans les questions de codage des unités sémantiques, et l'identification des unités d'interactions.

Tableau 5 : Explicitation de la méthode de découpage et codage des unités sémantiques sur un exemple : début de traitement de la panne ATHR (tableau complet en annexe 7)

Descriptions des morceaux du tableau 5 : Les numéros de la première colonne permettent les références au tableau de codage. La seconde colonne donne les observables relevés : événements, actions et verbalisations. Les trois colonnes suivantes indiquent lequel des trois acteurs CdB, OPL ou ATC produit l’action ou l’unité sémantique verbale, dont le code est donné.

ACTEURS Unités Sémantiques CdB (PNF) OPL (PF) ATC

1 XX 999 Buenos dias C !op

2 maintain 270 !aA

3 proceed from your position to ZZA then TOSMA !aA 4 (gong monocoup, A/THR disparaît du FMA ainsi que

MACH)

5 heu, confirm maintain 270 @&

6 and we proceed to ZZA &

7 XX 999 feC

8 that’s right @

Explications des premières lignes du Tableau 5 : L'analyse détaillée du passage des observables au codage des unités sémantiques puis à la définition des unités d'interactions est effectuée sur le début : la ligne 1 est une ouverture de communication entre le contrôle aérien et le cockpit, via le pilote non aux commandes. Il s'agit de la mise en œuvre d'un protocole de communication strict ; cette unité est codée < !opC >, pour "ouverture de communication" : son objet est la communication elle-même (comme ligne 7). Les lignes 2 et 3 visent deux actions de navigation : la première concerne l'altitude, la seconde la route, c'est la raison pour laquelle deux unités sémantiques ont été définies. Chacune des lignes 5 et 6 comporte deux unités sémantiques liées : un acquiescement validant l'acte de parole précédent ("confirm"), codé @ et un collationnement de l'action demandée (maintien d'altitude). La ligne 8 est un acquiescement, qui constitue le second item d'un "double accord" (Trognon & Retornaz, 1989). Comme le "confirm"

de la ligne 5 il est codé < @ >. Les lignes 1 à 8 constituent une première unité d'interaction quant au but en cours de l'équipage : la gestion de la navigation.

Autre partie du tableau 5 (en entier en annexe 7)

40 attends, je vais mettre l’A/THR hein, c’est normal !iA

41 (essaye de remettre l’A/THR) ACT

42 bon ben l’A/THR ne fonctionne pas !iS

43 donc t’as pas d’A/THR pour l’instant !iS

44 OK, bon ben donc ... @

Explication de la fin du tableau d’exemple :

Les lignes 43 et 44 sont codées par deux unités sémantiques, pour rendre compte de l'existence d'une thématisation différente : la première porte sur l'état de l'ATHR ("bon ben,

l'ATHR ne fonctionne pas"), la seconde sur le pilote aux commandes et les moyens dont il dispose

désormais ("donc, t'as pas d'ATHR pour le moment").

En fait, le choix de l'état des manettes de contrôle manuel de la poussée (l'auto-manette ATHR étant en panne), est lié à l'hypothèse faite par le pilote que le problème d'ATHR provient d'une défaillance de mode (mode SPEED). Ce point sera repris dans la suite par le CdB, ce qui aboutira à un accord sur le fait que c'est l'ATHR qui est défaillant. À la suite de cet accord, la question sera _quand même_ reprise par le CdB : l'analyse de l'échange qui s'ensuit montre qu'au-delà de la visée de représentation commune de la situation (panne d'ATHR), il y a une action d'explication de la part du CdB, sur le fait que c'est bien l'ATHR qui est défaillant et non le mode. (cf. figure 4.2). Cette interaction s'explique du fait des rapports entre CdB (qualifié comme instructeur) et pilote (officier naviguant mécanicien reconverti relativement récemment).

Les unités sémantiques sont dans notre cas utilisées comme un moyen de contrôle sur le découpage en unités d’interaction. En d’autres mots ces unités utilisées comme indicateurs de l’importance de l’unité d’interaction en termes de variétés de « composants » et comme moyen systématique de réduction des protocoles.

IV.3-2 D Description de la notion d’unité d’interaction : « remonter vers le sens de l’activité »

La notion d’unité d’interaction fait le lien entre le niveau d’analyse de l’activité de l’équipage comme opérateur virtuel et celui des unités élémentaires définies ci-dessus comme actes de parole, gérant les interactions. Une unité d'interaction est définie comme une succession d'unités sémantiques, issues des mêmes locuteurs au cours d'un échange (une succession de tours de parole entre les mêmes locuteurs), et se rapportant à une même finalité "locale" pour les deux acteurs de l'échange. La dynamique de l’activité de l’équipage est représentée par une succession d’unités d’interaction entre les pilotes.

Les unités d'interactions sont donc délimitées sur la base de l'identification de tâches élémentaires significatives de l'activité dans le cockpit et donc à partir du codage préliminaire en unités sémantiques. Elles sont ainsi dépendantes du domaine de travail considéré. Toutefois, des indicateurs sont présents dans la communication opérative (communication verbale, non verbale et actions). En effet, les unités d’interaction sont le plus souvent délimitées par une marque d’accord, souvent par un double accord (collationnement ou acquit de l'acte de parole, verbal ou en acte).

Par exemple, équipage 2, panne de l’index de vitesse : CDB : “ ...Quand j’ai besoin de savoir, je

regarde là. Ok ? ”, OPL : “ D’accord! ”.

Ce type de délimitations est d'autant plus marqué dans l'activité des pilotes qui sont habitués aux cross check et à la répétition des échanges reçus dans le cockpit et en plus particulièrement ce qui concerne les échanges avec le contrôle. On remarque deux formes d’exceptions : 1) la fin d’une unité d’interaction peut être marquée par une expression d’information ou d’évaluation de la situation et/ou des moyens disponibles, ou de l’effet de l’action, sans que l’autre en prenne explicitement acte, en tout cas immédiatement ; 2) l'interaction peut se limiter à un message émis par un des pilotes (sans que l'on puisse déterminer au vu des données récoltées s'il y a contrôle implicite).

Par exemple, si nous considérons la première unité d’interaction du protocole de l'équipage précédent en tableau 5 (page précédente) dans la “gestion de la navigation” (lignes 1 à 8), qui concerne le trafic aérien (ATC) et le Commandant de Bord (PNF), elle est délimitée : 1) par les acteurs, et 2) par des marques explicites de double accord. L’unité suivante est déterminée par le référent (ici la lecture de la page du système d’aide informatisée ECAM) et l’accord, explicité par

collationnement. L’unité suivante : distribution de tâches est délimitée par l’accord simple : “oui”.

Le codage de la succession des unités sémantiques qui composent une unité d'interaction a plusieurs fonctions

définir des "protocoles réduits", tels que ceux qui sont présentés dans le tableau 11 ci-après, ce qui permet la représentation de la dynamique de l'interaction dans un épisode (ou phase de vol) ;

identifier quel pilote dans l'équipage est initiateur d'une unité d'interaction (ce qui permet de différencier des propositions ou des actions selon qu'elles initient une unité d'interaction, ou qu'elles viennent en réponse à une initiative de l'autre pilote ;

garder la trace de l'organisation de l'unité d'interaction, en termes des actes de parole de chacun des locuteurs. Le nombre de tours de paroles sera pris plus tard comme indicateur de l’intensité du travail des locuteurs.

Analyser sémantiquement les unités d’interaction liées aux processus de compréhension et aux décisions d’action

Grâce à ces unités d’interaction ainsi définies, nous arrivons à uniformiser le corpus d’analyse sur protocoles réduits (exemple en annexe 6). Nous avons choisi de coder différemment les communications concernant l’extérieur « unités.ext », un codage détaillé est donné en annexe 5. Ce traitement nous permet de repérer, si besoin est, les perturbations apportées de l’extérieur sur l’activité en cours (par exemple un changement de cap donné par le contrôle avec un automatisme défaillant).

Ces protocoles ainsi réduits, vont nous permettre de rassembler les unités, en catégories, ayant une orientation plus centrée sur notre questionnement ; à savoir, renseigner plus spécifiquement sur l’activité liée à la compréhension et aux actions des équipages durant le traitement de la panne principale en cours.

Ci-après, nous verrons en détail les catégories plus spécifiques au diagnostic de la panne en cours et des pannes antérieures ou concomitantes.