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I.2-2-D La complexité en fonction des compétences de l’opérateur

Les compétences sont définies comme des savoirs permettant aux opérateurs de comprendre et de produire des actions. Hollnagel (1993) soutient qu’un arrangement particulier de compétences induit une séquence d’actions particulière qui est construite et non préétablie.

Par ailleurs, on peut penser que ces savoirs sont au moins en partie constitués de connaissances (contextualisées ou non). Et, comme nous l’avons souligné dans le paragraphe précédent, la présentation des données joue un rôle sur le développement des connaissances, au travers des niveaux d’action. Sarter et Woods (1994), ont d’ailleurs mis en évidence que les difficultés des pilotes à gérer l’interaction sont dues à un manque de conscience de modes et à des trous dans les représentations concernant les structures fonctionnelles des aides automatisées. Sarter et Woods, et Amalberti, soutiennent que ces « trous » contenus dans les connaissances, peuvent créer la complexité. En effet, ces « trous » sont générateurs d’incompréhensions et amènent les opérateurs à faire l’hypothèse de l’existence d’une explication.

Une autre compétence est à mettre en jeu : la conscience des limites des connaissances, en fonction des contextes, qui, selon Sarter et Woods, fait défaut chez les pilotes. Leur hypothèse est que cette méconnaissance des limites est due à des parties de connaissances incomplètes ou fausses qui sont volontairement oubliées. La raison en est, la croyance des pilotes en leur capacité, à compenser ces méconnaissances : ils en savent assez pour s’en sortir.

En fait, la compétence se construit avec le temps et la pratique. Les pilotes apprennent à sélecter au travers des diverses options en fonction des facteurs de la situation et en fonction de ce qu’ils veulent. Cela implique que les pilotes nouvellement qualifiés sur ces appareils sont moins sensibles à ce facteur contextuel et utilisent toujours le plus d’aides automatisées possibles. Les autres vont chercher à mettre en œuvre des niveaux intermédiaires d’utilisation des aides automatisées ayant des interfaces moins consommatrices de ressources cognitives et de temps. C’est le point de vue que développe Hoc (1996), qui définit l’étendue du champ de supervision de l’opérateur comme dépendant de son expertise (une caractéristique de la situation à part entière en tant qu’interaction opérateur/tâche). Une des implications essentielles de l’accroissement du champ de supervision par l’extension de l’expertise étant la possibilité qu’a l’opérateur de manipuler des représentations schématiques du processus. Ces représentations d’ensemble permettent de traiter des situations plus complexes avec une charge de travail équivalente. Par ailleurs, on sait que l’accroissement des contraintes et de la complexité serait de nature à faire exploser les capacités attentionnelles des opérateurs (Amalberti 1996). On comprend donc que l’expertise soit un facteur important dans cette répartition de la régulation de l’activité de l’opérateur entre plusieurs niveaux, en menant à la fois des traitements en parallèle et en temps partagé. Cependant aucune recherche n’a pu mettre en évidence la possibilité de mener deux

activités attentionnelles au niveau symbolique en parallèle. Il semble par contre que leur exécution en temps partagé reste possible. Amalberti montre notamment que les pilotes d’avion expérimentés parviennent à mieux gérer les interruptions nécessitées par le temps partagé, que les débutants. En particulier, les uns n’interrompent les tâches que lorsqu’ils les maîtrisent, alors que les débutants sont plus sensibles aux sollicitations. Ce résultat est confirmé par l’expérience de Hoc et Govaere (1995) sur un micro-monde nommé « Newfire » où ils ont examiné les mécanismes de partage du temps entre plusieurs tâches de gestion de feux.

En fait, il apparaît opportun vu le rôle que les connaissances jouent dans l’expertise et la construction des compétences d’en présenter une classification. Il y a en effet un certain nombre d’oppositions relativement marquées entre les connaissances sur le fonctionnement du processus (point de vue excentré) et les connaissances sur ses buts et ses actions propres (point de vue ego centré). Les connaissances sur le processus sont, selon Moray (1991), dépendantes par un lien de causalité. Il reprend d’ailleurs les quatre types de causalités d’Aristote pour en expliquer les catégories : (1) la causalité téléologique (relations entre fins et moyens), (2) la causalité efficace (relations entre actions et effets), (3) la causalité matérielle (relations concrètes dans la structure physique du processus) et (4) la causalité formelle (la causalité au sens strict). Hoc défini un autre ordre qui va des connaissances plus abstraites (ou profondes) aux connaissances les plus concrètes (ou superficielles). Il va également classer les systèmes de représentation : (1) systèmes causaux (ou relationnels), fonctionnels (ou téléologiques), transformationnels et topographiques. Les systèmes causaux relient les variables du processus et permettent de découvrir des procédures d’actions ou des diagnostics dans des situations de résolution de problème. Il est à préciser que la structure de ce type de réseaux apparaît fortement dépendante des objectifs et des répertoires d’action. Selon ce même auteur, une relation causale est un choix orienté qui n’a de sens que dans le cadre d’une action. Il est à préciser que les systèmes de représentation causaux utilisés par les opérateurs de contrôle de processus sont donc enrichis de pseudo causalités (croyances) et de corrélations élaborées empiriquement qui peuvent jouer un rôle aussi crucial, dans la conduite, que les relations de causalité connues. Cependant, dans les installations modernes Alengry (1988), distingue deux types essentiels de relations : (1) celles qui reposent sur des lois physiques générales et (2) celles qui ont été introduites par le concepteur de l’installation, par le biais d’automatismes. Ces relations peuvent être mises en défaut lors de situations complexes du type situations incidentelles, où les automatismes sortent de leur limite de validité. Alors qu’en marche quasi normale, ces relations peuvent être exploitées par l’opérateur, éventuellement pour satisfaire des objectifs que le concepteur n’avait éventuellement pas prévus. Par ailleurs, Hoc (1996) souligne qu’il est important de représenter les structures causales de processus marquées temporellement, car de tels systèmes peuvent servir de base à des diagnostics, mais aussi à des

anticipations dont nous aborderons plus loin l’importance. Un soutien à la représentation causale selon Hoc peut donc améliorer les activités de compréhension de la situation par la remontée vers les causes des phénomènes. Ce point de vue qui sous-tend que la compréhension des incidents ne se fasse que par recherche de causalité, ce qui n’est pas sûr dans toutes les situations.

Par ailleurs, il est à préciser que certaines connaissances dynamiques ne sont pas représentées statiquement. C’est ce que Vergnaud (1980) nomme les « connaissances en acte » qui ne peuvent être qu’agies sans pouvoir faire l’objet d’une représentation statique, ou alors, au prix d’une prise de conscience longue. Il existerait donc, une opposition entre les connaissances statiques et dynamiques qui s’articulent souvent avec une autre opposition entre les connaissances générales et connaissances opérationnelles telles que le définit d’ailleurs Sarter et Woods (1994). Cette distinction a été abordée par plusieurs auteurs et c’est Ochanine (1978) qui le premier a distingué ce qu’il nommait « l’image opérative » de « l’image cognitive ». Cette dernière est très riche, très détaillée et très générale mais pertinente afin de fonder de nombreuses activités. Elle serait néanmoins abandonnée lorsqu’il s’agirait d’agir dans des contextes spécialisés d’action au profit d’une représentation de validité plus restreinte : « l’image opérative ». C’est ainsi que les recherches sur le contrôle de processus (Bainbridge, 1978 ; Kuipers et Kassirer, 1984), montrent que les opérateurs vont traiter plus facilement des variables qualitatives que des variables numériques : par exemple, « On est trop bas », « nous avons une forte détérioration... ». C’est ce que l’on appelle également des « constructions pertinentes à l’action ». Par ailleurs, l’utilisation de connaissances structurées sous forme de schémas se développe avec l’expertise des opérateurs. Elles rendent possible un stockage économique des informations essentielles à partir desquelles les autres peuvent être reconstruites. Dans des activités de prise d’information, elles vont aussi permettre de guider l’analyse vers les aspects les plus pertinents d’une situation. Dans la conduite de haut-fourneau, Hoc (1989, 1991), souligne l’importance de l’utilisation de représentations schématiques de phénomènes internes dans le diagnostic et le pronostic, en articulant avec les paramètres du système. Falzon (1989) défini le schéma comme « une structure qui permet de

représenter les concepts stockés en mémoire. C’est un ensemble organisé de variables pouvant prendre différentes valeurs. A chaque case du schéma sont associés un intitulé définissant la variable de la case et les contraintes limitant les valeurs acceptables pour cette variable. Ces contraintes remplissent trois fonctions importantes :

- Elles permettent d’établir les liaisons entre les événements de la situation et les variables du schéma, et ainsi d’assurer la mise en correspondance du schéma et de la situation ;

- Elles permettent d’évaluer la valeur interprétative du schéma par rapport à la situation : cette valeur interprétative est fonction de l’adéquation entre les valeurs prélevées sur la situation et les valeurs admissibles par le schéma.

- Elles permettent d’inférer les données manquantes, donc d’utiliser des valeurs par défaut. »

Le même auteur précise le mode d’utilisation de ces schémas par évocation, instanciation et évaluation. L’évocation correspondant à la mise en disponibilité d’un schéma comme possible (une hypothèse). L’instanciation correspondant à une recherche de validation de ce schéma en fonction des données issues de la situation.

Nous pensons que ces points de vue développés sur les connaissances schématiques et leurs rôles dans l’activité cognitive des opérateurs sont particulièrement pertinents pour les situations qui nous intéressent et ce en particulier dans le domaine que nous avons choisi : l’aéronautique.