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Comme nous l’avons vu, la liquidité est directement liée aux structures de marché et aux coûts des transactions. Le risque de liquidité existe précisément en raison de l’exis-

tence des frictions du marché et du non-respect de la loi du prix unique. C’est la raison pourquoi nous avons commencé d’abord par identifier ces frictions avant d’entreprendre une analyse du risque de liquidité.

Selon Çetin et al. (2010)[78], un marché sans frictions est un marché où tous les traders sont preneurs de prix, dans le sens où ils peuvent acheter ou vendre des quantités illimi- tées d’un titre donné sans varier son prix. En plus, sur un marché sans frictions, il n’y a pas de coûts de transaction ni de restrictions sur les échanges (suspensions de cotations, contraintes de vente à découvert..), ni de régulation limitant directement ou indirectement les propensions du trader à effectuer des transactions.

D’autre part, la loi du prix unique est fondamentale en théorie financière et stipule que les actifs financiers ayant des flux de trésorerie futurs (ou cash-flows) identiques doivent avoir exactement la même valeur. Cela implique donc que le prix n’est pas affecté ni par les caractéristiques du marché, et ni par le déroulement de la transaction.

De toute évidence, la manière dont les marchés fonctionnent est loin de l’image idyllique que proposent les modèles classiques, d’un un marché sans frictions et capable de s’auto- équilibrer.

Un autre facteur d’influence sur la liquidité, moins conséquent et moins évident que les coûts de transaction et la structure de marché, est la divergence d’opinions quant à la vraie valeur ou la juste valeur d’un actif. Là encore les modèles traditionnels d’évaluation des ac- tifs ne tiennent pas compte de l’hétérogénéité des investisseurs car ils supposent qu’ils sont homogènes en termes de préférences ou de croyances (ce qui implique que la demande des investisseurs est homogène). L’hétérogénéité des investisseurs se matérialise par les diver- gences en termes des attentes quant aux évolutions des variables macro-économiques, de l’horizon d’investissement, d’interprétation de l’information. Daley et Green (2016)[109] affirment que certains investisseurs ont un avantage en matière d’information par rapport à d’autres investisseurs.

En parallèle avec les aspects de la liquidité liés aux coûts de transaction, Kyle (1985)[219] a proposé un autre paradigme où la liquidité d’un actif a plusieurs caractéristiques. Celles- ci sont : la profondeur, la largeur, la résilience et l’immédiateté. Ces caractéristiques sont présentées dans la figure 1.11. Certaines de ces caractéristiques sont également visibles sur un carnet d’ordre (Tableau 1.4).

— La profondeur du marché (depth) : désigne le nombre d’actions respectivement pro- posés aux meilleurs prix de vente et d’achat. Plus la profondeur est faible, plus le coût total d’exécution d’un ordre au marche de grande taille sera élevé. Sur un mar- ché disposant suffisamment de profondeur, un investisseur peut donc négocier un

Figure 1.11 – Les caractéristiques de la liquidité

Demande Offre Quantité Bid Ask Quantité 310 35 36 307 250 34.74 36.24 260 264 34.6 36.4 14 270 34.5 36.5 250 189 34.3 36.74 250 250 34.24 36.8 55 275 34.2 36.82 100 296 34.16 36.9 300 324 34.1 36.96 50 15 34.02 37 543

Table 1.4 – Le carnet d’ordre de l’action ’Fnac Darty’ à un moment de la journée.

bloc important de titres sans affecter le prix affiché ;

— La largeur (tightness) : désigne l’écart entre les meilleurs prix offerts et demandés affichés (égale à 36-35 pour le carnet d’ordre Fnac Darty). Elle représente le coût de la consommation immédiate de la liquidité ;

— L’immédiateté (immediacy) ou la rapidité avec laquelle les transactions peuvent être exécutées. Elle dépend de la présence d’une contrepartie de la transaction, du volume de transaction et de la fréquence des échanges ;

— La résilience (resiliency), ou la rapidité avec laquelle les prix reviennent rapidement à leur valeur d’équilibre suite à une grande consommation de liquidité. En d’autres termes, elle mesure de la capacité du marché à résorber les chocs de liquidité. Il s’agit quelque part d’une mesure d’élasticité prix.

Certains estiment toutefois qu’il est peu utile d’examiner ces aspects supplémentaires de la liquidité, étant donné que tous les volets de la liquidité sont déja pris en compte par les coûts de transaction, qu’ils soient implicites ou explicites. Cependant, ces aspects supplémentaires véhiculent des informations descriptives qui peuvent servir d’outils à la compréhension de la liquidité non pas pour une transaction spécifique, mais d’un marché dans son ensemble. Par exemple, le fait de savoir qu’un marché manque de profondeur peut aider les traders à anticiper des coûts d’impact sur le prix plus élevés (par rapport à d’autres marchés), sans que ces traders soit amenés nécessairement à les calculer de manière précise.

Dans un souci de clarification de la notion de liquidité, plusieurs auteurs ont tenté de luidonner une définition précise. Amihud et al. (2005)[17] suggérent que "...la liquidité est la facilité de négocier un titre". Muranaga et Ohsawa (1997)[272] soutiennent que "Le risque de liquidité ... est le risque d’être incapable de liquider une position en temps voulu à un prix raisonnable". Demsetz (1968)[121] définit la liquidité du marché comme la concession de prix requise en vue d’une transaction immédiate. Hicks (1962)[181] décrit la liquidité du marché comme "la possibilité d’exécution immédiate d’une transaction". Grossman et Miller (1988)[162], ont souligné que la liquidité du marché peut être mesurée en examinant "la capacité à effectuer des transactions au prix en vigueur et dans un délai raisonnable".

Selon Neuman (1936)[275], la liquidité a une dimension objective inhérente aux actifs (liquidité objective), et une dimension subjective relative à la perception que les investis- seurs ont vis à vis d’un actif (liquidité subjective).

Massimb et Phelps (1994)[259] ont fourni une définition plus claire, indiquant que la li- quidité peut être définie comme la capacité des acteurs du marché à échanger un actif donné sur le marché sans créer de changements importants de son prix de liquidation. En effet, cette définition sous-entend que les acheteurs et les vendeurs subissent des coûts de transaction.

La banque des règlements internationaux (2006a)1 définit le risque de liquidité du marché comme "le risque qu’une société ne puisse pas facilement liquider une position sans affec- ter significativement le prix du marché en raison d’une profondeur de marché insuffisante ou d’une perturbation du marché".

Black (1971)[54] a imaginé un marché liquide sur lequel doit se baser la théorie fi- nancière. Selon lui, sur ce marché, une action est liquide si les conditions suivantes sont réunies :

1. Présence continue des cours Bid et Ask pour les investisseurs qui veulent acheter ou vendre immédiatement de petites quantités d’actions.

2. La différence entre le prix Ask et le prix Bid est toujours faible.

3. Un investisseur qui achète ou vend une grande quantité d’actions doit s’attendre à le faire sur une longue période à un prix peu différent, en moyenne, du prix actuel du marché.

4. Un investisseur peut acheter ou vendre un grand bloc d’actions immédiatement, mais en acceptant de subir un rabais qui dépend de la taille du bloc.

Dowd (1998)[128] distinguent deux types de risque de liquidité : le risque de liquidité "normal", et le risque de liquidité "de crise". Selon Dowd (1998)[128], le premier type de risque augmente au gré des échanges sur des marchés considérés comme peu liquides. Il correspond à la perte potentielle qu’on subit par rapport au prix qu’on aurait dû obtenir. Le prix qui sert de référence dans ce cas est le prix du marché.

Le second type de risque peut s’accroître dans un autre contexte. Il s’agit du risque de liquidité qui augmente lors des crises, et l’investisseur qui solde ses positions enregistre une perte plus importante que dans de circonstances normales du marché. Ce type de risque met l’accent sur le fait qu’un marché ou un titre peut être très liquide la plupart du temps et devenir illiquide lors d’une crise de grande ampleur.

Le problème principal de la plupart de ces définitions est l’imprécision de certains termes utilisés tels que ’facilité’, ’raisonnable’ et ’temps voulu’. De plus, ce sont des défi- nitions substantialistes c’est à dire elles définissent la liquidité par ses caractéristiques. Les définitions basées sur l’élasticité, par exemple, excluent nécessairement les coûts explicites de transaction. En outres, ces définitions ne proposent pas un prix de référence qui peut refléter le ’prix raisonnable’. De ce fait, une définition exhaustive de la liquidité de marché doit nécessairement inclure une dimension de temps, de quantité, de coût, et de prix de référence.

Une définition plus formelle est celle fournie par Loebnitz (2006)[246] qui énonce que "la liquidité du marché est la concession espérée faite sur le prix nécessaire pour une transformation immédiate d’un actif en cash ou du cash en un actif sous une stratégie de transaction spécifique". En fait, la définition est subjective pour le choix de prix de référence, qui est dans ce cas l’actif l’actif le plus liquide qui existe qui est le cash. De manière formelle, et pour une stratégie de trading k, la concession prévue Ck(Q), pour un ordre de vente de taille Q d’un actif s’écrit comme :

Ck(Q) =

N

X

i=1

qiPi∗(qi)e−r(ti−t0)− QV0 (1.2)

qi → taille de la transaction au moment ti

Pi∗ → prix de la transaction i au moment ti

V0 → prix de référence au moment 0

Q → volume total : Q = P

iqi

N → délai total de l’exécution de Q r → taux d’actualisation

De manière symétrique, on définit la concession Ck(Q) pour un ordre d’achat comme : Ck(Q) = QV0 −

N

X

i=1

qiPi∗(qi)e−r(ti−t0) (1.3)

Une stratégie de trading k définit les tailles des ordres qi et l’horizon temporel N. Le

taux d’actualisation peut être négligeable si il y a un court intervalle de temps entre deux transactions consécutives.

Plus la concession de prix Ck(Q) est élevée, moins liquide est l’actif. Loebtniz (2006)[246] estime que le prix de transaction Pt∗(qi) de chaque tranche de l’ordre est une variable

aléatoire. Par conséquent, la liquidité pour un ordre de vente est équivalente à l’espérance E[Ck(Q)].

Le risque de liquidité des actifs qualifie souvent de risque de liquidité du marché. Cependant, il ne doit être confondu avec le risque de marché. En fait, la valeur de marché d’un actif a deux sources principales de risque : l’incertitude des rendements des actifs (c’est-à-dire le risque de marché au sens strict) et l’incertitude du risque de liquidité. Les deux sources peuvent être fortement corrélées (Bangia et al. (1999)[31]).

Le risque de marché désigne généralement la possible évolution défavorable de la valeur des actifs, compte tenu du prix actuel du marché (le prix moyen) qui sert de référence. D’une certaine manière, cette définition du risque de marché peut sembler similaire en plusieurs niveaux à la définition du risque de liquidité de marché. En principe, avec le risque de liquidité du marché, nous nous intéressons aux pertes possibles résultant de transactions effectives. Par conséquent, nous devons inclure tous les coûts de transaction en plus du risque de prix.