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L'investigation expérimentale du chapitre I met en valeur la nécessité de définir une loi cumulative de l'endommagement. Cela consiste à écrire une loi d’évolution de l’endommagement, ce qui revient en simulation numérique à incrémenter une variable d'endommagement pour chaque unité de temps élémentaire. Cette unité temporelle peut également être un cycle ou une partie de celui-ci dans le cas de chargement en fatigue. Cette approche est requise dans le sens où ces travaux de thèse s'inscrivent dans le cadre de chargements complexes voire atypiques, non nécessairement monotones. Les lois développées se doivent donc d'avoir cette flexibilité afin de pouvoir modéliser, de façon pertinente, le comportement local et/ou effectif du matériau composite. Cet aspect peut alors être considéré aux différentes échelles du matériau composite : macroscopique (VER), mésoscopique (par exemple au niveau des plis d'un composite stratifié) ou microscopique (à l'échelle des renforts et de leurs interfaces avec la matrice).

En 1945, Miner développa une loi de cumul d'endommagement simple pour un chargement cyclique [72]. Elle consiste à faire l'hypothèse que chaque cycle contribue de manière égale à l'endommagement du matériau, et que celui-ci est donc défini à chaque instant par le rapport entre le cycle en cours et le nombre de cycle à rupture. La loi de Miner ne fait donc pas intervenir l’histoire du chargement dans l’expression des lois d’endommagement. Bien que d'apparence simpliste et ne permettant pas une approche multi-échelles, cette loi peut être étendue aux matériaux composites et permettre d'estimer des durées de vie en fatigue de manière conservative. Sonsino et Moosbrugger l'ont par exemple appliqué à du PA66-GF35 [73]. Cependant, dans le cadre des présents travaux de thèse, la volonté de modéliser les mécanismes à l'échelle locale afin d'en mesurer toutes les répercussions aux différentes échelles du matériau composite ne permet pas d'envisager un tel critère.

La connaissance et la modélisation de l'évolution de l'endommagement en fatigue dans les composites sont des problématiques qui se sont réellement développées à partir des années 1980, en commençant par les composites stratifiés. Reifsnider et Talug écrivent ainsi que la dégradation de ces matériaux, et donc la prédiction de leur résistance et de leur durée de vie, n'est jusqu'alors pas basée sur les mécanismes d'endommagement en eux-mêmes [74]. Ils décrivent notamment que les critères de rupture phénoménologiques de l'époque ne prennent pas en compte l'ordre des plis d’un composite stratifié et n’ont donc pas d’aspect prédictif sur la modélisation du comportement de ce type de composites. Les contraintes aux interfaces ne sont en effet pas prises en comptes et cela limite l'évaluation de la tenue mécanique du matériau. Ils développent un modèle succinct qui calcule un état d'endommagement pour chaque pli en fonction du chargement, de son orientation et de celle de ses voisins. Ils démontrent ainsi l'importance d'une telle approche pour le dimensionnement mécanique de pièces en matériaux composites, pour des chargements quasi- statiques et cycliques. Une loi d'évolution macroscopique de l'endommagement ne peut alors pas rendre compte et prédire précisément le comportement du composite. La prise en compte de la microstructure du matériau s'avère ainsi inévitable. Il convient donc de s'intéresser à une échelle plus fine du composite, en analysant en l'occurrence ce qu'il se passe au niveau des renforts dans chaque pli à l'échelle microscopique.

51 Ces considérations conduisent à la prise de conscience de l'importance de l'interface fibre/matrice au sein des composites, afin de modéliser au mieux les mécanismes d'endommagement. L'une des premières méthodes développées consiste à utiliser un enrobage dédié, également appelé interphase [75]. Le principal inconvénient de cette approche est qu'un tel modèle à 3 phases implique la connaissance de toutes les propriétés de l'enrobage, ce qui est rarement le cas. Hashin a alors introduit la techniques des interfaces imparfaites [76] [77]. Le but est de remplacer le problème explicite à 3 phases (deux constituants et l'interphase), par une homogénéisation à deux phases comprenant une interface imparfaite. Cette approche statue que pour un chargement suffisamment important, les interfaces fibres/matrices s'endommagent et ne permettent plus la même tenue mécanique. Cette décohésion de l'interface est analytiquement décrite par Hashin et intégrée dans un modèle micromécanique auto-cohérent. Elle prend en compte la discontinuité des forces de tractions et du déplacement aux interfaces. Hashin démontre qu'elle impacte significativement de nombreuses propriétés effectives du matériau composite, comme le souligne la Figure II.1 en ce qui concerne le module de cisaillement longitudinal. Cette approche a ensuite été reprise par de nombreux auteurs [78] [79] [80]. Zhong et Meguid ont en particulier développé une nouvelle solution pour le problème de la déformation libre de contrainte (« eigenstrain », tel que défini par Eshelby [81]) dans le cas d'une inclusion sphérique avec une interface imparfaite.

Figure II.1 – Evolution du module de cisaillement effectif, en fonction de l'endommagement à l'interface, pour un composite unidirectionnel à matrice époxyde et renforcé par des fibres de carbone. L'axe des abscisses correspond au degré d'imperfection de l'interface [76].

L'endommagement de l'interface de matériaux composites a reçu beaucoup d'intérêt de la part de la communauté scientifique. Subramanian et al. définissent par ailleurs un modèle d'endommagement pour la fatigue qui prend en compte la dégradation de l'interface/interphase [82]. Cette approche est alors l'une des premières pour les composites stratifiés soumis à un chargement en fatigue. La durée de vie est estimée à l'aide d'un critère de rupture basé sur les champs locaux, en ne considérant que l'élément critique qui se dégradera en premier et mènera rapidement à la ruine du matériau. Un paramètre d'endommagement dédié η, nommé « efficacité de

52 l'interface », est utilisé et correspond à l'efficacité du transfert de charge entre fibre et matrice. Il est égal à 100% lorsqu'il n'y a pas d'endommagement et devient nul lorsque l'interface est totalement décollée. Il est calculé en fonction du nombre de cycle N comme indiqué dans l’équation (II-1), et sur la base de mesures expérimentales sur la perte de rigidité, avant d'être implémenté dans un modèle micromécanique. L'endommagement d est donné de manière simple en fonction du nombre de cycle

N et des modules E (endommagé) et E0 (initial) (II-1). Les résultats se sont révélés encourageants sur les matériaux composites à base époxy testés.

(II-1)

Dans le même ordre d'idée, Tan et al. introduisent un modèle micromécanique intégrant une loi cohésive non linéaire dédiée à l'interface [83], représentée sur la Figure II.2. Cette approche concerne des matériaux composites renforcés par des inclusions sphériques à forte concentration. Ils sont ainsi en mesure de calculer les propriétés effectives du matériau composite et d'estimer l'influence de la décohésion de l'interface en fonction des propriétés du matériau. À noter que ce genre d'approche connaît un regain d'intérêt récent de par sa capacité de couplage avec des calculs par éléments finis, à l'aide d'éléments dédiés. Une telle modélisation a été réalisée dans le cadre de ces travaux de thèse et est présentée dans la section 4 de ce chapitre.

Figure II.2 – Modèle constitutif cohésif de l'interface (loi contrainte/séparation). Le stade I correspond à une dilatation élastique de l'interface, le deuxième à une décohésion partielle et le dernier à une rupture complète de l'interface [83].

Matzenmiller et al. ont par ailleurs développé un modèle constitutif pour les statifiés intégrant l'anisotropie de l'endommagement [84]. Ils définissent quatres critères de rupture suivant le mode de chargement et la phase considérée, en se basant sur la méthodologie d'Hashin [85]. Ils utilisent alors des paramètres d'endommagement selon la théorie continue de l'endommagement, comme définie par Chaboche [86]. Celle-ci stipule que les différentes phases ou le matériau composite en lui même voient leurs propriétés effectives décroîtrent proportionnellement avec l'endommagement, éventuellement de manière anisotrope. Plus récemment, une telle approche a également été utilisé avec succès par Notta-Cuvier et al., dans le cadre d'un modèle simplifié ne nécessitant pas de processus d'homogénéisation complexe [87] [88]. L'intérêt de tels modèles constitutifs réside dans leur implémentation potentielle dans un code élément fini, qui permettrait de suivre l'évolution et la cinétique de l'endommagement à l'échelle de la structure. Similairement, une implémentation de la microfissuration matricielle a été réalisée en éléments finis par Huang et

53 relier la déformation plastique équivalente εp et le taux de triaxialité des contraintes χ à un taux de micro-vides d, à travers une loi d'endommagement (II-2). La rupture du matériau intervient alors lorsque ce paramètre d atteint une valeur critique correspondant à une coalescence des vides provoquant la ruine du matériau. Bien évidemment, il convient dans ce cas d'utiliser une loi constitutive de la matrice qui implique un comportement plastique.

(II-2)

Finalement, il existe de nombreux modèles phénoménologiques visant l'intégration de l'endommagement. Meraghni et al. ont par exemple défini trois phases d'endommagement lors du chargement cyclique d'éprouvettes en PA6-GF30 [4] [91]. La dégradation anisotrope du matériau est intégrée par l’intermédiaire de variables internes couplées à un comportement élastique. L'évolution de ce paramètre d'endommagement au cours d'un essai de traction piloté en contrainte est donnée Figure II.3. Il comporte une première étape d'accumulation rapide d'endommagement, suivie par une phase d'évolution plus lente voire de quasi-saturation. Le dernier état du composite correspond à une dégradation accélérée du matériau jusqu'à sa ruine. Kammoun et al. ont quant à eux utilisé une approche déterministe de l'endommagement [92] dans le cadre du modèle pseudo-grain développé par Doghri et Tinel et abordé dans le chapitre III [93]. Plus récemment, Krairi et Doghri introduisent le concept de « weak spots » aux extrémités de fibres, définissant un endommagement isotrope en bout de fibre qui pilote la dégradation des propriétés mécaniques du composite ainsi que la déformation plastique. Ces approches permettent de trouver une bonne corrélation entre les données expérimentales et la simulation numérique mais n'intègrent pas directement la physique des mécanismes d'endommagement.

Figure II.3 – Evolution du paramètre d'endommagement en traction uniaxiale selon l'approche développée par Meraghni et al. [4].

b. Critère de rupture et endommagement statistique au sein de composites