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4.3. De l‟inertie à l‟identification des pôles

4.3.2. Définir un pôle

L‟espace de vie actuel tel qu‟étudié ici à partir des données de Biographies et entourage, constitue une application empirique relativement complète de la notion d‟espace de vie définie par Daniel Courgeau. L‟identification de pôles permet de synthétiser la complexité de l‟inscription spatiale des individus, en tenant compte des distances/proximités relatives

entre les lieux, de leur dispersion/concentration, ainsi que de la place de l‟individu au sein de cet espace.

En intégrant des lieux divers, tels que les lieux de résidence de l‟entourage, le lieu d‟activité ou les résidences secondaires, la configuration des pôles d‟un individu à un moment donné se situe au confluent de plusieurs sphères de sa vie : familiale, professionnelle et résidentielle. Elle est susceptible de varier au fil de la trajectoire individuelle et l‟on peut imaginer qu‟à un niveau macro, les configurations des espaces de vie diffèrent selon l‟âge de la population étudiée. Or les données de Biographies et

entourage concernent des Franciliens âgés de 50 à 70 ans au moment de l‟enquête. Tester

le lien éventuel entre âge et espace de vie nécessite une population avec des âges plus hétérogènes, ce que permet l‟enquête Proches et parents, dont la population est âgée de 18 à 80 ans au moment de la collecte en 1990 et réside dans la France entière. Si celle-ci ne permet pas de prendre en compte la même variété de lieux au moment de l‟enquête que

Biographies et entourage, elle recense en revanche le lieu de résidence de nombreuses

personnes avec lesquelles les individus sont en rapport. Elle collecte en effet des informations sur un grand nombre de membres de la famille : grands-parents d‟ego et de son conjoint ; oncles et tantes ; parents d‟ego et de son conjoint ; frères et sœurs d‟ego et de son conjoint ; enfants ; petits-enfants, ainsi que sur les personnes que les enquêtés déclarent comme proches, que ceux-ci fassent partie de la liste qui précède ou non. On peut alors définir à partir des lieux de résidence d‟ego et de ses proches une nouvelle forme d‟espace de vie, que l‟on pourrait qualifier d‟ « espaces des proches ». On se concentre ici sur la partie de l‟espace de vie défini par Daniel Courgeau comme l‟ensemble des lieux avec lesquels on est en rapport par l‟intermédiaire des personnes s‟y trouvant (et non plus aussi par l‟intermédiaire des activités comme précédemment). Cette dimension interpersonnelle met en jeu des phénomènes de sociabilité, que les données de Proches et

parents permettent de tester.

4.5.1. Les pôles de l’espace de vie selon l’âge

Il n‟est pas question ici de dérouler de nouveau l‟ensemble du processus qui a mené d‟un ensemble de lieux à l‟identification de pôles. La même démarche est adoptée ici, le seuil de distance étant cette fois fixé à 50 kilomètres et le nombre de lieux minimal pour qu‟un

groupe de lieux puisse être considéré comme un pôle (seuil de concentration) est toujours de trois. La typologie des espaces des proches obtenue est la suivante :

Tableau 31. Typologie des espaces des proches

Configuration des pôles % % cumulé

Aucun pôle (isolés) 17,8 17,8

Un pôle dans lequel l‟enquêté ne réside pas (excentrés) 8,3 26,1 Un pôle dans lequel l‟enquêté réside (égocentrés) 55,8 81,9 Plusieurs pôles (multipolaires) 18,1 100,0

Total 100,0 100,0

Source : Proches et parents (1990)

La distribution est remarquablement similaire à celle obtenue pour l‟espace de vie actuel des Franciliens de Biographies et entourage (Tableau 24). La majeure partie des individus ont un seul pôle et y résident, 18,1% ont plusieurs pôles alors que 17,8% n‟en ont aucun, et 8,3% ont un pôle unique dans lequel ils ne résident pas.

Mais cette distribution varie fortement selon l‟âge des enquêtés :

Tableau 32. Configuration des pôles des espaces des proches selon l’âge

Configuration des pôles (%) Âge 18-35 ans 36-60 ans + de 60 ans isolés 12,8 17,4 24,5 excentrés 9,1 8,8 6,5 égocentrés 56,9 55,4 55,1 multipolaires 21,2 18,4 13,9 Total 100,0 100,0 100,0

Source : Proches et parents (1990)

La proportion d‟égocentrés reste relativement constante quel que soit l‟âge. En revanche, de 12,8% parmi les 18-35 ans, la proportion d‟isolés passe à 24,5% chez les plus de 60 ans. Parallèlement, la part des multipolaires diminue (de 21,2% à 13,9%). Enfin, la proportion d‟excentrés se réduit légèrement. S‟il n‟est pas possible de déterminer avec certitude s‟il

s‟agit ici d‟un effet d‟âge ou dé génération, on peut penser que l‟on est en présence de l‟implication sous sa forme spatialisée de l‟évolution du réseau familial et de la sociabilité au cours de la vie : l‟isolement gagne en importance avec l‟âge.

4.5.2. Pôles et fréquentation des proches

Mais au delà de la présence de proches au sein de l‟espace de vie, les relations qui se nouent avec eux peuvent elles-mêmes avoir une dimension spatiale. Certaines formes de contact, comme les visites, ou de solidarité et d‟entraide, comme la garde des enfants, sont en effet contingentes de la distance séparant les protagonistes. Cela apparaît en examinant la fréquence des contacts entre les enquêtés et leurs proches selon que ces proches résident dans le même pôle de l‟espace des proches qu‟ego, dans un autre pôle ou dans aucun pôle (Tableau 33). La fréquence des contacts est nettement plus élevée lorsque les proches résident dans le même pôle que l‟enquêté, le pôle-base, plutôt que dans toute autre partie de l‟espace des proches. Au contraire, la différence est peu significative selon que les proches résident dans un autre pôle que le pôle-base ou ne résident pas dans un pôle du tout. On voit donc le lien entre la proximité géographique et la fréquence des contacts. Les pôles constituent ici de bons indicateurs de l‟inscription spatiale du réseau des proches et au delà, de l‟existence et de l‟intensité des relations de sociabilité qui s‟y nouent.

Tableau 33. Fréquence des contacts entre ego et ses proches, selon la place du lieu de résidence du proche au sein de l’espace

Fréquence des contacts

(%) pôle-base autre pôle satellites

espace des proches

Au moins 1 fois par jour 16,1 0,6 3,6 9,8

Au moins 1 fois par

semaine 45,2 16,1 17,9 32,5

Au moins 1 fois par mois 28,7 30,6 27,3 28,8

Plus d‟une fois par an 9,3 45,3 42,4 24,9

Moins d‟une fois par an 0,7 7,4 8,7 4,0

Total 100,0 100,0 100,0 100,0

4.6. Conclusion

En adoptant la définition extensive des espaces de vie proposée par Daniel Courgeau, la diversité des lieux à prendre en compte est grande. L‟espace formé par ces lieux peut être caractérisé de diverses manières, que l‟on s‟intéresse à sa taille, à sa composition ou à sa forme, tant les configurations obtenues sont complexes. L‟utilisation empirique de la notion d‟inertie, pour mesurer la dispersion, et de là l‟identification de « pôles », des portions de l‟espace qui regroupent une part importante des lieux qui le composent, offre la possibilité de conjuguer dans une même analyse plusieurs dimensions de l‟espace de vie. Cet indicateur synthétique est à même de décrire et de proposer des typologies d‟espaces de vie. Mais il rend aussi compte du fait que l‟espace de vie est le cadre spatialisé dans lequel ont lieu les activités des individus, notamment les relations interpersonnelles.

Les outils proposés ont donc permis de décrire les espaces de vie actuels eux-mêmes. Néanmoins il est nécessaire, et cela reste à faire, de prendre avantage de cette description de l‟inscription spatiale des individus pour étudier et analyser finement les déterminants de leur mobilité. On peut pour cela s‟intéresser à la manière dont les pôles apparaissent, disparaissent ou se transforment et comment les stratégies résidentielles mobilisent ou non le réseau des localisations avec lesquelles on est en rapport à un moment donné. Il est alors indispensable de se placer dans une perspective longitudinale, afin de restituer la dimension temporelle des espaces de vie, comme l‟espace d‟activité des couples (voir chapitre 7).

Chapitre 5: LES ESPACES FREQUENTES

Après avoir envisagé des espaces du passé et des espaces de vie actuels, nous allons dans ce chapitre tenter d‟appréhender une dimension plus quotidienne de l‟espace. On se rapproche donc de l‟espace perçu ou vécu, tels que l‟ont étudiés les géographes (voir 1.2.2). Mais on souhaite ici aborder cette problématique au moyen de données démographiques, ce qui soulève un certain nombre d‟enjeux.