• Aucun résultat trouvé

Comment caractériser et représenter les résultats ?

L‟hétérogénéité d‟un échantillon de trajectoires individuelles est souvent très importante, ce qui en rend la description ardue voire impossible. En ce sens, une typologie de trajectoires, construite à l‟issue d‟analyses factorielle ou séquentielle par exemple, constitue une représentation simplifiée de l‟échantillon, donc plus aisée à décrire. Toutefois, chaque classe de la typologie enfermant elle-même une certaine hétérogénéité, la question de la caractérisation et de la présentation des classes d‟une manière simple et précise n‟est pas triviale (voir par exemple Halpin & Chan, 1998).

Un premier moyen de décrire les classes d‟une typologie de trajectoires consiste à calculer un certain nombre d‟indicateurs pour chacune des classes. Des différences significatives apparaissent alors clairement entre les classes, qui viennent questionner la pertinence de la typologie. Les indicateurs envisageables sont de divers types. Tout d‟abord, on peut calculer pour chaque classe la distribution de caractéristiques individuelles socio-démographiques, comme le sexe, la cohorte ou l‟origine géographique, ou plus spécifiques à l‟objet étudié, par exemple l‟âge au baccalauréat ou le diplôme le plus élevé dans le cas de trajectoires d‟insertion55

. On voit ainsi si les classes concernent plus particulièrement certains groupes d‟individus (hommes ou femmes, migrants ou autochtones, etc...). Les indicateurs peuvent aussi décrire non plus les individus eux-mêmes mais leurs trajectoires. Outre l‟effectif, qui est le plus évident, les possibilités sont nombreuses. Une typologie issue d‟une classification est construite de manière à obtenir des classes à la fois homogènes et distinctes des autres classes. L‟homogénéité à l‟intérieur des classes et l‟hétérogénéité entre les classes sont toutefois variables d‟une classe à l‟autre. Elles peuvent être mesurées par le biais de divers indicateurs. Les distances issues d‟une analyse factorielle ou de l‟Optimal Matching permettent de calculer pour chaque classe la distance moyenne entre les trajectoires de la classe (distance intra-classe), la distance moyenne entre les trajectoires d‟une classe et celles des autres classes (distance inter-classe), la distance maximale ou la distance moyenne à une trajectoire-type caractérisant la classe (Aassve et al, 2007). D‟autres indicateurs d‟homogénéité existent, comme l‟entropie (Fussel, 2005) ou l‟indice de Gini. On peut aussi caractériser les classes en décrivant les états et les transitions qui composent les trajectoires individuelles. De nombreuses possibilités existent, qui rejoignent les indicateurs synthétiques proposés dans la partie 6.2.1 :

La distribution des situations initiale et finale permet souvent de différencier les classes.

L‟état modal, c‟est-à-dire la situation la plus souvent occupée au sein de la classe, ou la transition modale, c‟est-à-dire la passage d‟un état à un autre le plus fréquent dans la classe, sont des outils utiles en particulier lorsque l‟univers des états possibles est grand (Pollock, 2007).

55 Ces indicateurs peuvent aussi servir de données pour une Analyse des Correspondances Multiples (ACM), pour projeter sur un plan factoriel les caractéristiques des individus et la classe à laquelle ils appartiennent et

La durée totale moyenne dans chacun des états, par exemple la durée moyenne du chômage dans les trajectoires individuelles de la classe.

Le nombre moyen de transitions au cours des trajectoires, qui distingue les classes stables des parcours plus chaotiques.

Pour les classes stables, la proportion moyenne de la durée de la trajectoire passée dans la situation principale.

Le nombre moyen d‟épisodes dans chaque état, par exemple le nombre moyen de périodes de chômage au sein des trajectoires individuelles de la classe, ou plus simplement la proportion d‟individus de la classe à avoir connu un état particulier. Le temps moyen d‟accès à un état particulier, par exemple la durée moyenne avant d‟occuper un premier emploi stable.

etc...

La caractérisation des classes d‟une typologie peut aussi répondre à la question de savoir quelle est ou quelles sont la ou les trajectoires idéal-typiques d‟une classe ? On cherche alors à réduire chaque classe à une ou plusieurs trajectoires particulièrement représentatives. Il est envisageable d‟identifier la trajectoire individuelle la plus fréquente dans la classe. Néanmoins les trajectoires d‟une même classe, même si elles se ressemblent, sont le plus souvent complexes et trop diverses pour permettre de déterminer une trajectoire significativement représentative de la classe. Un autre moyen de présenter une trajectoire idéal-typique est de construire une sorte de trajectoire moyenne, constituée de l‟enchaînement des situations modales à chaque instant d‟observation. Toutefois cette trajectoire moyenne ne correspond pas nécessairement à une trajectoire réellement observée. Elle peut même engendrer des aberrations, notamment lorsque certaines transitions sont irréversibles : par exemple dans le cas de l‟étude de trajectoires parentales, une trajectoire moyenne pourrait comporter une situation « a eu au moins un enfant » précédant une situation « n‟a jamais eu d‟enfant ». Une meilleure solution consiste à utiliser une trajectoire réelle, observée, plutôt qu‟artificielle, ce qui peut être effectué en considérant la trajectoire qui constitue le parangon de la classe (medoid). Cette trajectoire est la plus proche du centre de gravité de la classe, autrement dit la moins distante de l‟ensemble des autres trajectoires de la classe. Elle correspond donc à la trajectoire réelle

d‟un individu et est considérée comme idéal-typique. Elle constitue alors un moyen particulièrement parlant de caractériser une classe de manière synthétique et est largement adoptée dans les travaux utilisant les typologies de trajectoires. Lorsque l‟hétérogénéité d‟une classe est trop importante, il est parfois souhaitable de présenter plusieurs trajectoires idéal-typiques au lieu d‟une seule afin de rendre compte de la diversité des parcours.

On peut aussi caractériser les classes d‟une typologie de trajectoires au moyen de régressions. La classe est alors considérée :

Comme variable explicative d‟une caractéristique ou d‟un phénomène postérieurs à la trajectoire, par exemple la position professionnelle en fin de carrière en fonction de la trajectoire d‟insertion. On s‟intéresse ici aux conséquences de l‟appartenance à une classe donc d‟un type de trajectoire.

Comme variable dépendante dans une régression logistique binaire ou polytomique. Pour les régressions binaires, on modélise le fait d‟appartenir ou non à l‟un des types de trajectoires, en général le plus stable ou le plus fréquent. Les variables explicatives ne peuvent être que des caractéristiques constantes (sexe, lieu de naissance, etc...) ou antérieures au début de la trajectoire (par exemple l‟effet de la filière d‟enseignement suivie au lycée sur la trajectoire d‟insertion). L‟objet est alors d‟expliquer l‟appartenance aux différentes classes.

Par ailleurs, il existe deux types principaux de représentations graphiques permettant l‟observation synthétique des classes d‟une typologie de trajectoires56

. Le premier type de graphique, parfois appelé chronogramme, est constitué d‟une succession de coupes instantanées, indiquant la distribution des individus de la classe entre les différents états à chaque instant d‟observation. Autrement dit, à chaque moment de la trajectoire, le graphique présente la proportion d‟individus dans chacune des situations. A titre d‟illustration, on construit la trajectoire d‟insertion d‟un échantillon aléatoire de 500 individus, sur le modèle de l‟exemple suivi tout au long de ce chapitre. La trajectoire est

56 On citera cependant une représentation graphique qui trace sous forme d‟arbres les sous-classes de chaque classe de la typologie dont la fréquence est supérieure à 10% (Aassve et al, 2007). Cela se révèle

observée annuellement de 18 à 29 ans (inclus) et à chaque observations, les individus sont dans l‟une des situations suivantes : étudiant, chômeur ou inactif, en emploi. Le graphique montre clairement qu‟à 18 ans, les individus se répartissent à peu près à parts égales entre les études et l‟emploi (Figure 18). Puis la proportion d‟étudiants chute, rapidement jusqu‟à 23 ans puis plus faiblement, pour être proche de zéro à 29 ans. A la fin de la trajectoire, la proportion de chômeurs ou inactifs, qui augmente principalement après 23 ans, atteint presque 20% alors que celles d‟individus en emploi est de près de 80%.

Figure 18. Chronogramme de trajectoires d’insertion

0% 20% 40% 60% 80% 100% 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 âg e en emploi chômeur ou inactif étudiant

Source : Biographies et entourage (2001) ; Champ : échantillon aléatoire de 500 individus.

Le principal avantage de ce type de représentation graphique est qu‟il est d‟une lecture aisée et favorise la comparaison entre les classes. Mais sa limite est qu‟en présentant une succession de coupes, on perd la dimension individuelle des trajectoires. On ne peut pas connaître l‟enchaînement des situations qui composent les parcours : par exemple, le graphique ne permet pas de savoir si les individus au chômage à la fin de la trajectoire étaient majoritairement en emploi ou étudiants auparavant. Les transitions, qui sont à la base des processus, ne sont pas présentées.

Le second type de représentation graphique, proposé par Stefani Scherrer (2001) et parfois appelé « tapis », conserve en revanche la dimension individuelle des parcours. L‟abscisse correspond ici encore à l‟axe temporel des trajectoires. Chaque individu est représenté par une ligne et chaque ligne est composée de segments de couleurs différentes, la couleur des

segments correspondant à la situation occupée et la place et la longueur des segments au moment et à la durée dans la situation. A partir du même échantillon d‟individus, on trace le « tapis des trajectoires d‟insertion (Figure 19). Les lignes sont triées selon les situations chaque année en partant de la dernière. On constate que les individus chômeurs ou inactifs en fin de trajectoire sont pour la plupart en emploi auparavant. De plus, la grande majorité des individus passent directement des études à l‟emploi sans période intermédiaire de chômage ou d‟inactivité. Enfin, plus d‟un centaine d‟individus ont une trajectoire parfaitement stable en occupant un emploi du début à la fin de leur parcours.

Figure 19. Tapis de trajectoires d’insertion

Source : Biographies et entourage (2001) ; Champ : échantillon aléatoire de 500 individus.

On voit ici l‟intérêt d‟une telle représentation graphique, qui conserve la dimension longitudinale des trajectoires individuelles et de ce fait permet de mieux rendre compte des processus. L‟interprétation en est toutefois moins aisée que celle des chronogrammes.

6.5. Conclusion

Lorsque l‟on s‟intéresse à l‟évolution des espaces de vie individuels au cours d‟une longue période, on doit prendre en compte des modifications de l‟espace qui peuvent être fréquentes et variées. L‟espace d‟une vie est donc complexe à appréhender. Les méthodes longitudinales typologiques semblent alors les plus appropriées à l‟étude des trajectoires spatiales, en permettant leur exploration et leur synthèse sous forme de typologies. Les méthodes utilisables sont nombreuses et appartiennent principalement à deux familles, l‟une liée à analyse factorielle et l‟autre à l‟analyse séquentielle. Chaque méthode possède ses caractéristiques propres et comporte des avantages et des inconvénients selon l‟objet étudié et les données utilisées. Le choix d‟une méthode est donc une étape importante de l‟analyse. Le chapitre suivant illustre la démarche typologique à travers deux applications à des types de trajectoires d‟espaces, les trajectoires géographiques et les trajectoires de l‟espace d‟activité des couples. Parmi le corpus de méthodes décrites ici, nous avons retenu celles qui présentent les caractéristiques les plus intéressantes : l‟Analyse Harmonique Qualitative et l‟Optimal Matching Analysis. Il convient toutefois de relativiser l‟importance du choix de la méthode : quelque soit celle adoptée, la structure des trajectoires individuelles va se révéler suffisamment forte pour se refléter dans les résultats.

Chapitre 7: L’ESPACE DUNE VIE

L‟espace de vie d‟un individu, entendu comme l‟ensemble des lieux avec lesquels il est en rapport, se modifie au fil de son parcours de vie. Plusieurs types de changements existent (Beltramone, 1975). Lorsqu‟un nouveau lieu apparaît alors que l‟on conserve la structure des autres lieux, on parle d‟une diffusion ou d‟une extension de l‟espace. Si l‟espace gagne de nouveaux lieux, en perd certains et en conserve d‟autres, il s‟agit d‟un glissement. L‟ensemble des lieux peuvent aussi changer de localisation, impliquant ainsi une

transplantation de l‟espace. Enfin, une contraction ou un repli dans l‟espace correspondent

à la disparition d‟un ou plusieurs lieux. De nombreux évènements de diverse nature peuvent être à l‟origine de l‟apparition, de la disparition ou du déplacement d‟un lieu et donc de la modification de l‟espace de vie individuel. L‟espace ne se modifie pas uniquement du fait de la mobilité individuelle (un déménagement par exemple) mais également des autres sphères d‟implication des individus : sphère professionnelle (par exemple un changement de travail ou un départ à la retraite, qui déplacent ou font disparaître le lieu de l‟activité professionnelle) ; sphère familiale (le décès d‟un membre de la famille peut ainsi entraîner la disparition de son lieu de résidence parmi l‟ensemble des lieux avec lesquels on est en rapport). Les changements de l‟étendue et de la composition de l‟entourage ainsi que les activités de ses membres contribuent aussi à faire évoluer l‟espace de vie : ils n‟interviennent pas seulement à l‟échelle individuelle, mais aussi meso. La succession des différents états de l‟espace de vie, au fil des changements qui interviennent, forme ainsi une trajectoire de l‟espace de vie individuel. On dessine ainsi la trace dans l‟espace des parcours individuels, une source d‟information qui « s‟auto-alimente » à chaque fois qu‟un lieu est modifié et donc que l‟espace subit une diffusion, un glissement, une transplantation ou une contraction. Observé tout au long du parcours des individus et éventuellement de leur entourage, cet espace en mouvement inscrit l‟espace de toute une vie, ancré dans le temps long de l‟existence individuelle.

Dans un premier temps, nous allons considérer l‟espace décrit par l‟ensemble du parcours dans son intégralité sans étudier les déterminants des changements qui l‟affectent. En effet, la prise en compte de la dimension temporelle des parcours est comme nous l‟avons vu le plus souvent abordée sous l‟angle de ces inflexions, concentrant l‟analyse sur une

transition, ou sur les interactions entre plusieurs évènements. Évènements qui seraient ici en des changements de lieux, tels que l‟apparition, la disparition ou la translation d‟un lieu. Mais cette approche oblige à découper les trajectoires, à n‟en étudier qu‟une partie. Or les trajectoires forment pour nous ici un territoire. Le passage d‟un lieu à un autre n‟est pas toujours instantané mais graduel et ces transitions peuvent être suivies d‟un retour. L‟analyse de ces espaces de toute une vie, inscrits dans le temps long et formés d‟une succession d‟états séparés par des transitions souvent difficiles à définir pose des problèmes méthodologiques, qui en font un objet crucial (GRAB, 2006).

Dans ce chapitre, nous allons caractériser l‟ensemble de la trajectoire, en appliquant des méthodes spécifiques, telles que les approches typologiques exposées dans le chapitre précédent. Nous allons donc décrire les espaces de vie observés sur le temps long, c‟est-à-dire les espaces de la vie d‟un échantillon quantitatif d‟individus, des Franciliens nés entre 1930 et 1950, à partir de l‟enquête Biographies et entourage. Nous avons précédemment proposé une mesure synthétique de l‟espace de l‟enfance (chapitre 3), qui caractérise les quinze premières années de la vie. Ici nous allons considérer les trajectoires constituées des lieux de résidence à l‟âge adulte, une fois acquise l‟indépendance résidentielle. En élargissant la période d‟observation, on met en évidence l‟efficacité de l‟approche typologique d‟analyse des trajectoires, pour décrire de manière synthétique un espace attaché à une portion de la vie.