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D. Le métabolisme énergétique cérébral

4. Déficits métaboliques et pathologies

Le fait que le cerveau ait des besoins énergétiques importants (qui correspondent à 90% à des besoins neuronaux, Attwell et Laughlin, 2001) et peu de réserve le rend très vulnérable à des dysfonctions métaboliques.

a. Atteinte énergétique aigue : conditions ischémiques

La meilleure illustration de la vulnérabilité énergétique des neurones est l’accident vasculaire cérébral (AVC), lorsque l’apport sanguin est interrompu dans un territoire cérébral. Les conséquences de l’AVC sont le plus souvent dramatiques, avec dans 40% des cas, des séquelles neurologiques sévères et irréversibles, liées à la dégénérescence neuronale massive dans la zone de l’infarct. Les AVC représentent ainsi la troisième cause de mortalité en Occident et la première cause d’invalidité permanente acquise (Burst, 1985). L’arrêt de

l’afflux sanguin dans le territoire irrigué par le vaisseau est causé par une occlusion ou une hémorragie. Dans tous les cas, il y a un déficit en ATP au cœur de la zone d’infarct après quelques minutes seulement. Comme ce sont les mécanismes de restauration des gradients ioniques qui consomment le plus d’énergie, ils sont perturbés en premier. Une forte dépolarisation est observée, avec pour conséquence la libération massive de neurotransmetteurs (en particulier le glutamate, voir § E-3-b), des flux ioniques (propagation d’une dépolarisation anoxique de K+, influx calcique…), œdème, perturbation de l’intégrité cellulaire et finalement activation de voies de mort cellulaire. Les mécanismes conduisant à la mort et/ou la souffrance neuronale en conditions d’ischémie sont bien plus complexes que cette cascade linéaire d’évènements. L’excitotoxicité, le stress oxydatif, l’inflammation, les dépolarisations péri-infract et des mécanismes apoptotiques jouent chacun un rôle délétère (pour une revue complète et récente de la physiopathologie de l’ischémie voir, Lo et al., 2003; Mergenthaler et al., 2004). Il est intéressant de constater que les neurones, qui sont des cellules excitables avec un fort métabolisme oxydatif, sont très dépendants de l’apport extérieur en énergie, contrairement aux astrocytes qui résistent beaucoup mieux à ces conditions (Giffard et Swanson, 2005). Quand on considère le large éventail de leurs fonctions en conditions physiologiques, il est très probable que les astrocytes aient un impact sur la gravité de l’AVC (Swanson et al., 2004; Nedergaard et Dirnagl, 2005). Les astrocytes peuvent par exemple, dans les phases initiales, alimenter les neurones en énergie en dégradant leur glycogène, réguler les concentrations de certains ions et du glutamate extracellulaire (mais voir aussi § E-3-b), et plus tardivement détoxifier les ROS qui sont formées en quantité lors de la reperfusion. Là encore, en conditions pathologiques, on constate l’importance des relations neurones-astrocytes pour la fonction et la survie neuronale (Swanson et al., 2004; Nedergaard et Dirnagl, 2005).

b. Atteinte énergétique chronique : les maladies neurodégénératives

De nombreuses maladies neurodégénératives comme la MP, MA, MH et la SLA ont une composante énergétique, avec une implication des dysfonctions métaboliques dans la physiopathologie (Beal, 1998, 2000). Dans tous ces exemples, la dysfonction métabolique n’est pas forcement la cause primaire de la maladie. En particulier pour la MH et les formes génétiques de la MA, MP et SLA, la mutation d’un gène unique a été identifiée, et ce gène n’est pas directement impliqué dans le métabolisme énergétique. Néanmoins, les dysfonctions métaboliques jouent certainement un rôle aggravant non négligeable. Nous prendrons ici l’exemple de la MH, car elle est caractérisée par une dégénérescence des neurones du striatum, structure cérébrale dans laquelle l’ensemble des expériences suivantes a été réalisé. De plus, le CNTF est un candidat thérapeutique potentiel pour la MH (cf. § C-3-b).

La MH est une maladie génétique à transmission autosomique dominante. La mutation responsable de la maladie consiste en une expansion de triplet CAG codant pour la glutamine dans la partie N-terminale du gène de la huntingtine (htt) (The Huntington's disease study group, 1993). La fonction de la htt est mal connue, elle pourrait avoir un rôle dans la transcription, le transport vésiculaire et la signalisation intracellulaire (Humbert et Saudou, 2001). Les patients présentent un hypométabolisme précoce (baisse de la consommation de glucose et d’oxygène) dans le striatum, la structure qui présente la perte neuronale la plus massive (Kuwert et al., 1990). Les patients présentent également une baisse du taux de N-acétyl-aspartate, un intermédiaire métabolique, et de phospho-créatine (Sanchez-Pernaute et al., 1999), alors que le taux de lactate augmente (Jenkins et al., 1993). Les patients présentent une baisse de l’activité striatale de la pyruvate déshydrogénase, de l’aconitase au niveau du cycle de Krebs (-70%) et de la chaîne oxydative mitochondriale (complexe II-III/succinate déshydrogénase, SDH -55% et complexe IV-cytochtome oxydase) (Browne et Beal, 2004). Il est d’ailleurs possible de reproduire les lésions histopathologiques de la maladie (i.e. dégénérescence préférentielle du striatum avec une perte massive des neurones de projection GABAergiques et préservation relative des interneurones) en injectant de façon systémique un inhibiteur irréversible de la SDH, l’acide 3 nitropropionique (3NP). L’intoxication au 3NP reproduit chez le rongeur et le primate non-humain de nombreux symptômes caractéristiques de la maladie (hyperkinésie puis hypokinésie, dystonies, déficits cognitifs de type frontaux…) (Brouillet et al., 1995; Palfi et al., 1996). De nombreuses anomalies mitochondriales sont d’ailleurs associées à la mutation de la htt (voir, Brouillet et al., 2005): baisse de capacité à tamponner le calcium, baisse du potentiel transmembranaire, sensibilité aux stimuli apoptotiques (Sawa et al., 1999; Panov et al., 2002). La htt mutante, au contraire de la htt sauvage, s’associe avec la mitochondrie (Panov et al., 2002). De plus, la htt interagit avec de nombreuses protéines, dont certaines sont liées au métabolisme énergétique et cette interaction est modulée par le nombre de répétitions de glutamine présentes sur la htt (Harjes et Wanker, 2003; Li et Li, 2004). Enfin, des molécules comme la créatine et le coenzyme Q10 qui améliorent le statut métabolique des neurones striataux, ont des effets neuroprotecteurs significatifs dans des modèles phénotypiques et génétiques de la maladie (Matthews et al., 1998; Ferrante et al., 2000; Ferrante et al., 2002). Il existe donc tout un faisceau d’arguments pour attribuer un rôle majeur aux déficits métaboliques dans la dégénérescence neuronale de la MH. De tels arguments (hypométabolisme régional, atteinte mitochondriale et parfois modélisation de la maladie par inhibition métabolique) existent aussi dans la MP, la MA et la SLA (Beal, 1998, 2000). Dans tous les cas, il ne s’agit bien sûr pas d’un mécanisme pathologique unique, la MH étant vraisemblablement multifactorielle (Voir, Humbert et Saudou, 2001 et; Beal et Ferrante, 2004, pour la MH). Des déficiences dans la gestion du glutamate extracellulaire,

principal neurotransmetteur excitateur, semblent également avoir un rôle délétère non négligeable dans ces pathologies.