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D. Le métabolisme énergétique cérébral

2. Les corps cétoniques peuvent constituer des substrats énergétiques alternatifs

a. Les corps cétoniques et la cétogénèse

- description de la cétogenèse

Les corps cétoniques (CC) : acétone, acétoacétate (AcAc), β-hydroxybutyrate (BHB) sont constitués d’une courte chaîne de 3 ou 4 carbones (Fig. 8A). L’acétone qui est volatil, est perdu par l’expiration et n’a pas de rôle métabolique majeur. Les CC sont synthétisés par le foie. La production de CC (cétogenèse) se fait à partir de l’acétyl-CoA qui est issu de la β -oxydation des acides gras (Fig. 8B). L’acétyl-CoA suit la voie irréversible du hydroxy-3-méthylglutarate CoA (CoA) qui forme l’AcAc (Fig. 8B). L’enzyme mitochondriale HMG-CoA synthase (mHS) a un rôle clé dans la cétogenèse, elle est présente en très grande quantité dans le foie, en quantité bien moindre dans le cerveau et elle est complètement absente de nombreux autres organes (Fukao et al., 2004). En revanche, le foie ne possède pas la succinyl CoA : 3-oxoacid-CoA transférase (SCOT), enzyme clé de la dégradation des CC (voir plus bas) et ne peut donc pas les métaboliser. La cétogenèse hépatique produit des CC qui sont libérés dans la circulation sanguine et sont utilisés dans des organes extra hépatiques (Fukao et al., 2004). Le potentiel d’oxydoréduction et le pH du foie favorisent la formation de BHB par la β-hydroxybutyrate déshydrogénase (BDH) à partir d’AcAc (il y sept fois plus de BHB libéré dans le sang que d’AcAc). Le BHB étant le produit majoritaire de la cétogenèse hépatique, il est le principal CC utilisé par les organes périphériques (Nehlig, 2004).

Les astrocytes en culture réalisent aussi la β-oxydation des acides gras et sont capables de cétogenèse, mais leur production de CC est sûrement plus limitée que celle des cellules hépatiques (Auestad et al., 1991; Guzman et Blazquez, 2001).

- régulation de la cétogenèse

L’abondance des précurseurs (les acides gras) dans la mitochondrie conditionne l’efficacité de la cétogenèse. Le niveau d’expression de la mHS (protéine et ARNm) est aussi finement régulé et il augmente suite à un régime alimentaire riche en lipides. L’insuline diminue son niveau d’expression, le glucagon ayant l’effet inverse (Eaton et al., 1996; Fukao et al., 2004). De façon générale, la cétogenèse est activée par des états d’hypoglycémie et d’hyperlipidémie. L’augmentation de la production et de l’utilisation de CC en cas de déplétion de glucose plasmatique constitue une réponse évolutive puissante car elle permet d’éviter que ce soit le catabolisme des muscles qui alimente le cerveau (Veech et al., 2001).

En condition de glycémie normale, les CC sont présents en faible concentration dans le sang (~ 10 µM) mais leur taux augmente après un jeune prolongé, au cours d’un régime riche en corps gras et sans glucide (régime cétogénique) et peut atteindre plusieurs mM (Veech et al., 2001). Une concentration élevée de CC est également observée chez les mammifères nouveaux-nés avant leur sevrage car le lait maternel est très riche en acide gras et favorise la production hépatique de CC. Le taux de CC circulant est aussi variable selon les espèces. Il atteint 7 mM chez l’Homme à jeun, alors qu’il ne dépasse pas 3 mM chez le rat. A l’inverse, durant la période d’allaitement, le jeune rat non sevré présente un taux de CC de 1,5 mM, alors que chez le nourrisson humain il est inférieur à 0,4 mM, car le lait maternel humain est moins riche en lipides (Morris, 2005).

b. Les voies de dégradation des corps cétoniques

Les corps cétoniques présents dans le sang entrent dans les cellules par les transporteurs aux monocarboxylates (MCT) qui transportent aussi le lactate et le pyruvate (Pierre et Pellerin, 2005). Ils peuvent alors suivre deux voies : voie d’anabolisme dans le cytoplasme et une voie de catabolisme dans la mitochondrie.

- voie cytoplasmique

Le métabolisme de l’AcAc dans le cytoplasme forme des précurseurs pour la synthèse de certains acides aminés (glutamate, leucine), des lipides (acides gras et stérols, Fig. 8C) (Morris, 2005). Dans le cerveau, cette voie joue un rôle important dans les phases précoces du développement post-natal, mais n’est quasiment pas utilisée par la suite. Ainsi, les CC participent à la synthèse des lipides pour la myélinisation qui est intense aux stades précoces de développement (Nehlig, 2004; Morris, 2005).

- voie d’oxydation mitochondriale

L’oxydation des CC dans la mitochondrie est une source alternative d’énergie. Cette voie est composée de trois réactions linéaires, qui dégradent le BHB en AcAc puis en

acéto-acétyl-CoA pour former de l’acéto-acétyl-CoA, (Fig. 8C)(Morris, 2005). La dégradation des CC produit donc rapidement de l’acétyl-CoA et du nicotinamide adénine dinucléotide sous forme réduite (NADH, H+) qui peuvent alimenter le cycle de Krebs et le complexe I de la chaîne mitochondriale, respectivement. Les trois enzymes de la voie, BDH, SCOT et acétoacétyl-CoA thiolase T2 sont mitochondriales et sont présentes dans de nombreux organes, y compris dans le cerveau (Page et Williamson, 1971). Ces enzymes sont exprimées par l’ensemble des cellules nerveuses, les astrocytes exprimant les plus forts taux de SCOT et de T2 (Chechik et al., 1987).

c. Mise en évidence de l’utilisation des corps cétoniques par le cerveau

- utilisation des corps cétoniques chez l’adulte

La première mise en évidence de consommation de CC remonte à 1967. La mesure des différences artérioveineuses des CC sur trois patients obèses mis à jeun pendant 5-6 semaines permit de conclure que les CC pouvaient représenter jusqu’à 60% de la consommation énergétique du cerveau (Owen et al., 1967). En réalité, le cerveau utilise les CC comme substrat énergétique dans différentes conditions de cétogenèse (Sokoloff, 1973). La technique de tomographie par émission de positons (TEP) en utilisant du BHB marqué au 11C, a permis d’évaluer à 0,5 nmol.min-1.mL-1, la consommation des CC en conditions de jeûne prolongé (Blomqvist et al., 1995). Elle est hétérogène mais dans une moindre mesure que le glucose. Chez le rat, les plus forts taux d’utilisation sont observés dans le cortex, le colliculus et les régions dépourvues de BHE (glande pinéale…) et les plus bas dans le corps calleux, et les structures profondes (striatum…)(Hawkins et Biebuyck, 1979).

- utilisation des corps cétoniques au cours du développement

Les CC représentent surtout un substrat énergétique important chez les mammifères avant le sevrage. Ainsi, on observe une consommation importante de 14C-BHB par le cerveau de jeunes rats non sevrés (Nehlig et al., 1991), qui représente plus de 30% de l’apport énergétique cérébral de ces rats (Cremer, 1982).

d. Régulation de l’utilisation cérébrale des CC

Il existe différents niveaux de régulation de la consommation cérébrale des CC : l’entrée des CC dans le parenchyme cérébral et le niveau d’expression /d’activité des enzymes de la voie de cétolyse (Nehlig, 2004; Morris, 2005).

- régulation de l’entrée des CC dans le parenchyme cérébral

L’entrée des CC dans le cerveau est directement proportionnelle à la concentration sanguine de CC chez le jeune rat ou le rat adulte en conditions cétogéniques (Hawkins et al., 1971). Ainsi, c’est la concentration sanguine de CC qui semble être le facteur limitant dans l’utilisation cérébrale des CC (Nehlig, 2004). Les états cétogéniques (jeune non sevré, régimes cétogéniques, jeûne) favorisent donc directement l’utilisation des CC par le cerveau. Cependant, chez l’Homme, qui présente des taux de CC plus élevés, l’oxydation des CC dans le cerveau pourrait devenir le facteur limitant plutôt que le transport qui augmente linéairement avec un Kd de 13,9 mM (Nehlig, 2004; Morris, 2005). L’AcAc entre deux fois plus rapidement que le BHB dans le cerveau (Hawkins et al., 1971).

Dans une moindre mesure, la quantité des transporteurs MCT peut influencer la quantité de CC entrant dans le cerveau. Différentes isoformes existent, les cellules endothéliales expriment MCT1, les astrocytes MCT1 et MCT2 et les neurones MCT2 (Pellerin et al., 1998). C’est le niveau d’expression du transporteur endothélial qui semble le plus soumis à la régulation. Les transporteurs endothéliaux sont exprimés plus fortement chez le jeune non sevré que chez l’adulte (25 fois plus, chez le rat, Leino et al., 1999), ce qui rend la BHE sept fois plus perméable aux CC (Moore et al., 1976). Par ailleurs, l’expression endothéliale de MCT1 peut être augmentée d’un facteur 8 par un régime cétogénique prolongé (Leino et al., 2001) ce qui va de pair avec une augmentation de la perméabilité aux CC (Moore et al., 1976).

Les transporteurs astrocytaires et neuronaux semblent moins sujets à des modifications de leur niveau d’expression. En particulier, leur expression ne diminue pas significativement après le sevrage, ce qui est sûrement lié au fait qu’ils ont un autre rôle physiologique d’importance: le transfert de lactate entre les neurones et les astrocytes (Pellerin et al., 1998, voir §C-3-a). Des différences plus locales sont observées, le niveau d’expression de MCT1 au niveau des pieds astrocytaires est plus important chez le rat de 17 jours par rapport à l’adulte (Leino et al., 1999). Enfin, une équipe a mis en évidence qu’un régime cétogénique prolongé augmentait l’expression des MCT dans le neuropile (Leino et al., 2001). In vitro, l’expression des transporteurs est aussi régulée par certains neurotransmetteurs comme la noradrénaline (Pour une revue complète du sujet se référer à Pierre et Pellerin, 2005).

- régulation des enzymes de la voie de cétolyse

La régulation des enzymes de la voie des CC n’a lieu qu’au cours du développement. Les enzymes de la voie de cétolyse cytoplasmique sont exprimées le plus fortement à la naissance et leur expression diminue ensuite pour atteindre 25-50% du taux initial (Morris, 2005). Les niveaux d’expression de la BDH, la SCOT et la thiolase T2 augmentent à partir

de la naissance, atteignent leur niveau maximal avant le sevrage (5 fois le niveau initial) et baissent ensuite (Nehlig, 2004; Morris, 2005). La BDH est plus fortement exprimée dans le cortex (Bilger et Nehlig, 1992), ce qui coïncide avec le niveau d’utilisation des CC. Chez l’adulte, les états cétogéniques n’induisent pas d’augmentation détectable de l’expression ou de l’activité des enzymes de la voie dans le cerveau, c’est le cas lors d’un régime cétogénique (Middleton, 1973) ou d’un jeûne prolongé (Williamson et al., 1971).

Il est généralement admis que ces enzymes sont en quantité suffisante pour ne pas constituer un facteur limitant (Morris, 2005). Pourtant, sur des tranches d’hippocampe, le BHB peut se substituer efficacement au glucose et maintenir un fonctionnement neuronal normal, seulement si les tranches proviennent de jeunes rats, âgés de moins de 30 jours (Wada et al., 1997; Izumi et al., 1998). Ce qui suggère que les CC sont des substrats énergétiques adaptés pour le cerveau mais, dans certaines conditions, les enzymes de la voie de cétolyse peuvent être limitantes pour leur utilisation cérébrale. Le contrôle de l’utilisation cérébrale des CC est donc peut-être plus complexe qu’une simple régulation par l’abondance du substrat dans le sang. C’est clairement le cas pour d’autres substrats énergétiques comme le glucose, dont la consommation est très finement régulée par des mécanismes complexes dans lesquels les astrocytes jouent un rôle non négligeable.