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D. L’activation astrocytaire : une réponse adaptée pour protéger les neurones ?

2. Les astrocytes réactifs et le CNTF

a. Les astrocytes activés sont-ils les seuls médiateurs des effets

neuroprotectecteurs du CNTF ?

Est-il possible que les effets neuroprotecteurs observés soient également dus à un effet direct du CNTF sur les neurones ? En effet, le CNTF a d’abord été mis en évidence pour son potentiel neuroprotecteur à large spectre (voir § II-C-3). Sur des cultures primaires de neurones hippocampiques dites ‘pures’, le CNTF, contrairement au BDNF ou au NGF, n’a pas d’effet neuroprotecteur vis à vis du glutamate (Mattson et al., 1995) mais des résultats contradictoires ont été rapportés (Skaper et al., 1992; Sun et al., 2002). Enfin, le CNTF a des effets protecteurs vis-à-vis de la toxicité du NMDA sur des neurones striataux (Petersen et Brundin, 1999). Dans ces expériences, le CNTF exerce ses effets s’il est appliqué rapidement après la mise en culture (entre 1 et 2 jours) mais perd 50% de son efficacité si le traitement a lieu après 5 jours (Skaper et al., 1992) ou juste avant l’exposition à la toxine (Petersen et Brundin, 1999). Le pourcentage de cellules GFAP positives augmente avec le CNTF (Petersen et Brundin, 1999), ce qui suggère que le CNTF pourrait avoir un effet de différenciation des précurseurs selon le lignage astrocytaire (Bonni et al., 1997). Dans ces cultures, les astrocytes représentent de 1 à 10% des cellules, et il n’est pas possible de réellement considérer ces cultures comme purement neuronale et d’exclure un effet neuroprotecteur du CNTF via les astrocytes.

Ainsi, même en culture il est difficile de dissocier les effets directs du CNTF sur les neurones et des effets indirects qui passent par un changement du phénotype des astrocytes. Dans nos conditions, il n’est pas non plus possible d’exclure un effet trophique direct du CNTF sur les neurones, même si nous n’avons pas mis en évidence de changement du phénotype neuronal contrairement à de très nombreuses caractéristiques astrocytaires. De plus, l’activation de la voie JAK-STAT par le CNTF est détectée dans les astrocytes mais pas les neurones, ce qui suggère que le CNTF agit principalement sur les astrocytes. Cela dit, même si le CNTF a un effet neuroprotecteur direct sur les neurones (par l’activation de voie anti-apoptotique ou pro-survie par exemple), les modifications mises en évidence dans les astrocytes activés participent forcément à la meilleure survie des neurones. La question est de savoir en quelle mesure l’activation des astrocytes participe à la survie des neurones. Pour cela, il faudrait inhiber spécifiquement certaines fonctions

astrocytaires potentiellement neuroprotectrices. Il s’agirait par exemple, d’inhiber la cétolyse ou d’interférer avec les transporteurs au glutamate par des techniques d’invalidation ou d’interférence ARN, et de voir si le CNTF conserve ses effets neuroprotecteurs. Ces approches ne sont pas toutes faciles à réaliser, cependant nous évaluons actuellement le rôle du transporteur GLAST dans les effets neuroprotecteurs du CNTF vis-à-vis du QA en utilisant des souris invalidées pour ce transporteur.

b. Le CNTF : un facteur neurotrophique ou gliotrophique ?

Notre étude souligne pour la première fois l’importance et l’étendue des effets fonctionnels du CNTF sur les astrocytes. En effet, si l’activation des astrocytes par le CNTF était connue (voir § II-C-2), les conséquences fonctionnelles n’ont jamais été évaluées. Ainsi, il n’a été suggéré que très récemment que les astrocytes pouvaient intervenir dans les effets protecteurs du CNTF vis-à-vis de l’axotomie (van Adel et al., 2005). Il est aussi possible que les astrocytes activés participent à la neuroprotection offerte par le CNTF dans des situations d’ischémie (Wen et al., 1995) ou d’atteinte métabolique (Mittoux et al., 2002). L’étude approfondie des modifications d’autres paramètres importants pour la survie neuronale (gestion du stress oxydatif, régulation ionique….) devrait permettre d’avoir un tableau plus complet (et complexe) des conséquences de l’activation astrocytaire par le CNTF.

Finalement le CNTF ne serait-il pas un facteur gliotrophique plutôt qu’un facteur neurotrophique ? Cette idée n’est pas si révolutionnaire, car le CNTF n’est de toute façon pas un facteur neurotrophique au sens ‘classique’ comme le NGF (expression par la structure cible et libération dans le milieu extracellulaire en quantité limitante pour sélectionner les neurones et les synapses efficaces, expression au cours du développement embryonnaire ..., voir § II-C-1-d). CNTF apparaît plutôt comme un facteur de lésion et il est directement associé aux situations pathologiques qui activent les astrocytes (voir § II-C-2).

La bonne connaissance des effets et des cibles du CNTF est primordiale car le CNTF (ou son dérivé l’axokine) est/a été l’objet d’essais cliniques pour la SLA, la MH et l’obésité (voir § II-C-3 et 4).

c. Comprendre les effets du CNTF pour optimiser son utilisation clinique

La première utilisation clinique du CNTF concernait une cinquantaine de malades de la SLA, qui ont reçu des injections sous-cutanées de CNTF recombinant. Les effets secondaires ont été assez graves pour les plus fortes doses (voir § II-C-4-d) et les injections ont été interrompues au bout de 2 semaines (Cedarbaum et al., 1995a). Les essais cliniques entrepris ensuite dans la SLA (Aebischer et al., 1996) et la MH (Bachoud-Levi et al., 2000) se sont appuyés sur la technologie innovante des cellules génétiquement modifiées

encapsulées dans des polymères biocompatibles. Les résultats ont été assez décevants (Bloch et al., 2004), mais la production de CNTF par les cellules encapsulées et la quantité de CNTF qui parvenait aux cellules vulnérables étaient très certainement insuffisantes (Escartin et al., sous presse).

En effet, dans le cadre des essais cliniques pour des pathologies du SNC, il s’agit de trouver un mode d’apport des molécules thérapeutiques qui permette de toucher un grand nombre de cellules, à l’échelle du cerveau humain. Dans ce contexte, les vecteurs viraux apparaissent comme des agents performants pour diffuser dans le parenchyme et induire une surexpression dans une partie importante de la structure ciblée (Déglon et Hantraye, 2005). L’utilisation de virus (en particulier de lentivirus) pour des pathologies cérébrales n’en est qu’à ses débuts et de nombreuses validations sont encore à faire. Il ne faudrait pas, par exemple, que les vecteurs viraux induisent une trop forte production du transgène qui compromette les effets thérapeutiques attendus. Notre étude met en évidence des phénomènes relativement bien connus de ‘down-régulation’ des effets du CNTF, lorsqu’il est présent en quantité trop importante et/ou pendant trop longtemps (voir § IV-A-1 et Krebs et Hilton, 2000). C’est donc un véritable défi que de trouver les conditions optimales pour alimenter les cellules avec la bonne concentration de CNTF. Nos résultats apportent de nouveaux arguments en faveur de l’utilisation du CNTF comme agent thérapeutique pour ces maladies qui ont chacune une forte composante énergétique et excitotoxique (voir § II-E-3 et II-D-4) et devraient encourager ces mises au point difficiles. Enfin, il faut noter que dans notre étude comme dans la majorité des cas, le CNTF est administré avant l’apparition des processus pathologiques, ce qui fait une différence de taille par rapport à la situation clinique. Cependant, le CNTF a démontré des effets ‘restaurateurs’ dans un modèle primate de la MH. Ainsi, le CNTF a significativement réduit les symptômes moteurs et cognitifs présents et a protégé les neurones striataux de la dégénérescence en cours, ce qui est très encourageant pour l’utilisation clinique de CNTF (Mittoux et al., 2000).

Notre caractérisation des effets du CNTF souligne aussi certaines difficultés liées à son utilisation en clinique. Dans les essais cliniques pour la MH, la consommation striatale de glucose est l’un des index de l’efficacité du traitement, en tant que reflet de l’activité et de l’intégrité neuronale (Gaura et al., 2004). Or l’interprétation risque d’être biaisée si le CNTF diminue cette consommation en modifiant le métabolisme cérébral. De plus, l’astrogliose reste considérée comme un témoin de souffrance neuronale et un index du degré de dégénérescence neuronale. Il est important pour les études post-mortem de garder en tête que l’agent thérapeutique lui-même induit une activation astrocytaire.

En effet, promouvoir l’activation des astrocytes pour protéger les neurones peut apparaître comme une stratégie thérapeutique assez peu ‘orthodoxe’. Pourtant, les

astrocytes qui contrôlent un si grand nombre de fonctions cérébrales ne sont-ils pas les mieux placés pour favoriser la survie neuronale?