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Les composés à ODC sont particuliers dans la mesure où deux réseaux de paramètres de maille incommensurables sont superposés : un réseau atomique, et un réseau électronique. Bien que ces deux modulations soient étroitement couplés, puisque c’est une déformation de la structure atomique qui conduit à l’état ODC, des comportements indépendants peuvent se produire. Nous allons voir que des défauts statiques peuvent se trouver sur l’ODC mais pas sur le réseau, et que lorsque du courant est appliqué, l’ODC subit des déformations qui lui sont propres.

Les expériences présentées dans les paragraphes 5.2.1 et 5.2.2 ont été réalisées sur la ligne CRISTAL du synchrotron SOLEIL. Les conditions de cohérence ont été obtenues en utilisant un faisceau de 7 keV, focalisé sagitalement et tangentiellement, de telle sorte que le faisceau focalisé au niveau de l’échantillon mesure 100 µm verticalement par 500 µm horizontalement. Les fentes source ont été utilisées avec une ouverture de 200 × 200 µm2, et placées 13 m avant les fentes de cohérence fermées à 10 × 10 µm2. La caméra CCD Andor Technology ayant des pixels de 13 µm a été placée à 2,2 m des fentes de cohérence, et l’échantillon à 10 cm de ces mêmes fentes. Dans ces conditions, la résolution atteinte par notre détecteur est de ∆q = 2, 1 × 10−5 Å−1 dans la direction longitudinale. Par ailleurs, la longueur de cohérence transverse est de ξT = 5, 75 µm et la longueur de cohérence longitudinale de 0, 88 µm, avec un degré de cohérence total de 45%, ce qui est particulièrement élevé par rapport aux expériences habituelles de diffraction cohérente des rayons X, pour lesquels ce degré de cohérence est plutôt de l’ordre de 15%.

5.2.1 Des défauts de la structure électronique

En régime statique, la présence d’une dislocation de la modulation ODC qui n’était pas présente sur le réseau hôte a été reportée suite à des expériences de diffraction cohérente des rayons X dans [119]. Cette dislocation a pour effet de faire apparaître un dédoublement

de la réflexion associée à l’ODC, mais pas de la réflexion de Bragg du réseau hôte (voir figure5.8).

Figure 5.8 – Pic associé à l’ODC mesuré par diffraction cohérente. Les franges ortho-gonales à ~b sont bien reproduites par la présence d’une dislocation mixte de vecteur de Burgers colinéaire à b sur l’ODC.

Ces mesures sont bien interprétées par la présence d’un dislocation mixte de l’ODC, en prenant les constantes de force réelles de l’ODC. Comme expliqué dans le chapitre2, le saut de phase de π associé à la présence de la dislocation induit une interférence destructrice pour le vecteur d’onde de la modulation ODC, faisant apparaître un dédoublement de cette réflexion. Par ailleurs, du fait de l’anisotropie des constantes de force de l’ODC, le dédoublement apparaît suivant une direction perpendiculaire à celle des chaînes.

Nous avons mesuré dans une expérience plus récente la présence d’une dislocation faisant apparaître un dédoublement dans la direction des chaînes, pour un courant I = 25 mA. Sur la figure 5.9, la réflexion associée à l’ODC a été prise en deux positions de l’échantillon.

Dans le premier cas, un pic unique est observé, alors que dans le second un dédoublement apparaît suivant ~b. Chacun des deux pics dédoublé a la même largeur que le pic unique de la première image, et le minimum d’intensité est trouvé à la position où la réflexion unique est maximale. Ceci est la signature de la présence d’un défaut de phase de π. Pourtant, le rapport d’anisotropie du bronze bleu devrait imposer un dédoublement dans la direction perpendiculaire à ~b. Cela nous laisse présumer que l’ODC est fortement accrochée en cette position à un défaut structural. Le fait qu’un courant très important de 25 mA ne suffise pas à décrocher l’ODC de ce défaut va également dans le sens de la présence d’un défaut

Figure5.9 – Réflexion 6, 0, 252, 3, 5 associé à l’ODC mesuré par diffraction cohérente en deux positions de l’échantillon (échelle linéaire). a) Pic mesuré en une région parfaitement ordonnée ; b) Un dédoublement apparaît suivant la direction b, et est en accord avec la présence d’une dislocation.

structural influençant fortement l’ODC, et la forçant à se placer dans une configuration qui lui coûte énormément d’énergie de déformation.

5.2.2 Évolution des défauts en fonction du courant

Nous avons vu précédemment que lorsqu’un courant circule dans un composé à ODC, celui se met à glisser au-dessus d’un courant critique Ic de dépiégeage par les impuretés. La vision consistant à dire que pour des courants inférieurs à Ic, l’ODC est statique et qu’au-dessus de Icl’ODC glisse dans son ensemble est simpliste. En réalité, l’ODC subit des phases de déformations dès qu’un courant est appliqué. Certes l’ODC est piégée localement sur des potentiels d’encrage d’impuretés, mais dans les autres zones, elle est libre de se déplacer sous l’influence du courant. Ainsi, une vision plus correcte de l’ODC à faibles courants, est de considérer des fronts d’onde non pas plans, mais déformés, et encrés en certains points sur des impuretés [125]. Selon la valeur du potentiel d’encrage des impuretés, l’ODC sera dépiégée à un courant plus ou moins important. La détermination du courant critique résulte alors d’un effet macroscopique de dépiégeage, pour lequel la majorité des potentiels d’accrochage est dépassée. La phase de déformation de l’ODC en-dessous de Ic est appelée ’creep’ [126]. Pour des courants supérieurs à Ic en revanche, l’ODC est capable de glisser d’un bloc, retrouvant ainsi des fronts d’onde plans, et peu déformés.

Ces différentes phases sont visibles dans les expériences de diffraction cohérente, sur la réflexion associée à l’ODC. Des expériences menées sur la ligne CRISTAL de SOLEIL à 7,1 keV à 70 K nous ont permis de les mettre en évidence, dans un échantillon présentant un courant critique Ic ∼ 2 mA. Sur la figure5.8, des images prises sur la réflexion associée à l’ODC sont présentées pour des courants variant de 0 mA à 2 mA.

Sur ces images, un décalage de l’angle de Bragg de ∆θ = −0.005o permet de mieux mettre en évidence le phénomène. En effet, dans ces conditions, le speckle de la réflexion est plus visible qu’à la valeur maximale de la réflexion, dont l’intensité varie plus nettement que la granularité. Lorsqu’aucun courant n’est appliqué, la réflexion est un pic unique et

Figure 5.10 – Images de la réflexion associée à l’ODC, décalée en θ de ∆θ = −0.005o, lors d’une montée en courant (échelle linéaire). L’intensité intégrée sur chaque image est donnée en nombre de photons.

fin, attestant d’un ordre parfait dans la région sondée par le faisceau de 10 × 10 µm2. Dès qu’un courant de 500 µA est appliqué, la réflexion s’élargit de manière notable. Cet effet se poursuit et se renforce pour des courants allant jusqu’à 1,5 mA. Pour cette valeur de courant, la réflexion est très large, dans toutes les directions, et présente du speckle. Pourtant, en continuant d’augmenter le courant, à 1,75 mA, le pic s’affine, pour redevenir tel qu’à 0 mA pour un courant de 2 mA. La variation d’intensité intégrée sur ces différentes images montre également une baisse d’intensité globale dans le régime où apparaissent les speckles, puis à nouveau un gain d’intensité lorsque la réflexion se réaffine.

Notre interprétation de ces observations est que lorsque la réflexion est large et contient du speckle, l’ODC est dans le régime de creep, pour lequel elle est ancrée sur certains potentiels. Dans ce cas, les longueurs de corrélation de l’ODC sont plus courtes et induisent un élargissement des réflexions. En revanche, lorsque le courant appliqué correspond à un potentiel plus grand que toutes les impuretés présentes, l’ODC est libre de se déplacer d’un bloc, et recouvre son ordre de phase. Ainsi, les longueurs de corrélation redeviennent importantes, et la réflexion a la même largeur que dans le cas statique.

Dans d’autres régions, des potentiels nécessitant une plus grande valeur de courant pour permettre à l’ODC d’être dépiégée ont été mis en évidence. La figure5.11illustre une telle situation.

Ces images sont cette fois prises au maximum de la rocking curve de la réflexion associée à l’ODC. La première image, prise alors qu’un courant de 5 mA traverse l’échantillon, montre que l’ODC ne glisse pas dans la région sondée. En effet, une image de speckle statique est mesurée. Tout effet dynamique moyennerait les différentes contributions et l’image ne serait constituée que d’un seul pic plus large. Lorsque le courant est augmenté,

Figure 5.11 – Images sur le maximum du pic ODC, prises à différent courant au-dessus de Ic (échelle linéaire).

à une valeur de 10 mA, l’image observée a évolué, mais est toujours composée de deux réflexions. À nouveau, cela signifie que l’ODC est toujours piégée sur une ou plusieurs impuretés, mais qu’elle a changé de configuration. Elle a soit été libérée d’une ou plusieurs impuretés qui la piégeaient à 5 mA, soit les fronts d’onde se sont encore plus déformés donnant lieu à une image différente en diffraction cohérente. Lorsque le courant imposé est de 15 mA, cette fois, un seul pic est visible. Cela signifie que l’ODC a été libérée de tous ses potentiels d’accrochage, et qu’elle est libre de se déplacer d’un bloc dans la région sondée. Cette tendance est confirmée en augmentant le courant à 20 mA, et en le basculant dans le sens inverse en imposant un courant de -20 mA : le profil de diffraction est alors toujours composé d’un seul pic. Enfin, en coupant le courant, l’ODC est gelée dans un état de grande longueur de corrélation, et l’image observée est inchangée.

Les images des figures5.10 et5.11montrent donc que l’ODC subit des régimes de dé-formations en-dessous de la valeur de courant critique macroscopique, et que dans certaines régions, le courant critique local peut être bien plus important que Ic, d’un facteur presque 10. Cela illustre la complexité des déformations que peut subir l’ODC lors de sa mise en mouvement.

Cependant, un autre phénomène apparaît lorsqu’un courant est appliqué, et a été mis en évidence à plusieurs reprises dans les expériences de diffraction cohérente que nous avons menées. Les prochains paragraphes sont consacrés à ce nouvel effet, et une description des

observations, ainsi que des modèles théoriques seront exposés.

5.3 Un ordre à longue distance engendré par le glissement