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inégalités salariales : une enquête qualitative

Encadré 1 : les SCIC

2. Les SCOP : des écarts de salaires plus restreints et une

2.3. Débats sur le niveau d’égalité désirable

La question des salaires parfaitement égalitaires suscite des réactions très diverses. Elle est vécue comme une évidence lorsque les profils sont très similaires notamment en termes de qualification et de nature des tâches accomplies ou lorsque tout le monde est payé au SMIC, comme le montre les propos suivants.

Scopénergie, gérant : Question : « Vous avez tous les trois la même rémunération ? » Réponse : « Ouais. Ouais parce que du coup euh… donc V., G. et moi on a quasiment tous le même niveau, donc ça paraissait logique aussi qu’on ait le même salaire. Et puis on a le même niveau euh… on fait quasiment le même travail, c’est-à-dire qu’il y a une partie gestion de clientèle, une partie devis et chantier, enfin si moi j’ai la partie gérance en plus donc gérance ça veut dire toute la partie administrative, sociale, financière, qui est aussi une responsabilité hein. Mais officiellement je suis bénévole, enfin gérant bénévole. » Question : « Gérant bénévole, d’accord ok. Donc vous vous êtes entendus pour ne pas que ça soit pris en compte dans le salaire quoi ? » Réponse : « Oui oui. Enfin il y a pas eu de, à un moment donné de dire ‘je suis le gérant donc je vais gagner plus’ »

Scopbio, gérant : Question : « Vous êtes tous au SMIC ? » Réponse : « Oui » Question : « Donc il y a pas de différences de salaires ? » Réponse : « Ben non. Enfin au SMIC horaire quoi donc il y a des différences en fonction du temps de travail »

Scoptextile, directrice des ressources humaines : Question : « Les responsables de secteurs sont nommés ? » Réponse : « Non, alors… vu qu'on différencie pas, on paye pas la responsabilité avec du salaire, c'est un mixte entre une légitimation par les autres et une auto légitimation. C'est-à-dire c'est des gens qui ont pris une responsabilité de gestion au sein de leur secteur, par rapport à leur compétence ou à leur activité. » Question : « D’accord, mais ils ont un titre ? » Réponse : « Ben c'est le chef d'atelier le responsable de l'atelier oui. Ils sont clairement identifiés mais ils ont pas un titre sur leur fiche de paye et le salaire qui va avec. » Question : « D'accord donc ils le font à titre désintéressé, cette prise de

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responsabilité » Réponse : « Oui si vous voulez oui. » Question : « Enfin je veux dire il n'y a pas de rémunération supplémentaire, il n'y a pas d'avantages particuliers ? » Réponse : « Aucun ».

Dans ces trois exemples, l’égalité est considérée comme évidente, comme le montre le peu de justifications données par les personnes interrogés, malgré l’insistance des questions. Dans le troisième cas, la DRH semble même faire preuve d’une certaine fierté devant la surprise perceptible dans les questions : il s’agit en effet du cas le plus « alternatif » puisque l’entreprise compte 60 salariés, c’est la plus grande SCOP où l’égalité des salaires a été observée67.

Mais cette même égalité peut aussi donner lieu à de longs débats. Elle est parfois revendiquée de manière très militante, comme à Scopédition où le co-gérant interrogé estime qu’aucune différence n’est justifiée : d’après lui les plus anciens ont déjà l’avantage de pouvoir accomplir leurs tâches plus rapidement grâce à l’expérience, les responsables ont déjà l’avantage de l’intérêt supérieur de leur travail tandis que les exécutants au contraire doivent être dédommagés pour la pénibilité de leur travail. Il faut aussi prendre en compte l’aspect dynamique de l’égalité, notamment en lien avec la croissance de l’entreprise : ainsi Scopweb pratiquait l’égalité parfaite avec 4 salariés mais en regroupe désormais 8. La question se pose d’introduire des différenciations.

Scopweb, co-gérant : « Au départ on était tous payés pareil. C'était pas dogmatique, c’est plutôt qu’il y avait pas de raison qu’il y en ait un qui soit plus payé que l’autre. Parce que quand on est quatre, on va dire... s'il en manque un, on est mort. Tout le monde est indispensable. Là on arrive à une taille où euh... c'est une ligne qu'on peut plus tenir. Donc là on est en phase de réflexion sur comment... les gens on les paye par rapport à quoi... le problème c'est que tout le monde s'investit pas tout le temps pareil. Et il faut aussi tenir compte de comment ça se passe dans le reste de la société. C'est-à-dire qu'on peut pas payer quelqu'un deux fois moins que ce qu'il est payé ailleurs, juste pour le principe parce qu'après on a des problèmes pour embaucher les gens. (…) Et puis on va pas réinventer la poudre, on va dire, il y a des choses qui existent… Donc là il y en a deux [salariés] qui se sont lancés, qui réfléchissent. F. [l’autre cogérante] et moi on leur a dit qu’il fallait qu’ils nous amènent

67 Cette particularité peut s’expliquer l’histoire de cette SCOP et les conditions de sa création : elle a été dans les années 1970 par des militants écologistes et anticapitalistes. Les fondateurs historiques étaient encore dans la SCOP au moment de l’entretien.

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quelque chose en septembre. (…) On a discuté des pistes, en gros c'est par rapport à la responsabilité prise, on va dire lié à l'engagement, la responsabilité... et puis par rapport à un métier, combien c’est rémunéré à l’extérieur. On n'est pas tous d'accord, il y a des discussions par rapport au diplôme : est-ce qu’il faut tenir compte du diplôme ou de la compétence qu’on applique en interne. Par exemple par rapport à l’extérieur, quelqu’un qui fait du développement pur, on sait que s'il est payé 1800 €68

, c'est bien payé s'il fait que du développement. Par contre, quelqu'un qui fait du système et du réseau globalement il est pas bien payé. (…) Quelqu'un après qui dit "moi je gère un ensemble, une équipe... je sers les clients et je ramène le boulot, et en plus je fais développeur", par rapport à l'autre, il y a un moment, il y a des choses qui sont pas justes, donc voilà. Mes collègues sont partis sur la convention collective là, en disant ‘voilà ça donne une idée’ On a dit voilà: ce qui serait intéressant, c'est de faire le tour des gens-là, de voir ce qu'ils font vraiment, de définir des cases, de voir dans quelle case ça va, de se rendre compte après avec du recul de est-ce que ça tient la route ce qu'on a écrit sur le papier. Et puis voilà petit à petit on va essayer de construire quelque chose là-dessus et puis une fois qu'on sera tous d'accord, on verra comment on tend vers ça. » Question : « Donc vous attendez quand même une validation collective ? » Réponse : « Ah ça, ce sera évaluation collective oui, c'est impossible de le faire autrement. C'est les associés qui décideront ça. »

On peut tirer de cette longue citation trois éléments pertinents pour appuyer notre propos. D’abord l’égalité du début est présentée comme une évidence, qui ne semble pas avoir été beaucoup débattue. Deux éléments sont cités comme ayant fait naître les réflexions autour d’une différenciation : les différences entre les salariés en termes d’efforts produits et le décalage avec « l’extérieur ». Le premier élément introduit l’idée qu’une égalité parfaite serait désincitative tandis que le deuxième fait référence à une certaine sagesse du marché (« on va pas réinventer la poudre, il y a des choses qui existent ») et des conventions collectives. Enfin, il faut noter l’originalité du processus de réflexion, présenté comme le fruit d’une délibération véritablement collective (« c’est impossible de le faire autrement »), ce qui confirme notre hypothèse d’un impératif de justification dans les SCOP, particulièrement propice à l’étude des critères de justice revendiqués.

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On a donc vu que les structures salariales strictement égalitaires étaient minoritaires dans notre échantillon de 38 SCOP, et adoptées par des SCOP où les qualifications et tâches accomplies sont toutes similaires, ou dans les SCOP à forte influence militante. Mais si l’égalité n’est appliquée que dans une minorité des cas, il est significatif de noter qu’il y est souvent fait référence, soit que ce soit la situation de départ qui évolue, soit même que ce soit pour souligner son aspect utopique comme chez Scopmétallurgie :

Scopmétallurgie, dirigeant : « C'est bien parce qu'il y a des gens qui sont passionnés dans les SCOP mais en même temps ça crée des faux débats,... enfin des choses qui ne construisent rien derrière. Je me rappelle les débats sur les salaires égalitaires etc. C'est des trucs... »

On peut lire à travers ces références une trace de l’héritage autogestionnaire du XIXe siècle, qui s’il n’est plus considéré comme un modèle, est souvent connu des acteurs des SCOP, comme nous l’avons montré dans le premier chapitre.

L’égalité parfaite des salaires est donc présente comme référence et souvent mentionnée mais rarement appliquée. La plupart des dirigeants considèrent que les écarts fondés sur le temps de travail (Scopaccueil, Scopjeux), l’ancienneté (Scopaccueil, Scopmétallurgie, Scopétudes) ou encore les responsabilités (Scopépicerie, Scoppeinture) sont justifiés et qu’il serait injuste ou inenvisageable de les supprimer. De ce fait, ces différences lorsqu’elles sont pratiquées, ne sont pas considérées comme des inégalités injustes.

3. Principes de différenciation et